Énergie du Mali (EDM-SA), qui assure la fourniture de l’électricité dans le pays, croupit sous le poids des dettes depuis des années. Plusieurs services de l’Administration publique doivent beaucoup d’argent à cette société, dont la direction semble désormais résolue à se faire payer. Alors que la crise énergétique perdure depuis bientôt une année, le recouvrement de ces débits, de plus de 90 milliards de francs CFA, pourrait contribuer en partie à l’amélioration de la distribution du courant électrique et à la diminution des délestages.
Halte aux mauvais payeurs ! Le geste en a surpris plus d’un et continue de faire couler beaucoup d’encre. Le 11 juin 2024, EDM a coupé l’alimentation en électricité dans certaines agences de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP), en raison d’importants arriérés de factures.
« Les services de recouvrement d’EDM sont passés à la SOMAGEP. Quelques agences commerciales ont été coupées. Cependant, la Direction générale et les unités de production n’ont pas été touchées. Des actions sont en cours pour faire face aux factures impayées », a confirmé dans la foulée à Studio Tamani Abdoul Karim Koné, Chargé de communication de la SOMAGEP. Selon nos informations, les impayés cumulés de la SOMAGEP, à eux seuls, s’élèveraient à plus de 33 milliards de francs CFA.
Cette société sœur d’EDM-SA est-elle la première sur la liste d’une campagne de recouvrement en vue ? Contacté par nos soins, le département de la Communication d’EDM-SA n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais tout porte à croire que la Direction générale de la société ne s’arrêtera pas en si bon chemin, d’autant plus que la liste des mauvais payeurs de la société est longue.
Plus de 90 milliards dus
Départements ministériels et même Présidence de la République, établissements publics à caractère administratif, structures relevant du Budget national et des budgets régionaux ou autonomes. Presque toute l’Administration publique malienne cumule des mois, voire des années, de factures impayées à EDM-SA, pour de l’électricité déjà consommée ou des travaux réalisés pour son compte.
Selon une enquête menée par nos confrères de l’hebdomadaire Le Soft en mars dernier, les factures impayées d’électricité des services publics du Mali se chiffraient à la somme de 90 213 726 071 francs CFA à la date du 7 février 2024. La Présidence de la République, la Primature et les départements ministériels cumuleraient plus de 21 milliards de factures impayées, plus d’un milliard au niveau de la Présidence et plus de 200 millions à la Primature.
Dans le lot des services administratifs regroupant les directions nationales, les services déconcentrés de l’État, les directions d’académies d’enseignement, les camps militaires, entre autres, la seule Direction de l’académie d’enseignement de la Rive gauche du District de Bamako présente à elle seule une ardoise de 3 471 360 470 francs CFA. La Direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique suit, avec 1 757 697 969 francs de factures impayées.
Alors qu’elle croupit sous le poids de la dette auprès des banques, selon certains analystes, EDM-SA pourrait améliorer sa trésorerie et mettre fin, ou du moins diminuer significativement, les coupures d’électricités auxquelles elle est contrainte depuis des mois, si la totalité des montants qui lui sont dus sont recouvrés. D’où la nécessité d’inclure une campagne de recouvrement des impayés parmi les actions amorcées pour la résolution de la crise énergétique.
Problème récurrent
De gros montants de factures impayées à EDM-SA par l’administration malienne, la situation n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, le problème persiste sans être véritablement résolu. Non seulement les structures concernées ne règlent pas les anciennes factures, mais elles continuent de les accumuler au fil des mois et des années.
En 2017, Dramane Coulibaly, alors Directeur Général d’EDM-SA, avait amorcé une vaste campagne de recouvrement des créances, estimées alors à plus de 40 milliards de francs CFA. Sous sa direction, l’entreprise publique de distribution de l’électricité avait élaboré des orientations stratégiques parmi lesquelles, entre autres, le renforcement du contrôle et de la lutte contre la fraude et les déviances, le dimensionnement des investissements par la planification stratégique, la réduction des tensions de trésorerie et des risques fiscaux et l’amélioration substantielle du niveau des recouvrements. « EDM SA est une société commerciale qui distribue de l’électricité aux clients et, en retour, ceux-ci doivent s’acquitter de leurs factures pour la bonne marche de la société. Le but n’est pas d’humilier quelqu’un, mais de faire en sorte de maintenir EDM-SA debout. À Énergie du Mali, tous les clients sont égaux. C’est pour cette raison que chacun doit s’acquitter de ses factures afin de mieux contribuer au fonctionnement, à la distribution et à la performance financière de la société », avait tancé l’ancien Directeur général.
Plusieurs institutions de la République, à l’instar de l’Assemblée nationale et de départements ministériels, ainsi que de grandes entreprises de la place avaient fait les frais de cette campagne de recouvrement en étant momentanément privés d’électricité par EDM-SA. À l’époque, seuls la Présidence de la République, la Primature, le ministère des Affaires étrangères ou encore les services de l’Armée malienne étaient en règle avec Énergie du Mali.
Mais cette politique de recouvrement des créances fera long feu. Dramane Coulibaly sera relevé de son poste de Directeur général d’EDM-SA en mars 2018, après juste deux années aux commandes. Selon certaines indiscrétions, sa gestion, bien qu’ayant permis à la société de recouvrer d’importantes sommes, aurait provoqué l’ire de certains caciques du régime de l’époque.
Pour certains, la période actuelle de transition, où la lutte contre la corruption et la mauvaise gestion des biens publics est érigée publiquement en combat prioritaire des autorités, est un moment propice pour recouvrer les sommes que l’Administration publique doit à EDM-SA.
Actions diverses
Outre les montants faramineux des factures impayées qui handicapent significativement la bonne marche d’EDM-SA, la situation de crise énergétique à laquelle elle n’arrive pas à faire face efficacement depuis des mois est due à plusieurs autres facteurs dont, entre autres, l’augmentation de la demande en énergie et les difficultés d’approvisionnement en hydrocarbures.
Avec l’engagement des plus hautes autorités de la Transition, certaines pistes de solutions ont été amorcées sur le court et le moyen terme. Le 7 mars 2024, un protocole d’accord de gestion de la dette bancaire d’EDM-SA a été signé entre le ministère de l’Économie et des finances et l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Mali (APBEF-Mali), consistant à atteler la période de remboursement de ladite dette (plus de 300 milliards de francs CFA), sur une période de 10 ans, à un taux voisin du taux du guichet marginal de la BCEAO, avec un différé de paiement d’une période d’un an.
« Cette restructuration de la dette bancaire nous permettra d’avoir plus de trésorerie disponible », avait salué le Directeur général d’EDM-SA, Amadou Djibril Diallo, qui avait par ailleurs annoncé une poursuite de l’amélioration de la gouvernance, la diminution des charges et la digitalisation des services pour les flux d’encaissement essentiels dans la gestion de la crise.
Dans le cadre des efforts consentis vers la souveraineté énergétique dans les prochaines années, le Président de la Transition a également récemment lancé la construction d’au moins trois centrales solaires dans le pays (200 MW sur 314 hectares à Sanankoroba, 100 MW sur 228 hectares à Safo et 100 MW sur 120 hectares à Tikadougou-Dialakoro).
Par ailleurs, pour renforcer le parc de production de la société Énergie du Mali, le Chef de l’État a remis au département de l’Énergie le 6 juin 2024 un premier lot de 15 groupes électrogènes, qui sera complété par un second lot de 10 groupes pour un total d’une capacité totale de 27,25 MW