Il va falloir se rallier à l’idée qu’une figure se dessine de plus en plus au Mali en la personne de l’imam Mahmoud Dicko, qui organise désormais l’opposition au Président Keïta et est devenue la superstar de la rue bamakoise.
Le 5 juin dernier, s’il n’y avait pas une cohue d’apocalypse Place de l’Indépendance en plein cœur de la capitale malienne, ce sont tout de même près de 70 000 personnes qui ont répondu à l’appel de l’imam de Badalabougou pour ce qui avait tout l’air d’une démonstration de force. Dicko et le front d’opposition qu’il dirige, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques, savent désormais qu’ils pèsent beaucoup et tirent leur force de la colère sourde qui gronde au sein des populations qui, pour reprendre le chercheur Ibrahim Maïga, en sont devenues le « visage » et l’imam Dicko le « porte-parole ». Cela vient confirmer une chose : que toutes les crises, comme l’écrit si bien Johanna Siméant dans Contester au Mali (Khartala, 2016) « sont tissées de l’ordinaire des sociétés qui les connaissent ». Car la contestation en cours est bien révélatrice d’un pays en crise.
Lors du point de presse du mercredi 17 juin à la CMAS, le tour des propos de l’imam laissaient peu de place au doute quant à sa détermination et celle de ses partisans qui semblent pour le moment passer à la moulinette l’image d’Épinal d’un peuple de consensus longtemps accolée au Mali. Le pays traverse donc une zone de turbulences avec ces mobilisations fondées sur le recours à la rue, ce qui suppose par ailleurs l’éventualité de la violence. Certes, l’imam Dicko ne fera pas sonner les trompettes de Jéricho ce vendredi 19 juin. Mais une réédition de la manifestation laisse craindre une radicalisation de la contestation qui pourrait donner lieu, sur long terme, à des situations de tensions notamment entre forces de l’ordre et manifestants. Et c’est aussi le signe inquiétant que s’engage un bras de fer qui n’augure rien de bon pour l’avenir immédiat.
En face, la réponse apportée a aussi un goût de réchauffé, notamment en ce qui concerne la proposition d’un gouvernement d’union nationale : une formule usée par les prédécesseurs du Président Keïta et lui-même. Et c’est là où les figures politiques de la contestation doivent surveillées comme le lait sur le feu. À ce propos, ce qu’a dit l’avocat Me Abdourahamane Ben Mamata Touré est à redire, à savoir qu’un gouvernement d’ouverture n’est pas la solution. Si les figures de la contestation entrent dans un gouvernement d’union nationale, l’on se retrouvera alors dans les mêmes considérations néo-patrimoniales où ceux qui ont été éloignés des circuits de redistribution luttent contre vents et marées pour pouvoir revenir et continuer à avoir le maximum de bénéfices et faire de l’accumulation de la prébende. Les jours et les décisions qui suivront la marche de ce vendredi nous diront si la contestation dirigée par l’imam Dicko, à laquelle rien ne semble résister, fera long feu. D’autant que Dicko, qui est la pièce maîtresse du dispositif du mouvement de contestation, risque d’avoir à gérer un autre front au sein de la galaxie religieuse, notamment musulmane, qui est loin d’être un bloc monolithique.
Source: Benbere