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Édito : Officier félon ?

La langue française reste bien vivante au Mali. La preuve, l’emploi de l’archaïse « félon ». Du reste, ce n’est pas la première fois. Il y a de cela quelques semaines, c’était une délégation de l’AEEM reçue au palais présidentiel qui, pour la première fois, entendait cet autre archaïsme « féal ». Or, il se trouve que les deux mots sont des antonymes appartenant au vocabulaire de la chevalerie, donc, au Moyen-Age. Par rapport à son suzerain, le chevalier pouvait être soit félon, soit féal : dans le premier cas, il est traite à son serment de fidélité ; dans le second cas, il y est fidèle.

Ce rappel nous ramène au fait de cette seconde quinzaine de décembre. Un officier général vient de se faire traiter d’ « officier félon ». La portée du mot a-t-il été suffisamment évaluée ? Comment ne pas penser, face à une telle charge, à cette phrase de Georges Duhamel : « Traiter quelqu’un de félon, il n’y a pas de plus grande injure. » (Cf. Les Refuges de la lecture, II, page 28). La campagne pour la présidentielle de 2018 aurait-elle déjà commencé ? Le cas échéant, les adversaires auraient-ils décidé de ne se faire aucun quartier ?

Tout est partie d’une démission, suivie de déclarations à ne pas plaire à tout le monde, surtout, à ceux qui appartiennent au premier cercle du pouvoir. La démission est celle d’un officier qui, conformément à une disposition de la Constitution de 1992, a choisi de quitter l’armée pour se lancer dans la politique. Il justifie sa décision par le souci d’apporter sa pierre au redressement du Mali.

A première vue, l’on pourrait se demander en quoi cela peut-il être assimilé à un acte félon. Mais, en politique,  chacun évalue la réalité en fonction de ses intérêts, et cette candidature a de quoi donner le frisson à plus d’un responsable politique malien ; d’où, peut-être, la violence de la réaction contre cette démission et les déclarations qui l’ont suivie.

En effet, si le démissionnaire franchit le Rubicon et se porte candidat, cela devra faire réfléchir par deux fois. Nous sommes dans un pays où, il y a de cela quelque vingt-cinq ans, une phrase a fait florès : « Nous ne voulons pas de l’ancien, c’est du nouveau qu’il nous faut » (antè korolèn fè fo kura). Ceux qui, en 1991 avaient dix ans, en ont actuellement trente-six. Ils n’ont pas connu la « Dictature », ils vivent l’ère de « l’ouverture démocratique » qui, pour eux, n’est pas loin de s’assimiler à une ère des plus difficiles : au quotidien, ils sont confrontés à une réalité ayant pour noms : formation inadaptée, chômage, absence de perspectives. Ils sont sans repères, or, ils éprouvent le besoin d’en avoir, afin de se réaliser en donnant un sens à leur vie. Ils sont à la fracture sociale, au fait que certains puissent tout se permettre quand d’autres suent sang et souffrance pour survivre.

Les responsables politiques qu’ils ont connus sont les mêmes depuis plus d’un quart de siècle, tiennent toujours les mêmes discours. Comment, dans ces conditions, ne prêteraient-ils pas oreille attentive à quelqu’un de la même génération qu’eux ? Il est une donnée qui se vérifie à travers la vie de l’humanité : tous les vingt-cinq ans, elle connaît un conflit de génération. Des politiques anticipent ce conflit et  réussissent à y faire face. D’autres se laissent surprendre et, maladroitement, essaient de résister, échouent et, par la petite porte, sortent de l’histoire.

L’officier qui vient de démissionner, au cas où il briguerait la magistrature suprême, devrait avoir les mots qu’il faut pour redonner espoir à ceux qui désespèrent, les ressources nécessaires pour remettre debout un pays tombé bien bas, éclaté en morceaux et placé sous tutelle étrangère.  Il serait exagéré de le traiter de félon. A moins qu’il n’y ait eu un deal entre lui et le pouvoir et qu’il aurait trahi. Dans ce cas, le peuple entend être édifié afin de mieux connaître qui est qui.

 

LA REDACTION

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