L’opposition malienne, au sortir des dernières élections législatives, donne l’impression d’être caractérisée par une absence de vision démarquée de celle de la majorité au pouvoir, au-delà des dénonciations constantes de la gouvernance du pays. L’absence subite et imprévue de son chef de file, Soumaila Cissé, a également laissé cette opposition en manque de figure de proue capable de porter ses aspirations et la tirer vers le haut. Différents regroupements, structures ou personnalités politiques tentent de donner de la voix, mais leurs intérêts politiques divergent.
Fondamentalement aujourd’hui, trois plateformes engagées dans une dynamique de regroupement national s’activent dans l’opposition politique malienne. La première est le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), regroupé autour de l’URD et incarné par Soumaila Cissé. Il y a ensuite un regroupement de partis autour de Sadi du Dr. Oumar Mariko, dont le parti, en s’engageant dans le groupe parlementaire Benso à l’Assemblée nationale, a rallié la majorité présidentielle. Enfin, une nouvelle plateforme citoyenne cordonnée par Cheick Oumar Sissoko est en train d’émerger.
L’URD étant toujours la première force politique de l’opposition, ce qui d’ailleurs donne tout son poids au FSD, l’enlèvement de Soumaila Cissé peu avant le premier tour des élections législatives a laissé un vide énorme dans les rangs du parti et du FSD.
S’il faut reconnaître que ce dernier est resté très actif sur la scène politique, il n’en demeure pas moins vrai que le front est amputé d’une figure de proue qui faisait l’unanimité, au moins au plan institutionnel.
Une multitude de voix
« En l’absence aujourd’hui de Soumaila Cissé, il y au moins deux ténors qui se dégagent au FSD, Choguel Kokala Maiga du MPR et Mountaga Tall du CNID. Il faut reconnaître qu’ils ont assez parlé mais qu’ils ne sont pas très audibles, de telle sorte qu’il sera très difficile qu’ils soient porteurs de l’opposition », craint Salia Samaké, analyste politique.
Mais, selon lui, une grande fédération des différentes formations politiques du FSD pour donner plus de voix à ces deux personnalités pourrait être une piste pour l’opposition.
Quant au regroupement de partis autour de SADI de l’ex député de Kolondiéba Dr. Oumar Mariko, bien qu’il paraisse à bien des égards assez crédible en termes de constance et de vision démarquée du reste de la classe politique, il a du plomb dans l’aile et arrivera très difficilement à être le porte-étendard de l’opposition malienne, selon la plupart des analystes.
« Je ne pense pas que Mariko soit assez fort actuellement pour conduire la politique qu’il souhaiterait, d’autant plus que son obédience communiste n’est pas acceptée par le système libéral et capitaliste qui est en train de gouverner le monde », fait remarquer le politologue Boubacar Bocoum.
Une opinion que corrobore le chercheur au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES), Khalid Dembélé. « Je pense que l’opposition d’Oumar Mariko est une opposition idéologique. Son parti, SADI, s’inspire de l’idéologie communiste et continuera à s’opposer à tous ceux qui n’entreront pas dans la droite ligne de leur idéologie. Cela ne pourra pas les propulser au-devant d’une opposition à l’idéologie plus ou moins différente ».
Meme son de cloche chez Salia Samaké, pour lequel Oumar Mariko, pour les Maliens, c’est « du déjà entendu et du déjà vu », qui n’a jamais pu s’imposer comme une opposition crédible. « Il va certes continuer avec sa liberté de langage, mais je ne suis pas sûr qu’il ait la crédibilité et la force politique nécessaires pour prendre prendre les rênes de l’opposition actuelle ».
D’un autre côté, la plateforme citoyenne émergente de Cheick Oumar Sissoko se positionne aussi fermement dans l’opposition, mais ne peut pas encore devenir une locomotive contre le pouvoir en place.
Par ailleurs, d’autres cadors du mouvement démocratique malien, à l’instar de Modibo Sidibé des Fare An ka Wuli, sont trop fortement diminués aujourd’hui pour prendre les devants, selon les analystes. « En réalité, la génération politique de 1991 a largement montré ses limites. Il faut un renouvellement », tranche M. Bocoum.
Mara se positionne
À côté des regroupements ou structures de l’opposition, il y a des leaders de partis politiques qui, sans adhérer à la vision de la plupart des formations se réclamant de l’opposition, mènent le combat politique à leur manière. Au rang de ceux-ci, l’Honorable Moussa Mara, qui se démarque considérablement depuis un moment, à travers ses prises de positions très critique vis-à-vis du pouvoir en place.
Plus ou moins crédibilisé aux yeux d’une certaine opinion par l’attitude des députés de l’URD lors de l’élection du Président de l’Assemblée nationale, qui ont porté leur choix sur le candidat de la majorité plutôt que sur lui alors qu’il représentait d’une manière ou d’une autre l’opposition, l’ancien Premier ministre semble de nouveau avoir une carte importante à jouer dans l’arène politique nationale.
Est-il aujourd’hui dans une posture d’incarnation de cette nouvelle figure de proue qui tirera la véritable opposition du régime vers le haut ? L’Honorable Moussa Mara garde les pieds sur terre. « Peut-être qu’aujourd’hui nous sommes plus audibles et visibles, avec les élections législatives et l’absence du chef de file de l’opposition Soumaila Cissé, que nous regrettons très fortement. Peut-être aussi que nous le sommes du fait que les députés de l’URD ne votent plus différemment de ceux de la majorité à l’Assemblée nationale », relativise le Président de Yelema.
Nouvelle opposition ?
« Nous suivons notre petit bonhomme de chemin, avec humilité mais aussi avec fermeté, en ce qui concerne l’intérêt des Maliens et du Mali. Nous n’avons pas d’autres prétentions que cela », clame-t-il.
Un chemin qui, selon Khalid Dembélé, peut-être gagnant pour le député élu en Commune 4 du District de Bamako et pour son parti si, sur le long terme, ils continuent sur la même trajectoire et s’abstiennent d’entrer au gouvernement ou de rejoindre pour une raison ou une autre la majorité présidentielle.
« À cet prix, il pourra à long terme incarner ce renouveau d’une classe politique qui peut se démarquer de l’ancienne et s’opposer véritablement au pouvoir en place ».
Se démarquer de l’opposition existante, c’est l’ambition et le crédo de l’Honorable Moussa Mara, qui ne s’en cache pas, et à qui les évènements à l’Hémicycle semblent donner raison.
« Nous avons voulu former un groupe d’opposition indépendant à l’Assemblée. Il se trouve que nous n’avons trouvé aucun parti prêt à s’inscrire dans ce groupe. À l’exception de l’URD, tous les partis présents à l’Assemblée sont dans la majorité, y compris ceux dont les directions se présentent comme étant de l’opposition », regrette-t-il.
« Nous espérons que des députés viendront nous rejoindre et peut être que d’ici quelque temps nous pourrons former un groupe d’opposition indépendant. Notre action à l’Assemblée sera située dans la défense intransigeante de l’intérêt des Maliens ».
Mais, malgré cette volonté affichée d’incarner une troisième voie entre l’opposition classique et la majorité présidentielle, l’ancien Premier ministre ne convainc pas certains observateurs. « Je pense qu’il est aujourd’hui plutôt en quête d’un repositionnement sur l’échiquier politique national, parce qu’il était en perte de vitesse et que le contexte s’y prête », glisse Boubacar Bocoum.
Dans un tout autre registre, mais dénonçant aussi la mauvaise gouvernance imputée au régime, l’Imam Mahmoud Dicko, à travers sa CMAS, n’a assurément pas dit son dernier mot dans le combat politique que mène l’opposition. Il pourrait d’ailleurs jouer les trouble-fêtes, si tant est que les politiques continuent de s’emmêler les pinceaux. Dans cette optique, la CMAS a participé avec le FSD et l’EMK de Cheick Oumar Sissoko à une rencontre tripartite le 26 mai 2020 et appelé à une grande mobilisation pour le « sursaut national face à la gouvernance chaotique et prédatrice… ».
Toutefois, comme l’affirme l’ancien ambassadeur, Souleymane Koné, « la lutte de l’opposition n’est en aucun cas une question de personnes, mais de structures et de dynamique politique ».
Germain Kenouvi
Journal du Mali