Des files d’attente interminables, des points d’eau en nombre insuffisant et peu opérationnels… L’accès à l’eau potable est un véritable parcours du combattant à Niamakoro, en Commune V du District de Bamako. Avec un accroissement important de la population et l’insuffisance des infrastructures d’approvisionnement, la pénurie est récurrente. Conséquence : les habitants redoutent particulièrement la saison sèche à venir.
« Pour avoir de l’eau ici, il faut veiller tard dans la nuit. Souvent, j’attends jusqu’à 2 heures du matin », témoigne Mariam Kéïta, pour qui la corvée d’eau fait partie du quotidien ; depuis environ 30 ans qu’elle vit à Niamakoro, en Commune V du District de Bamako. Les journées et les soirées de cette mère de famille sont rythmées par la recherche d’eau potable. « Vous ne pouvez rien faire sans eau. Ma famille est nombreuse et les besoins sont grands », explique Madame Kéïta. Elle peut ainsi refaire 3 fois le plein de ses 6 bidons de 20 litres, « lorsqu’il y a de l’eau ». Pourtant, elle fait figure de privilégiée dans ce vaste quartier de 7 000 km2 et de plus de 100 000 âmes, à cheval entre les Communes V et VI de Bamako, car elle habite juste en face d’un des rares points d’eau. Lorsqu’elle s’installait dans ce quartier spontané de la périphérie de Bamako, dont le lotissement est intervenu beaucoup plus tard, il n’en existait aucun. Les habitants étaient obligés de se ravitailler dans le quartier voisin de Kalabancoura. Aujourd’hui, malgré l’existence de plusieurs points d’approvisionnement, l’accès à l’eau potable est un casse-tête pour les habitants des 3 grands secteurs de Niamakoro. L’eau est disponible seulement quelques heures par jour dans les fontaines privées. « C’est seulement pendant l’hivernage qu’il y a un léger mieux. « Hier, par exemple, je suis rentrée à 23 heures, après avoir attendu toute la journée en vain », explique Diouma Diaby, gérante d’une fontaine depuis plusieurs années. Ce sont les mêmes clients qu’elle retrouve tous les matins avec leurs récipients vides. Ce vendredi matin est plutôt exceptionnel : l’eau, qui est arrivée vers 3 heures du matin, n’est toujours pas coupée alors qu’il est presque 11 heures. La joie de la vendeuse est cependant mesurée. Elle espère pouvoir remplir les dizaines de bidons de la file d’attente avant une nouvelle coupure, qui risque de durer jusqu’au lendemain.
L’eau au compte-gouttes Des coupures de plusieurs heures, ou même de plusieurs jours, c’est aussi à cela que doit faire face Madame Anta Guindo, gestionnaire de sa borne fontaine depuis 7 ans. « Cette fontaine est ma seule source de revenus. Si je n’arrive plus à vendre d’eau, comment vais-je nourrir ma famille ? », s’inquiète-t-elle. Après 4 jours de coupure, elle se rend à la Somagep, la société de distribution de l’eau au Mali. Sur le procès-verbal daté du 1er février 2018 qu’elle nous tend, il est écrit en observation « Manque d’eau ». Sur les 4 châteaux d’eau censés desservir la zone, seuls 2 sont remplis, selon Madame Guindo.
Ici plus qu’ailleurs, l’eau potable est une denrée vitale de plus en plus rare. Pratiquement dans toutes les familles il y a des puits mais ils sont à sec. « Avant, il y avait de l’eau dans les puits et elle était de bonne qualité. Maintenant, ce n’est plus le cas », déplore Mariam Kéïta. Plusieurs puits se sont asséchés, car cette année est particulière. Les puits de cette zone rocailleuse se remplissaient avec l’hivernage et ne commencent à tarir qu’en avril ou en mai. Plusieurs d’entre eux n’avaient déjà plus d’eau fin janvier, situation qui fait craindre le pire aux habitants de Niamakoro.
Peu d’alternatives Dans ces conditions, pour s’approvisionner en eau potable, les habitants ont peu d’alternatives : prendre d’assaut les châteaux d’eau du quartier, où il n ya pas de coupure, ou acheter de l’eau chez les revendeurs. Ces derniers, qui font aussi la même corvée pour remplir leurs fûts, en font payer le prix. Ainsi, le bidon de 20 litres acheté 15 francs CFA est revendu entre 50 et 150 francs. « C’est fonction de la distance parcourue et aussi du temps passé à attendre », nous confie un revendeur, qui affirme veiller lui aussi. « En plus, il faut acheter tout leur chargement, c’est-à-dire les 6 bidons », affirme une cliente, « car ils refusent de vendre à l’unité ». Prenant cette situation avec une certaine fatalité, Madame Oumou Traoré, une grand-mère dans la soixantaine qui vit à Niamakoro depuis une vingtaine d’années, constate en plaisantant « mes enfants ont fait cette corvée d’eau. Maintenant, c’est au tour de mes petits-enfants. Même si tu n’es jamais venue à Niamakoro, tu as sûrement eu écho de notre problème d’eau ». En fait, comme plusieurs mères de familles d’ici, elle redoute la période de chaleur, où la pénurie s’exacerbe. « Il n’est pas rare d’assister à des bagarres pour de l’eau. Lorsque les gens ont attendu toute la journée et que l’eau arrive enfin, à faible débit, ils s’impatientent et tout le monde veut être servi. Cela amène des incompréhensions », relève la sexagénaire, qui joue très souvent les médiatrices. Il arrive même que certaines femmes aient des problèmes dans leurs foyers à cause de l’eau. En effet, lorsqu’elles restent une bonne partie de la soirée à attendre à la fontaine, « leurs maris pensent que c’est pour autre chose. Mais, quand ils viennent voir, ils se rendent compte de la réalité », ajoute Madame Anta Guindo, une gérante. Alors qu’elle peut vendre chaque jour de 12 500 à 15 000 francs CFA quand l’eau est disponible, maintenant elle gagne péniblement 2 500 francs par jour. Une situation qui ne fait qu’empirer, malgré la multiplication des bornes fontaines même dans les familles. Ce serait d’ailleurs l’une des raisons de la pénurie d’après Madame Guindo. Durant les 5 premières années de gestion de sa fontaine, elle avait l’exclusivité du branchement. Mais, passé ce délai et selon les termes du contrat, des extensions ont été effectuées par la Somagep, environ une dizaine, selon elle. « Depuis, j’ai d’énormes difficultés pour avoir de l’eau. Souvent, ceux qui ont été connectés plus tard que moi au réseau ont de l’eau et moi pas », constate-t-elle non sans amertume.
Réseau peu performant Pourtant, des points d’eau continuent d’être installés dans les différents secteurs de Niamakoro, comme celui, proche de Faladié, de « Chèbougouni », où certaines fontaines ont été implantées en mai 2017. « Malheureusement, elles ne sont pas encore fonctionnelles », regrette Madame Bintou Koné, qui a eu la « chance », d’en avoir une juste devant sa concession. Pour avoir de l’eau, il faut être parmi les premiers à se lever. « Je me rends au forage, situé dans la rue voisine, dès que j’ai fini la prière de l’aube et souvent ce n’est que vers 10 ou 11 heures que j’ai de l’eau ».
Non loin de là, les habitants du quartier de Daoudabougou, situé sur la voie expresse qui mène à l’aéroport, partagent les mêmes réalités. Les files d’attente devant les points d’eau font partie de la vie du quartier. « Notre puits est tari depuis une dizaine d’années. Depuis hier nous n’avons pas d’eau. Souvent, il nous arrive de passer la nuit sur place », affirme Kadia, une mère de famille qui est parmi les premières résidentes du quartier. Si la situation a visiblement évolué avec l’existence de nombreuses bornes fontaines, elle ne s’est guère améliorée, car le calvaire pour avoir accès à l’eau potable est toujours le même. Les habitants d’ici et d’ailleurs attendent donc avec beaucoup d’espoirs la concrétisation du projet d’adduction d’eau de la ville de Bamako à partir de Kabala. « On nous a dit que d’ici la fin de cette année nos problèmes d’eau seraient réglés », confie avec enthousiasme la mère de famille.
Journal du mali