.
Une contribution de
Romain Grandjean
Associé chez 35°Nord, agence de communication entièrement dédiée à l’Afrique, ancien journaliste et entrepreneur en Afrique
et de
Philippe Perdrix
Associé chez 35°Nord, agence de communication entièrement dédiée à l’Afrique, ancien journaliste à RFI et Jeune Afrique
.
« Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème », disait l’homme politique américain John Bowden Connally en s’adressant au reste du monde. La même réplique pouvait s’appliquer au franc CFA, « une monnaie africaine, mais le problème de la France », tant il cristallisait les relations avec le Continent.
Vestige des années coloniales, le vieux « Franc des colonies françaises d’Afrique » créé en 1945 n’était plus accepté par les opinions publiques africaines qui considéraient, non sans raison, que cette monnaie incarnait le temps révolu de la Françafrique.
Depuis plusieurs années, on assistait même à une hystérisation du débat, entre ceux qui saluaient la stabilité monétaire en raison principalement d’une convertibilité illimitée du CFA et de la parité fixe avec l’euro, et les autres qui accusaient Paris de maintenir la zone franc (14 pays) sous tutelle ou même en situation de « servitude » monétaire, ne manquant pas d’arguments, il est vrai : un nom totalement anachronique, la présence d’administrateurs français au sein des Banques centrales de la zone franc, l’impossibilité pour celles-ci de faire bouger le cours de leur monnaie pour gagner en compétitivité et ne pas subir notamment les fluctuations de la parité euro/dollar, des réserves de change logées à hauteur de 50 % dans un compte d’opération du Trésor public français et l’impression des billets à l’imprimerie de la Banque de France à Chamalières…
« Un totem à abattre pour s’affranchir du passé »
Soixante ans après les indépendances, les avantages évidents de cette monnaie unique – facteur d’intégration économique et de faible inflation – étaient totalement balayés par des fonctionnements devenus insupportables pour les populations africaines, jeunes et affranchies de l’ancienne puissance coloniale.
En fait, le débat n’était pas tant technique, que politique et symbolique, clivant et polémique, passionné et exacerbé. Le CFA était devenu un totem à abattre pour s’affranchir du passé.
La conférence organisée en octobre dernier à Sciences Po par les étudiants de l’École et le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) aura été de ce point de vue un « test » grandeur nature. Face-à-face, le « pro-CFA » Lionel Zinsou et « l’anti-CFA » Kako Nubukpo ont su délaisser les anathèmes pour dessiner les contours d’un consensus possible et souhaitable.
Pour ceux qui en doutaient encore, cette conférence à Sciences Po aura apporté la démonstration que le statu quo n’était plus tenable. Les lignes devaient bouger pour sauver l’essentiel : une monnaie unique et stable.
Mais à Paris, les autorités françaises ne pouvaient pas prendre d’initiatives seules sous peine de raviver les accusations de « colonialisme ». Sur le continent, par peur du vide, les dirigeants institutionnels ont souvent brillé par leur mutisme, laissant le champ libre à des opinions publiques persuadées que le CFA était la cause principale du retard de développement. Les discours populistes et démagogiques, voire conspirationnistes et anti-France, commençaient à s’engouffrer dangereusement dans la brèche.
L’annonce de la réforme du franc CFA par les Présidents Ouattara et Macron à Abidjan, le 21 décembre, lors d’une conférence de presse conjointe, a donc été un numéro d’équilibriste savamment orchestré, mêlant habileté tactique et volontarisme politique. Les deux verrous symboliques ont sauté : le nom et la présence totalement surannée des administrateurs français au sein des Banques centrales. À cela s’ajoute l’élément technique qui radicalisait les positions anti-CFA : les réserves de change domiciliées en France.
L’Élysée avait annoncé un voyage « jupitérien » consacré aux questions sécuritaires et militaires. Ces sujets ont bien rythmé le voyage, mais l’Histoire retiendra surtout que c’est à Abidjan que l’Eco a remplacé un franc CFA devenu indéfendable.
Espérons que cette étape indispensable puisse permettre à la France et à l’Afrique francophone d’aborder enfin un avenir commun, articulé autour d’un partenariat débarrassé de tout surmoi colonial pour profiter à plein de nos atouts réciproques : une proximité historique et politique, une langue en commun, des potentiels économiques évidents…
La France sans l’Afrique n’est plus une grande puissance, l’Afrique sans la France perd un allié et un partenaire essentiel à son développement. Le vieux CFA ne pesait pas bien lourd face à ces enjeux.
Source : AfricaPresse.Paris