Dans cet entretien qu’il nous a accordé, le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel revient sur le sommet de Pau qui a réuni les présidents des pays du G5 Sahel et de la France en janvier et invite les autorités à engager des négociations avec les chefs des groupes terroristes
D’entrée de jeu, Dr Aly Tounkara critique les conditions dans lesquelles s’est tenu le sommet de Pau qui, selon lui, n’ont pas été diplomatiques et courtoises. À la lecture du premier geste du président Macron, explique-t-il, on pourrait comparer son acte à une convocation, même si le format s’est beaucoup amélioré avec le report de la date initialement prévue. «Concrètement, je pense que le sommet de Pau, au-delà de son caractère contraignant, a dénoté combien les États africains, notamment ceux du G5 Sahel font l’objet d’une dépendance accrue quant à la situation sécuritaire au Sahel», dit-il. Pour Dr Aly Tounkara, la présence française au Sahel ne s’inscrit pas dans une logique humanitaire désintéressée, comme on a tendance à le faire croire en France. «Aujourd’hui, on sait pertinemment que l’apport de la France est important dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent dans le Sahel, mais cet apport ne peut pas se résumer à un acte désintéressé», estime le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel qui pense que la présence française au Sahel s’explique aussi par la préservation des intérêts de la France, à travers certaines entreprises.
L’État français, poursuit-il, a l’obligation de sécuriser ces entreprises où qu’elles se trouvent et cela, pour des raisons évidentes. Mais, admet Dr Aly Tounkara, il faut être réaliste et reconnaître la fragilité des États en Afrique. «Quand on prend le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ces trois pays fortement étranglés par les attaques terroristes ne sont pas seuls capables d’assurer la sécurité de leurs populations et leurs biens. Or, la France sait que les terroristes peuvent planifier des attentats sur le sol français à partir du Sahel», explique Dr Tounkara. Selon lui, le Sahel constitue une menace pour la quiétude du peuple français et de manière générale pour l’Europe. C’est pourquoi, le président français est revenu sur l’impérieuse nécessité pour les autres États européens de continuer à contribuer aux efforts de lutte contre le terrorisme. «Les États européens savent que la fragilité des armées africaines, la mal gouvernance dans ces pays pourraient conduire ces terroristes à se positionner davantage dans le Sahel pour orchestrer des attaques terroristes contre eux. Leurs inquiétudes sont donc légitimes et tout pays sérieux et soucieux de sa sécurité aurait la même réaction.», avance notre interlocuteur.
DE SÉRIEUX BLOCAGES-Mais pour le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel, il y a un paradoxe, quand on examine ce que préconise le somment de Pau, à savoir l’envoi de 220 militaires français et la possibilité de mener des actions conjointes entre Force Barkhane et Force conjointe du G5 Sahel. D’après lui, l’on se rend compte que les demandes qui sont satisfaites par les chancelleries occidentales sont très souvent des demandes qui n’ont pas été formulées par les pays bénéficiaires de ces différentes aides. Pour preuve, argumente-t-il, ce que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont exprimé comme besoin n’est pas ce qui a été fait par la France. Pis, Dr Aly Tounkara estime qu’aucun de ces États n’avait formulé la demande d’envoyer 220 soldats supplémentaires. La demande commune à ces États était la dotation des armées africaines de flottes. Mais à aucun moment, dit-il, le président français n’a dit que les pays occidentaux vont mettre à la disposition des armées africaines des avions de chasse dans un avenir proche. Mais pour ce faire, il fallait que les chefs d’État du G5 Sahel mettent la question sur la table, ce qui n’a pas été fait. «Il est difficile d’imaginer, un tant soit peu, des officiers français évoluer sous le commandement d’une armée sahélienne pour tout ce qui concerne les questions sécuritaires. C’est du mirage et il y a de sérieux blocages, en termes de sincérité et de coopération dans l’action militaire», martèle Dr Aly Tounkara.
Pour le directeur, ce n’est pas à Bamako, Niamey ou Ouagadougou qu’il faut s’entendre sur le commandement. Cette question devait être tranchée à Pau. Concernant le G5 Sahel, il pense qu’il y a des zones d’ombre qui devaient être levées lors du sommet de Pau. «En marge du sommet du G7, c’est le président Macron et la Chancelière allemande qui ont parlé d’une possible expansion du G5 Sahel à d’autres États, pas les pays africains. Pourtant, on dit que le G5 Sahel est une entreprise africaine réfléchie et conçue par des Africains», relève-t-il.
Parlant des négociations avec les terroristes, Dr Aly Tounkara pense que celles-ci sont nécessaires et peuvent contribuer au retour de la paix. «On peut dialoguer avec Iyad Ag Ghaly, Saharaoui, Malam Dicko… Il n’est pas tard et il faut même aller vers cela», suggère-t-il, ajoutant que ce qu’on reproche aux groupes radicaux violents reste également valable pour les ex-indépendantistes qui ont tué et qui se sont attaqués aux symboles de l’État. «Ce qui se passe au Qatar entre les États-Unis et les Talibans qui sont plus radicaux que les djihadistes de notre région est un témoignage éloquent que le dialogue est indispensable», conclut le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel.
Dieudonné DIAMA