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Dr. Abdramane Sylla, ancien ministre, Professeur d’Histoire des Relations Internationales : «Le nucléaire revêt pour nous Africains une question de survie, voire de l’avenir de notre développement»

L’énergie nucléaire. Un cercle fermé des puissances occidentales la considère comme son domaine réservé. Une logique impérialiste pour maintenir les autres sous leur influence.  Aussi bien que ces Etats usent de tous les moyens pour faire main basse sur les matières premières en Afrique, qui alimentent les centrales nucléaires en Europe ou aux Etats-Unis. Comme le Niger, le Mali aussi regorge cette matière première qu’est l’Uranium. L’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins civiles devient, au 21ème  siècle, pour tout Etat, notamment pour les Etats africains, une question de prime importance pour leur développement, si tant est entendu qu’il n’y a pas de développement sans électricité. Cependant la question de l’électrification demeure préoccupante dans la plupart des Etats africains et particulièrement en Afrique de l’Ouest où l’insuffisance de l’électricité se traduit par l’absence d’industries et d’infrastructures d’envergure de développement. Le cas du Mali est devenu aujourd’hui une question de survie de notre économie. Pour le Dr. Abdramane Sylla, Professeur d’Histoire des Relations Internationales, qui s’est prêté à nos questions, «il est difficile d’atteindre une totale satisfaction de la question d’électrification sans l’apport de l’énergie nucléaire, qui est la seule source pérenne et capable de satisfaire nos besoins». Il met l’accent sur l’énorme potentialité (une très grande quantité d’électricité) qu’offre une centrale nucléaire: par exemple, un seul gramme d’uranium 235 pouvant produire l’équivalent de deux tonnes de fioul d’électricité. L’investissement est certes coûteux, mais sur la durée, il devient beaucoup moins cher, selon notre interlocuteur. Grand connaisseur de la Russie, pour y avoir fait ses études et maintenu des liens amicaux et de collaboration, l’ancien ministre des Maliens de l’Extérieur, Dr. Abdramane Sylla, soutient fermement que le pays de Vladimir Vladimirovitch Poutine est disposé aujourd’hui à aider les Africains. La Russie étant le seul Etat à avoir la maîtrise totale de tout le processus d’enrichissement de l’uranium, notre pays saisira certainement l’opportunité de ce partenariat, en se dotant des centrales nucléaires civiles pour leurs besoins de développement. Lisez!

 

Le Républicain: La question de l’énergie nucléaire occupe une place de choix en Afrique, depuis un certain temps. En tant qu’universitaire, Professeur d’Histoire des Relations Internationales, quel est votre regard sur le sujet ?

Dr. Abdramane Sylla: La question de l’énergie nucléaire, à prime abord, peut poser des appréhensions aux Etats, mais plus singulièrement aux puissances impérialistes, qui ne souhaitent pas, à part un cercle restreint dans lequel se trouvent leurs Etats, que d’autres puissent même en parler. La question nucléaire, comme beaucoup d’autres choses, les matières premières, les minerais précieux, les matières agricoles, la technologie nouvelle etc. sont sous contrôle des puissances. La maîtrise des nouveaux instruments de pouvoir, en dehors des matières premières, comme la technologie, les communications, l’information, aussi bien que le commerce et les finances est indispensable par elles.

Il est tout aussi important de comprendre que c’est un sujet à la fois de géopolitique, mais surtout de géostratégie. L’énergie nucléaire dépend d’un combustible fissile qu’est l’uranium, dont le minerai se trouve dans le sous-sol. Un minerai que l’on trouve aussi chez nous au Mali à Faléa, dans le cercle de Kéniéba.

Les différentes étapes de traitement, je veux dire d’enrichissement de l’uranium, peuvent conduire à la fabrication de la bombe. Vous comprenez donc son intérêt géostratégique. L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a fait de cette question un tabou et a même interdit à certains Etats d’en produire. L’Afrique est décrétée à cet effet comme continent propre dénucléarisé. Ce n’est nullement pas pour nous un souci quelconque de protection, mais de nous maintenir dans la dépendance. Nos matières premières sont exploitées pour servir au développement de ses puissances, et à l’expression de leur suprématie. Les seuls Etats en Afrique disposant de centrales nucléaires sont l’Afrique du Sud et l’Egypte d’ailleurs en construction. Dans le cas que vous voulez soulever, il s’agit de la question de l’énergie nucléaire à des fins civiles.

Cette question de l’énergie nucléaire à des fins civiles doit-elle avoir une grande importance pour nous Africains ?

Cette question revêt pour nous Africains une question de survie, voire de l’avenir de notre développement. Nous avons tous appris à l’école que sans électrification, il n’y a pas de développement. La question de l’électrification demeure entière dans tous les Etats africains. Son insuffisance ou son inexistence se traduit par l’absence quasi-totale d’industries, et d’infrastructures d’envergure de développement. Il est difficile d’atteindre une totale satisfaction de la question d’électrification sans l’apport de l’énergie nucléaire, qui est la seule source pérenne et capable de satisfaire nos besoins.

Une centrale nucléaire est capable de produire une très grande quantité d’électricité. Imaginez-vous par exemple qu’un seul gramme d’uranium 235 peut produire l’équivalent de deux tonnes de fioul d’électricité. L’investissement peut s’avérer coûteux, mais sur la durée, il devient beaucoup moins cher.

Les sources énergétiques actuellement exploitées au Mali n’ont pas pu répondre à souhait aux besoins d’électricité…

Au Mali, depuis plus de soixante ans d’indépendance, nous avons une couverture très faible des ménages qui demeurent insatisfaits avec un coût de facturation également très élevé. Le Mali dispose d’un potentiel de vingt sites de production d’énergie hydroélectrique identifiés pour une puissance de 1050 MW. En dehors des centrales hydroélectriques de Félou (0,6 MW) ; Sotuba (5,02 MW) ; Sélingué (44 MW) et Manantali (200 MW), il existe d’énormes potentialités, notamment dans le domaine du solaire insuffisamment exploité, de l’énergie éolienne, de la biomasse et bien d’autres sources. Des difficultés persistent dans ce secteur notamment le manque de vision pour son développement, l’insuffisance de ressources humaines qualifiées, l’absence d’unités locales de montage de composants de technologies d’énergies renouvelables, l’insuffisance de ressources financières en vue de faciliter l’accès aux crédits des promoteurs des technologies d’énergie renouvelable. Je dirai donc, qu’il urge même pour nous au regard des énormes potentialités qui existent dans notre pays, de se battre pour disposer de centrales nucléaires.

Le sujet de l’énergie nucléaire fait ressortir malheureusement le mauvais souvenir de la bombe atomique. Pensez-vous que les Africains vont tirer bénéfice de l’installation de centrales nucléaires en Afrique ? Comment ?

L’humanité toute entière a été ébranlée lorsque les Etats Unis ont largué, en 1945, sur Hiroshima et Nagasaki deux bombes atomiques qui ont tué plus de cent quarante mille personnes en quelques secondes et dont certains effets demeurent encore perceptibles aujourd’hui. Ces bombes ont révélé au monde le grand danger lié à la capacité de destruction massive. Depuis cette date, les puissances ont considérablement développé le risque de ces armes pour atteindre des seuils capables de détruire toute l’humanité, ce qui fait de la question un enjeu universel.

Les acteurs de l’énergie nucléaire civile sont les États, et particulièrement ceux qui sont dotés de l’arme nucléaire. Ils ont dû ainsi maîtriser les technologies qui sont au cœur du nucléaire civil. Parmi ces pays, on peut citer les États-Unis, la France, le Royaume Uni, la Russie, la Chine et l’Inde. Des puissances économiques non dotées d’armes nucléaires ont également des capacités nucléaires civiles. Il s’agit de l’Allemagne, du Canada, du Japon, la Corée du Sud etc.

L’énergie nucléaire compte pour près de 11.5% du mix de production électrique mondiale, approximativement 19.5% aux États Unis et 76% en France en 2015. L’énergie nucléaire a un rôle de plus en plus croissant dans les domaines de la Médecine (radiothérapie, imagerie médicale-IRM etc.), de l’espace avec la propulsion des satellites, l’intensification de la recherche technologique etc.

L’Afrique évidemment ne peut pas rester en marge de cette opportunité, surtout quand elle s’avère être pourvoyeuse de ces matières premières à la base de ce progrès. Il est temps de comprendre que l’on ne pourra pas continuer à faire le bonheur des autres avec nos richesses et vivre soi-même dans la misère.

Un pays est disposé aujourd’hui à aider les Africains, c’est la Russie qui, du moins, est le seul à avoir la maîtrise totale de tout le processus d’enrichissement de l’uranium ; il faudrait saisir ce partenariat. A l’instar des pays non dotés d’armes nucléaires, les pays africains doivent bénéficier des centrales nucléaires civiles pour leurs besoins de développement. Et puisque c’est nous qui disposons de l’essentiel des matières premières, il faut en fixer et le prix, les conditions et les choix des partenaires, c’est possible et c’est le moment.

Est-il préférable d’avoir des centrales nucléaires en Afrique que de voir les minerais africains aller ravitailler des centrales nucléaires en Europe, sans grand profit pour les africains, comme c’est le cas de l’uranium du Niger, qui profite peu aux Nigériens, plus de la moitié de la population étant sans électricité ?

Je viens de dire qu’en 2015, 76% de la production d’électricité de la France provenait de l’énergie nucléaire. L’uranium du Niger pour 20% participait à cette production. Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que ces matières premières exploitées en Afrique sont transformées et vendues ailleurs dans le monde et non chez nous. Le problème de l’uranium du Niger est un scandale sans précédent, quand on sait que depuis l’indépendance, ce métal est vendu au même prix à la France, qui n’a aucun souci ni du noir dans lequel vivent les Nigériens, ni des conditions des populations exposées au risque des radiations liées à cette exploitation. Il est important pour tous les pays africains de bien cerner toutes ces questions capitales de survie et de développement. Plus de complexe, les Africains sont allés étudier dans les meilleures universités du monde aux côtés des autres cadres, qui ne leur sont pas meilleurs, ils disposent de grandes compétences et ont besoin que leurs États leur fassent confiance. L’avenir de notre continent appartient aux seuls Africains.

Depuis le deuxième Sommet Russie-Afrique qui s’est déroulé les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Petersburg, notre pays s’intéresse étroitement à la question de l’énergie nucléaire. Quelles peuvent en être les perspectives pour le Mali et pour notre sous-région ?

Le Mali a adopté une politique nationale énergétique en mars 2006, qui fait ressortir certains constats : l’utilisation peu rationnelle des sources d’énergie disponibles, le faible taux d’accès aux énergies modernes, l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande, le faible taux de couverture énergétique du pays etc. ; la quasi-totalité de nos besoins énergétiques est liée à l’importation des hydrocarbures.

Il a été identifié 20 sites hydroélectriques à travers le territoire national pour une puissance de 1050MW. Quatre seulement de ces sites sont aménagés, représentant environ que 25% du potentiel national. Les besoins en termes de consommation énergétique globale du Mali dépassent les trois millions de tonnes équivalent en pétrole, qui se répartissent entre les ménages 86%, les transports routiers et aériens 10%, les industries (extractives) 3%, et l’agriculture moins de 1%. Le sous-secteur de l’électricité est loin d’atteindre ses besoins comme vous avez pu le constater avec les coupures fréquentes.

Il est donc important pour le Mali, compte tenu de l’excellence de ses relations avec la Russie, d’approfondir le développement de la question de l’énergie nucléaire. Il ne s’agira pas d’absorber le GAP énergétique, mais de se projeter dans un avenir nous permettant de disposer de suffisamment d’électricité pour le développement des mines telles que l’exploitation et la transformation de la bauxite, du fer et bien d’autres.

La récente visite d’une délégation malienne à Moscou avec la signature de deux mémorandums portant sur la réalisation d’une centrale nucléaire au Mali et sur la réalisation d’une carte minière, donne beaucoup d’espoir pour le futur de notre pays. Cet enthousiasme par rapport au nucléaire doit être compris non pas pour demain matin, mais dans le moyen terme. En dehors de l’énergie nucléaire, il est possible d’envisager la coopération avec la Russie pour la mise en valeur de toutes les sources énergétiques insuffisamment ou non exploitées. Nous avons la conviction profonde que le Mali est le cœur de l’Afrique de l’ouest, d’où partiront toutes les impulsions.

Pensez-vous que la question nucléaire prend inexorablement une ampleur géostratégique avec le renforcement de la coopération entre la Russie et des pays africains ?

La question nucléaire a toujours été au centre des sujets de géostratégie. Yves Lacoste développe le concept de géopolitique comme : « l’étude des différents types de rivalités de pouvoir sur les territoires,… la puissance se mesurant en fonction de potentialité interne et de la capacité à se projeter à l’extérieur de ce territoire et à des distances de plus en plus grandes. » La géostratégie a une vocation militaire perspective et dynamique qui découle de la Géopolitique. Pour qu’un Etat exprime sa puissance, il doit pouvoir rivaliser avec les autres dans les quatres domaines clés-militaire, économiques, technologiques et culturels. Cette volonté de domination sur les autres, du contrôle des matières premières à l’origine des conquêtes et des guerres, accentuent les rivalités géostratégiques. La relation actuelle du Mali avec la Russie, renforcée par la montée de la popularité des Russes en Afrique n’est pas sans conséquence surtout pour une puissance comme la France qui considère nos pays comme son pré carré. La présence russe à travers notre coopération, notre position géographique, notre volonté de nous affranchir de tous les diktats, la bataille entre les puissances pour le contrôle de l’espace vitale nécessaire à leur influence auront sans doute une explication géostratégique. L’exploitation de nos richesses par nous-mêmes et pour nous-mêmes va considérablement affaiblir certaines grandes puissances. Nous devrons librement choisir nos partenaires par respect pour notre propre souveraineté.

Réalisé par B. Daou

Source : Le Républicain

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