La série ininterrompue des attentats meurtriers au Pakistan, en Somalie, en Afghanistan, au Mali, et tout récemment à Paris et en Indonésie témoigne d’une expansion du phénomène djihadiste.
Avec, en Indonésie, une variante inédite et glaçante : l’attentat-suicide perpétré en famille… Si l’on observe les listes annuelles des attentats dans le monde depuis 2015, un fait s’impose à l’évidence : elles ne cessent de s’allonger démesurément. Avec des caractéristiques propres à chaque région du monde, et de nombreux points communs : l’une des deux familles responsables des attaques meurtrières de Surabaya, à l’est de Java, qui visaient notamment des églises chrétiennes, revenaient de Syrie. On passera sur l’écrasante responsabilité du régime Assad dans la prolifération du groupe Etat islamique, l’Histoire jugera et elle est déjà bien documentée. Mais dans la presse française, on tente de cerner cette forme « low-cost » et dangereusement « spontanée » du terrorisme islamiste – « spontanée », au sens où le jeune Tchétchène qui a poignardé cinq personnes à Paris, bien que fiché S et surtout enregistré au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), créé en 2015, est passé sous les radars de la vigilance anti-terroriste.
Le facteur “urbain”
Dans Le Monde, Farhad Khosrokhavar insiste sur le caractère urbain du phénomène en Europe : « la ville et ses quartiers enclavés sont devenus les creusets du recrutement djihadiste, qui séduit essentiellement une jeunesse d’origine immigrée et marginalisée ». Khamzat Azimov, rappelle-t-il, a grandi dans un quartier populaire de Strasbourg et l’auteur de la prise d’otages de Trèbes qui a coûté la vie au colonel Arnaud Beltrame venait de la cité Ozanam de Carcassonne. Le sociologue énumère les facteurs en cause :
La ghettoïsation et le développement d’une économie souterraine illégale (qui attire une partie de la jeunesse et prédispose à toute forme de transgression) ; un taux de chômage beaucoup plus élevé que le taux national (à Lunel, aux alentours de 20 %, et le double pour les jeunes d’origine immigrée) ; un taux de déscolarisation fort élevé ; un sentiment de stigmatisation suraiguë chez les jeunes garçons ; une structure familiale éclatée.
Tout cela favorise sans aucun doute cette forme extrême de « retournement du stigmate » que constitue l’engagement djihadiste, mais pourrait tout aussi bien susciter d’autres formes de résistance et d’émancipation. On ne peut manquer d’éprouver une sorte de lassitude et de sentiment d’impuissance face à ces explications répétitives. Farhad Khosrokhavar en convient lui-même dans son dernier livre Le nouveau jihad en Occident (Robert Laffont). Après avoir croisé toute sorte d’approches, il conclut que
Sur 22 pays européens, l’impact de la richesse, du chômage, la taille de la communauté musulmane, l’éducation, la forme de la démocratie et la position idéologique des gouvernements sur les jihadistes en Syrie et en Irak, la seule variable qui semble avoir eu une influence significative aurait été la taille de la communauté musulmane ».
Et qu’il est impossible « d’établir un profil unique ».
Le facteur religieux
Si « l’Europe est malade de ses quartiers enclavés », le problème vient donc aussi du développement en leur sein d’une « religiosité puritaine et sectaire ». En fait-on assez contre le salafisme ? C’est le thème du débat dans La Croix : Bernard Godard rappelle que, contrairement à ce que certains préconisent, il est impossible d’interdire « un courant de pensée de l’islam, aussi rigoriste soit-il », même s’il « prône un retrait de la vie sociale et considère que la loi divine l’emporte sur la loi des hommes ». Le spécialiste de l’islam et ancien fonctionnaire au ministère de l’intérieur rappelle qu’un arsenal juridique existe contre les auteurs de prêche appelant à la discrimination, la haine ou la violence ». Et pour les enfants des foyers salafistes qui ne sont pas scolarisés, « l’Éducation nationale contrôle régulièrement l’instruction ». Sur la pression sociale exercée dans les quartiers, elle peut s’apparenter à du harcèlement et donc être poursuivie, encore faut-il que les victimes saisissent la justice. Pour l’imam du Val-d’Oise Tarik Abou Nour, il faut engager
une réflexion de fond, au sein de la communauté musulmane, sur l’élection et la formation des imams, sur la manière de parler à ces jeunes exclus socialement qui cèdent, dans les banlieues, à la tentation de la radicalisation, ou encore sur une révision du système de financement des mosquées pour éviter les ingérences économiques extérieures.
Dans la revue Études, l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, qui s’occupe de jeunes en voie de radicalisation, décrit le climat propice à la dérive de ceux qui veulent aussi « changer la vie » et ne sont pas forcément des exclus : « Ils attendent des réponses immédiates à des questions existentielles ». Et les trouvent dans les rites : une « pragmatique du quotidien » qui leur indique comment se lever, procéder aux ablutions, respecter des préceptes qui donnent sens à leur vie. Comment faire la part entre ces choix personnels respectables et la tentation de la violence extrême promue par les sites et groupuscules djihadistes ? Il y a urgence, Thibault de Montbrial (avocat au barreau de Paris et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure) affirme dans le Figarovox, « Le pire est devant nous. Les premiers combattants à l’étranger et condamnés en France en 2013 et 2014 commencent à sortir de prison. En 2020, on estime que 64 % d’entre eux auront quitté l’univers carcéral, soit plusieurs centaines de personnes. Or une immense majorité d’entre eux reste déterminée à combattre notre pays. »
Par Jacques Munier
Source: franceculture