Bamako, 17 décembre (AMAP) Le dialogue national inclusif bat son plein, entre débats houleux, prises de position radicale et même quelques incidents. Si tous sont d’accord sur sa pertinence, tirant les conséquences de cette guerre fratricide, les participants à ce grand rendez-vous autour du Mali manifestent des avis divergents sur les différentes approches dans la conduite du dialogue.
Dans la ville de Bamako, le citoyen lambda ne s’en préoccupe pas. Demba Sissoko, 32 ans et tailleur au grand marché, en fait un faux débat. Il préfère se concentrer sur ses tissus que de perdre son temps à discuter des mêmes choses, sans pouvoir trouver une solution à nos déboires. « Depuis combien d’années on parle des mêmes choses ? Et aujourd’hui, c’est de l’argent gaspillé pour se raconter des histoires parce que les acteurs ne sont pas sincères », se défoule le tailleur, sous son modeste hangar qu’il partage avec une vendeuse de galettes à base de haricot. Cette remarque de notre jeune habilleur n’est pas isolée. Elle revient, très souvent, dans les conversations de petits groupes dans les quartiers populaires.
Des citoyens, plus au parfum de la chose politique, mettent une nuance à ce jugement qu’ils estiment trop sec. « La crise au Mali n’est pas que sécuritaire. Que les gens se parlent est une impérieuse nécessité pour en sortir », souligne Mady Traoré. L’enseignant estime que les Maliens se sont trop « bagarrés » sans prendre le temps de comprendre les aspirations de l’autre et d’apporter une réponse politique à même de le satisfaire.
Au Centre international de conférences de Bamako (CICB), où respire le Mali dans sa diversité pour quelques jours de débats déjà, toutes les idées sont recevables et portées par des personnes ressources. Les élus locaux, anciens ministres, mouvements armés, femmes, sont tous venus défendre leur vision d’un pays unifié dans la diversité. Coiffé d’un turban correctement enroulé sur la tête, Fahad Ag Elhahmoud, secrétaire général de la milice d’auto défense GATIA, salue l’avènement d’un dialogue positif où « les gens se parlent ». C’est plutôt « bon signe ».
PRENDRE DES ENGAGEMENTS –Il vient d’échanger des amabilités avec Moulaye Ahmed, un leader incontournable de la communauté arabe de Tombouctou. Ils se sont serrés dans les bras pour donner un sens à leur fraternité. Finis les premiers échanges, Moulaye Ahmed confie que les travaux laissent un sentiment d’inachevé. Inachevé, parce que, de son point de vue, « il faut aller au-delà du recensement des problèmes que tout le monde connait et faire des propositions concrètes et prendre des engagements ». Pour lui, énumérer les besoins des populations ne nous avance pas à grand-chose. Il préconise un niveau d’échange qui amènerait les différents acteurs à prendre des engagements devant le peuple malien, comme témoin.
Dans le hall, 4ejour des travaux, une double cafeteria est opérationnel. C’est gratuit. Les serveurs sont débordés par la demande. Ils proposent du thé ou du café. A côté, un conglomérat de personnes discute à bâton rompu. Ce qui n’a pu être dit en salle est exprimé ici dans une atmosphère décontractée. Les retrouvailles vont bon train. Entre deux accolades fraternelles, un participant lance qu’il ne demande qu’une seule chose : le retour de Kidal dans le giron de l’Etat central. « Sur quelle base ? » riposte son interlocuteur. Ce court dialogue résume à lui seul toute la problématique que pose la question de Kidal.
Qu’en disent les politiques ? Kadidia Fofana, participante au compte du Front pour la sauvegarde de la démocratie-Signataire de l’Accord politique (FSD-SAP) fut de l’opposition radicale. « Je suis très heureuse de prendre part à cet événement historique, un événement sans précédent parce que le Mali joue l’un des moments phares de sa vie, parce que le Mali est mal aujourd’hui, le Mali a mal, en quête de santé, parce que le Mali joue sa survie. Aujourd’hui, que les Maliens arrivent à oublier leurs colorations politiques, leurs colorations associatives, les différends, qu’ils se donnent les mains, qu’ils viennent s’asseoir pour mettre le Mali au cœur, est quelque chose de salutaire », dit-elle dans un langage dont les politiques ont le secret.
Animée des meilleurs sentiments pour son pays, elle espère qu’au sortir de ce dialogue, nous aurons un Mali fortifié, un Mali uni dans sa diversité, un Mali qui pourra faire face aux forces du mal (le terrorisme) qui, chaque jour, sont en train de gagner du terrain dans notre société. Alors, si nous ne répondons pas avec l’unité, nous risquons gros », a déclaré la représentante du FSD-SAP.
Plus loin, on peut reconnaitre de loin Mohamed Cherif Haidara, président du Conseil supérieur de la Diaspora malienne (CSDM). Il s’est familiarisé avec les médias lors de sorties en faveur de nos compatriotes en mal d’hospitalité dans certains pays. C’est la continuité de sa lutte, il a répondu à l’appel des sages du Triumvirat pour jouer sa partition. « Nous sommes très heureux de participer à la phase nationale de ce dialogue dont nous avons été l’un des artisans, et qui a commencé par l’acceptation de la main tendue du président de la République, à travers l’accord politique de gouvernance », a indiqué M. Haidara.
« Cet accord politique, à travers les exigences faites par les partis politiques, est devenu dialogue national inclusif. Le Conseil supérieur de la diaspora malienne a été représenté au sein du triumvirat qui a travaillé dans les commissions », a-t-il dit.
Et d’ajouter : « Il y a eu beaucoup de travail effectué. Nous avons apporté les contributions des 24 ambassades et consulats choisis, la préoccupation de la diaspora malienne», avant de rappeler que le DNI est « une opportunité offerte aux Maliens d’identifier les maux dont nous souffrons aujourd’hui, afin que chacun puisse donner ce qu’il pense être une solution. Avec l’ensemble de ces préoccupations, nous pourrons élaborer une feuille de route pour nos gouvernants ».
PAS DE SUJETS TABOUS – Il estime que ce dialogue permettra, aussi, de faire la somme de ce qui n’a pas marché pendant la Conférence d’entente nationale. « Nous avions versé nos contributions dans les commissions du Triumvirat et, aujourd’hui, il s’agit de faire la synthèse, compiler et permettre aux Maliens de comprendre, désormais, ce que nous voulons. Il n’y a pas de sujets tabous. Nous ne manquerons pas de dire au président de la République notre mécontentement et lui dire que, désormais, nous voudrions que telle ou telle chose se passe comme ça ».
Pour conclure, il lance un message aux partis politiques : « nous ne manquerons de dire à nos partis politiques et à leurs dirigeants comment nous voulons qu’ils agissent désormais. Parce qu’ils disent, tous, agir pour l’intérêt supérieur du Mali ».
Avant de retourner en salle pour la poursuite des débats, il invite « les Maliens à trouver le moyen, à l’issue de ce dialogue, d’être d’accord sur leur désaccord, pour faire avancer le Mali, car nous n’avons pas d’autres alternatives au Dialogue pour sortir de cette situation de crise ». Toute chose qui justifie, à suffisance, l’optimisme de ce leader de la société civile sur les recommandations pertinentes qui sortiront de cette rencontre historique pour le Mali.
Puisqu’il a lancé un appel à l’endroit des partis politiques, Amidou Doumbia, secrétaire à la communication du parti Yéléma, délégué de son parti, est bien placé pour répondre. « Je trouve que le dialogue se passe bien. C’est une tribune qui est offerte aux Maliens pour pouvoir parler, un peu, de leurs propositions par rapport aux sujets brûlants du pays », dit-il. Bon signe, il constate que les débats sont ouverts. « Ceux qui modèrent le débat laissent les uns et les autres parler, dire ce qu’ils veulent. Je pense que c’est ce qui est le plus important. Les Maliens en ont gros sur le cœur. Ils sont en train de dire ce qu’ils pensent. Je pense que c’est positif, j’espère que ça continuera comme ça et qu’on travaillera encore pour plus d’efficacité », ajoute-t-il.
Il reconnait que les sujets sont nombreux. Le seul bémol qu’il a noté est le temps de travail qu’il a jugé très court. « On a trois jours dans les commissions. Ce n’est pas assez méthodique. On risque de ne pas vider tous les sujets. Il faut qu’on revoie ce côté-là pour plus d’efficacité ». Il partage l’avis de Moulaye Ahmed en disant que « le dialogue doit finir avec des propositions concrètes, des propositions d’action. « C’est seulement cela qui va permettre aux Maliens d’accorder plus de crédibilité aux résolutions. Travaillons, soyons méthodiques et faisons des propositions concrètes, cela permettra de donner l’espoir à nos compatriotes », dit M. Doumbia.