Martyrisé par une crise sans précédent, le peuple malien captif de son amour convivial et fasciné par les promesses d’une béatitude inouïe à l’issue du Dialogue national inclusif, ne se laisserait-il pas facilement entraîner dans le processus d’Alger comme la licorne face à la jeune vierge ?
Le Dialogue national inclusif suscite un véritable branle-bas au sein de la société malienne en général et en particulier au sein de la classe politique et du milieu intellectuel. La mauvaise impression ou le pessimisme des uns et l’enthousiasme des autres sont des sentiments qui présagent une issue compliquée du dialogue. Le mode d’installation unilatérale du triumvirat et la démarche de ce dernier alimentent le doute quant à l’impartialité du gouvernement et la transparence de son triumvirat pour l’organisation d’un véritable débat profond abordant tous les sujets. Face à cet imbroglio, l’attente de l’opinion nationale pour une paix durable sera-t-elle atteinte ? Pour répondre à cette question, il faut donc rester au-dessus de la mêlée pour prendre le problème à la racine.
Sans discrimination aucune portant sur une considération de supériorité d’une couche sur une autre, le dialogue doit nécessairement marquer un tournant dans la vie socio-politique du Mali. La responsabilité du triumvirat est de faciliter le dialogue entre les Maliens. Sans prétention, de lui assigner sa mission ou de lui dire quelle est la portée de sa mission, il doit être à mesure de savoir qu’elle va au-delà d’une simple facilitation. La démarche et les décisions du triumvirat doivent incarner la sagesse patriotique pour rassembler le Mali ancien déchiré par la mauvaise forme de gouvernance nettement marquée par la corruption, le favoritisme, le népotisme, le tribalisme, etc. Pour éviter ces péchés sociaux ayant conduit le pays à vau-l’eau, l’issue de ce dialogue doit poser le jalon du futur Mali.
Le Mali qui va éclore ….
L’analyse de la synthèse de l’historique des grognes sociales et des revendications socio-politiques de ces dernières années illustre à suffisance que la nation malienne était déjà au seuil d’une crise profonde. La crise politique du nord n’était qu’un élément déclencheur qui a étalé au grand jour la défaillance de l’Etat sur tous les plans. Le Mali qui va éclore doit être celui des Maliens libres de toutes les tares sociales, politiques, culturelles et économiques. L’origine du malheur qui s’abat sur la nation toute entière est sans doute le corollaire de l’injustice et l’inégalité sociale. Sans la justice et l’égalité sociale, la paix et le progrès que réclame le peuple malien ne seront que des illusions sur les lèvres mais jamais dans les cœurs ni dans les esprits.
La lecture et l’analyse minutieuse du processus d’Alger et de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali et des accords précédents (prévoyant le retrait de l’armée malienne du nord), entre l’autorité malienne et les groupes armés démontrent clairement qu’un accord établi sur une base compromettante ne peut produire l’effet escompté. Ce qui atteste d’ailleurs l’insatisfaction des deux parties prenantes de l’accord, d’où la reprise fréquente des hostilités. Le présent dialogue, pour ce qui le concerne, doit s’établir sur une base saine en remettant en cause les clauses du processus d’Alger. De ce point de vue, les desseins tendant à placer le dialogue sous l’angle de la consolidation du processus d’Alger, sont contraires à la volonté tant attendue du peuple pour la paix. Le mérite du processus d’Alger est qu’il ait réussi à concrétiser la revendication des Maliens de tous les bords pour l’organisation de concertations nationales depuis 2012 comme moyen incontournable de sortie de crise. Même si l’opposition d’une minorité de Maliens (le pouvoir, certains partis politiques et groupements politiques en 2012), a été un obstacle.
Le dialogue à tous les égards est supérieur aux accords conclus
Contrairement à la perception du Président de République qui conçoit le dialogue comme « un grand moment d’évaluation et de proposition », il doit être un espace et un moment de prise de décision nationale non pour consolider des accords de paix qui, par leur nature, portent atteinte à l’exercice de la souveraineté de l’Etat et à l’intégrité du territoire. Car le dialogue à tous les égards est supérieur aux accords conclus entre le gouvernement malien et les groupes armés.
A en croire l’aspect inclusif du dialogue, sa légitimité prévaut sur celle de tous les anciens accords. Une comparaison du Dialogue national inclusif avec les différents accords permet d’élucider la différence. Les accords de paix négociés et signés par le gouvernement malien et les groupes armés, bien qu’imposables à tous, sont dans la plupart du temps entachés de nullité dus à l’absence des conditions de conclusion d’un accord.
Le plus souvent, les accords sont négociés, sous la contrainte pendant des moments d’intenses conflits. Ce qui va à l’encontre du principe de libre consentement. Par contre, le dialogue intervient suite à l’incapacité des signataires des accords (gouvernement malien et groupes armés).
Directement issue des populations, une décision fait moins polémique
En outre, le dialogue prévoit une participation large des deux parties, en d’autres termes, la participation directe des populations et représentants des deux parties. Il y a donc lieu de comprendre qu’une décision émanant directement des populations fera moins l’objet de contradictions qu’un accord passé entre une autorité et des individus prétendant représenter une population qui ne se reconnaît pas dans ses revendications. La participation directe des populations consiste alors en une prise de décision absolue qui s’impose aux dirigeants dans l’exercice de leurs pouvoirs qu’ils tiennent de la population.
Si l’on pose l’hypothèse que les dirigeants d’une nation sont des représentants légitimes dotés de pouvoir de prendre les décisions engageant cette nation, pourvu que les conditions d’obtention de leur légitimité soient légales, cela ne leur confère pas le droit d’en user à l’encontre d’une décision directe prise par la population.
Martyrisé par une crise sans précédent, le peuple malien captif de son amour convivial et fasciné par les promesses d’une béatitude inouïe à l’issue du dialogue national inclusif ne se laisserait-il pas facilement entraîner dans le processus d’Alger comme la licorne face à la jeune vierge ?
L’assentiment du peuple est sans doute un atout majeur dans l’évolution de la situation actuelle du Mali. Cependant, il faut craindre de se fier à l’intention du gouvernement malien, des parties signataires des accords et des partenaires, de faire avaler la pilule du processus d’Alger et de la révision constitutionnelle.
Adama Sacko
Source: Le Challenger