Lancée officiellement le 16 septembre à la suite de l’atelier de validation des termes de référence, le Dialogue national inclusif est un exercice d’une grande nécessité. Mais certains acteurs politiques, ayant des griefs contre son format, n’ont pas pris part à cet atelier. S’y ajoutent la suspension de la participation du FSD et de la CMA du reste du processus pour des raisons diverses. Faux départ pour le dialogue ?
« Nous devons poursuivre la marche du rassemblement, quel qu’en soit le prix, le salut de notre Nation en dépend », déclarait le Premier ministre, Dr Boubou Cissé, lors de l’ouverture de l’atelier de validation des termes de référence du DNI, le 14 septembre au CICB. Dans une salle pleine à craquer, les participants, dans un silence religieux, écoutaient le Chef du gouvernement avec intérêt. « Le dialogue politique inclusif n’est pas organisé pour distraire ou détourner l’attention du peuple, il est, je le disais il y a quelques semaines, l’un des rendez-vous politiques le plus important depuis la Conférence nationale de 1992 », plaidait-il.
Ce rendez-vous des forces vives apparaissait aux yeux de tous, même les plus sceptiques, comme indispensable. Pour beaucoup, la résolution de la crise de 2012, qui a ébranlé les fondements de notre pays, passe par un dialogue inclusif et sincère. D’où les lueurs d’espoir. Mais voilà…
Dans une déclaration en date du 21 septembre, le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) annonce qu’il ne participera plus au reste du processus « tel que mis en œuvre ». Pourtant, ses représentants avaient pris part à l’atelier de validation des termes de référence, du 14 au 16 septembre au CICB. « L’objectif de cette participation, malgré les nombreuses réserves du FSD, était que de bonne foi, au travers des débats d’idées contradictoires, il puisse partager ses observations et contribuer au cadre conceptuel du dialogue, afin d’en faire une réussite, une réelle contribution, au bénéfice d’une sortie de crise honorable pour notre pays », soulignait le communiqué.
Le FSD conditionnait entres autres la poursuite de sa participation à la prise en compte de certains points, dont le concept du Dialogue national inclusif, l’évaluation de l’utilité de tous les participants en alliant l’inclusivité à la représentativité paritaire, tant de la majorité et de l’opposition que de la société civile, en évitant la surreprésentation de l’État, qui devait se limiter strictement à la facilitation logistique, sécuritaire et budgétaire. Mais également à l’engagement à « débattre sur les raisons des retards et blocages dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger et, le cas échéant, à envisager sa relecture ».
Ce dernier point a été évoqué par le Président IBK lors de son discours à la Nation, le 22 septembre, ouvrant ainsi, pour la première fois depuis la signature de l’Accord, la possibilité d’en revoir certaines dispositions. De quoi alarmer la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). Le 23 septembre, elle annonçait son retrait du dialogue, considérant qu’IBK avait ouvert la porte « à tous ceux qui ne jurent que par le rejet ou la relecture de l’Accord ». Une hypothèse à prendre au sérieux devant l’insistance de plusieurs acteurs politiques et de la société civile.
Si ces deux acteurs importants avaient pris la peine de participer à l’atelier de validation des termes de référence du dialogue, d’autres, non négligeables, comme les FARE An Ka Wuli, la CNAS Faso Heré, la Plateforme Anw Ko Mali Dron, etc. n’ont pas participé aux travaux au CICB, affichant leur rejet du format.
Mauvais départ ?
Pour l’analyste politique et chercheur au CRAPES Ballan Diakité, les difficultés qui surgissent sont nées d’un départ raté. « Tous les éléments constitutifs nous prouvent aujourd’hui que c’est mal parti, et ce dès la mise en place du Comité de pilotage. Les méthodes qui ont été à l’œuvre n’étaient pas inclusives. C’est le Président de la République qui, du haut de sa majesté, a pris la latitude de choisir un certain nombre de personnalités, que lui-même considérait comme neutres, pour piloter le dialogue. Il aurait pu faire en sorte que la nomination de ces personnalités se fasse de la manière la plus démocratique possible », dit-il, soulignant tout de même la sagesse et les qualités du Triumvirat.
Si le FSD et la CMA avaient accepté plus ou moins le format, ce n’était pas le cas de certains autres acteurs. « Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous ne participons pas à quelque chose que nous réclamons depuis plus de 8 ans. Mais nous ne voulons pas d’un dialogue spectacle, ni d’un dialogue pour l’agenda d’un régime. Nous voulons un dialogue pour l’agenda du Mali, un dialogue structuré, dans lequel le Mali profond va décliner sa vision de son avenir », se défend Mahamadou Keita, Secrétaire général des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (FARE An Ka Wuli). Ce parti, membre du Nouveau pôle politique de la gauche républicaine et démocratique, se plaint de n’avoir pas reçu la visite du Premier ministre après sa nomination et de ne pas avoir été invité à l’atelier de validation des termes de référence.
Par-delà tout, les FARE tiennent à une refondation. « Nous, nous avons l’agenda du Mali, pas celui d’un parti politique ou d’un groupe de partis, parce que le Mali est tombé bas. Quand les fondements ont été atteints, on ne doit pas colmater, mais reconstruire. C’est pour cela que nous parlons de refondation. C’est pour cela qu’avec d’autres associations et partis on a créé Anw Ko Mali Dron. Nous disons oui au dialogue national mais non à un dialogue recadré », insiste le secrétaire général. Selon lui, « quand on parle du dialogue national, c’est le Mali profond. Ce n’est ni toi ni moi, c’est le paysan, le cordonnier, l’éleveur. Ce sont eux qui ont leurs problèmes, c’est à eux d’en parler et de proposer des solutions. Le Président Modibo Keita a dit quelque chose d’important « au Mali, il y a des analphabètes, mais pas des incultes » ».
Le Dr Bréma Ely Dicko estime que le processus est toujours sur les rails mais que le Président IBK doit reprendre la main et rassurer. « Ces différents acteurs n’ont pas pu être convaincus par IBK du format même du dialogue et de sa finalité. Est-ce que les résolutions qui seront faites seront appliquées ? Les gens ont l’impression que tout est bien ficelé et qu’on est en train de tâtonner ou de gagner du temps », indique le sociologue. Il ajoute que le processus peut très bien repartir si le chef de l’État descend de son piédestal. « Mais le problème est que depuis son arrivée au pouvoir, en 2013, il a toujours délégué les choses à certaines personnes et qu’il n’est pas très accessible. Par rapport à l’Accord, il est regrettable qu’il ne dise cela qu’aujourd’hui, parce que le Mali avait 13 pages d’amendements et que la CMA émettait aussi des réserves. Il fait des déclarations sur Jeune Afrique ou RFI qui créent des suspicions sur sa volonté de faire les choses », estime M. Dicko .
Que faire ?
Alors que les termes de références validés ne sont pas encore disponibles et que le reste du processus est en attente, des ombres planent. « C’est le Président IBK, qui est le chef de famille, qui doit montrer l’exemple. Il doit lui-même parler, se rendre disponible et inviter l’ensemble des acteurs qui doutent du processus et qui n’y participent pas véritablement pour discuter avec chacun d’entre eux », conseille Dr Ely Dicko. À défaut, Mahamadou Keita n’écarte pas certaines options. « On peut tout récupérer. On n’a pas le choix. Que ce dialogue réussisse ou pas, les Maliens vont trouver des mécanismes pour sortir de la crise. Si on le fait pas de façon consensuelle, cela se fera dans le sang », avertit-il, invitant le Président de la République à « revoir sa copie ».
Journal du mali