Mahamadou Issoufou a cédé du lest en sacrifiant, la veille de la fête de Ramadan, l’un des officiers supérieurs les plus proches de sa personne, le chef d’état-major de l’armée de l’Air du Niger, remplacé sur le champ. C’est un acte fort, à la mesure du scandale du détournement de fonds du ministère de la Défense, qui passionne le Niger depuis février.
La décision a été prise par le Conseil supérieur de la Défense nationale qui réunit, sous la présidence du chef de l’Etat, le Premier ministre, le ministre de la Défense Issoufou Katambé et deux généraux.
Depuis quelques jours, les auditions par la police judiciaire de Niamey et des fuites récurrentes sur les réseaux sociaux animaient toutes les conversations. Ibrahim Bana, un activiste, militant du parti d’opposition Lumana, s’est signalé en début de semaine de façon fracassante par un post dénonçant de faux certificats de destination finale émis par le ministère de la Défense pour des achats d’armes jamais parvenues au Niger. Il a été aussitôt placé en garde-à-vue, à la recherche de sa source, puis remis en liberté … quatre jours plus tard.
Comme d’une cocotte-minute sous pression maximale, le scandale des détournements de fonds au ministère de la Défense infuse dans la société nigérienne à travers des fuites brûlantes, où les noms des grands argentiers du pays, porteurs de lourdes valises, bruissent à côté de ceux des plus hautes autorités militaires et politiques.
Bien sûr, il s’agit parfois de rumeurs infondées mais d’autant plus crédibles et savoureuses qu’elles s’enracinent dans la déjà trop vieille chronique de la prédation au plus haut niveau. Finalement, le secret gardé avec tant de vigilance se retourne contre le régime. Faute de transparence, le pire devient imaginable.
Des fuites à répétition
Après avoir tenté de contrôler les inspecteurs d’Etat chargés d’auditer les marchés du ministère de la Défense, le gouvernement a voulu poursuivre les auteurs des détournements dans un cadre administratif, permettant de régler le dossier par le remboursement amiable des sommes détournées. Las ! Le ministre de la Défense lui-même ayant fait part de son indignation dans une conversation privée qui s’est retrouvée sur la place publique, opposition et société civile ont exigé la transmission du dossier à la Justice. A la mi-mars, ces protestations ont envoyé en prison 8 militants de la société civile très connus (dont 4 ont été libérés depuis), mais le gouvernement a finalement cédé à la pression et transmis le dossier au parquet.
Le 7 avril dernier, le procureur de la République de Niamey, Chaibou Samna, a annoncé dans un communiqué, qu’il avait reçu « le rapport définitif sur le contrôle a posteriori des marchés publics au ministère de la Défense nationale. » Ce rapport « fait état d’insuffisances des cadres institutionnels et réglementaires de ces marchés publics spécifiques et passe au peigne fin un total de 177 dossiers dont les conditions de passation, d’exécution et de paiement sont susceptibles de qualifications pénales. » Transmis pour enquête, le rapport fera l’objet d’un « minutieux examen », a promis le procureur, assurant que « l’Etat sera intégralement mis dans ses droits » et que « force restera à la loi. »
Ce propos martial se concluait toutefois par une mise en garde à l’endroit de « ceux qui se livrent à un lynchage médiatique sur des faits dont ils n’ont aucune connaissance ».
En attendant les conclusions de l’enquête de la police judiciaire, voici que le fameux rapport d’audit commence à « fuiter » à son tour, par extraits choisis, évaluant à 76 milliards de francs CFA (près de 116 millions d’euros) les surfacturations, ententes et marchés non livrés, curieusement qualifiés de « manque à gagner ».
Les personnes mises en cause par les inspecteurs d’Etat sont uniquement des fournisseurs, les plus grands opérateurs économiques et hommes d’affaires du pays se partageant le gros gâteau des marchés du ministère de la Défense, en pleine croissance avec la guerre qui fait rage aux frontières occidentales et orientales du pays.
Aucun militaire ni aucun politique ne figure dans le document, qui reste muet sur les complicités ayant permis ces détournements systématiques.
Toutefois, le tout puissant colonel Boulama Issa Zana a dû faire ses bagages en fin de semaine parce que les détournements relatifs à l’Armée de l’Air figurent en bonne place dans le rapport d’audit et que les investigations de la police judiciaire semblent avoir prolongé l’enquête dans des directions plus politiques. Ces avancées pourraient également être le fruit de pressions soutenues des partenaires du Niger, peinés par l’impact négatif de ce dossier dans un contexte de coopération militaire par ailleurs florissante.
Mais le limogeage du colonel suffira-t-il, alors que le pays pleure, tous les jours ou presque, la mort de jeunes soldats emportés sur les deux fronts du pays par les attaques incessantes des groupes terroristes ?
La température continue de monter, dans un pays transformé en fournaise, avec un incident rapporté il y a quelques jours dans une caserne près de N’Guigmi, à l’Est du Niger : des tirs en l’air pour réclamer de meilleures conditions de vie.
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