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Des non-dits au cœur des pourparlers d’Alger

1er round juillet, 2ème round  septembre, 3ème round octobre, 4ème round novembre et le 5ème est prévu en janvier. On croirait assister aux différentes reprises d’un match de boxe qui permettront de calculer qui sera déclaré vainqueur. À Alger, le combat que mènent les participants aux pourparlers inter-maliens, round après round,  reprise après reprise, vise à la ratification d’un «accord pour une paix globale et durable garantissant une solution définitive à la crise qui affecte les régions du Nord du Mali». 

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Sur ce ring, s’affrontent, d’une part, les représentants du gouvernement malien, les différents médiateurs et les groupes dits «pro-Mali», et d’autre part, les représentants des groupes armés signataires de l’accord préliminaire de Ouagadougou du 18 juin 2013,  et de la feuille route adoptée dans la capitale algérienne, le 24 juillet 2014. Cette «crise qui affecte les régions du Nord du Mali» est polymorphe, inutile d’en lister les aspects, car ils sont connus de chacun.

 

Dans le septentrion, comme partout ailleurs, le retour à la paix devrait signifier pouvoir à nouveau y vivre en toute sécurité. Tout le monde rêve de détenir la baguette magique qui permettra aux civils de vaquer à leurs activités sereinement, de pouvoir aller et venir, en ville comme en brousse, sans craindre les engins explosifs, les attaques ou les enlèvements. Il faudrait effectivement une baguette magique pour que les forces armées étrangères quittent le territoire malien, sans laisser les populations à la merci de ceux qui, tapis dans l’ombre, de Tombouctou aux rochers de l’Adrar des Ifoghas, n’attendent que cela pour faire régner la terreur à nouveau.

 

D’ailleurs, personne ne l’ignore, puisque le 1er août 2014, soit quelques jours après le 1er round d’Alger, l’Opération Serval était transformée en Barkhane, avec une «mission élargie à la bande sahélo-saharienne, pour apporter une réponse régionale et coordonnée aux défis sécuritaires ainsi qu’aux menaces que font peser les groupes armés terroristes». L’accord qui sortira des pourparlers inter-maliens apaisera certainement les tensions dues aux groupes armés signataires, mais ne changera malheureusement rien à l’insécurité entretenue par les différents groupes criminels qui y sévissent, un jour sous une appellation, le lendemain sous une autre, d’autant plus que la semaine dernière, ces groupes ont récupéré certains de leurs membres à la faveur de la libération de Serge Lazarevic.

 

À Alger, ne sont-ils pas tous, grâce à leurs non-dits, en train de produire un spectaculaire numéro de prestidigitation qui ne fait que bercer les populations d’illusion et d’espoir ? Dans les projets d’accord rendus publics à ce jour, une partie des négociateurs propose une restructuration régionale ; l’autre demande une modification profonde de la Constitution. Quel que soit le texte final sur lequel elles s’accorderont, ces non-dits qui planent sur les pourparlers en cours brouillent l’entendement des Maliennes et des Maliens.

 

Comment ose-t-on leur affirmer qu’on pourra mettre en place, ne serait-ce que le premier mot de ce futur accord, alors que les menaces «terroristes» perdurent ? Comment peut-on les assurer que les groupes armés signataires qui ont mis à mal la paix au Mali, et dont on connaît la capacité à «se caméléoniser», selon les circonstances, ne se fonderont pas à nouveau au sein des mouvances actrices de l’insécurité, dont les civils et les différentes armées postées au Nord sont régulièrement victimes ?

 

Outre ce non-dit sécuritaire, il y a un autre, au moins aussi troublant. Les données climatiques, et la densité démographique qui en découle, sont les différences fondamentales entre le Nord et le Sud, et personne ne peut les modifier. Mais toute autre interprétation est fallacieuse. En effet, d’un point de vue socio-économique, aucune population, aucune région n’a jamais été mieux ou moins bien traitée qu’une autre par l’Etat. Prétendre le contraire n’est qu’une réécriture de la vérité.  Toutes ont été spoliées de leur droit fondamental à un développement humain satisfaisant. Des sommes fabuleuses ont été budgétisées et décaissées pour le développement du Nord, mais quasiment rien n’est arrivé à destination, quasiment rien n’a été utilisé pour le bien-être de l’ensemble des populations.

 

Pourquoi ne pas en parler à Alger ? Pourquoi ne pas imposer des poursuites judiciaires contre TOUS ceux qui, au Nord comme au Sud, se sont enrichis illicitement, au fil des gouvernements successifs, au détriment du développement de tout le Mali ? Pourquoi prétendre qu’on ignore que si d’autres régions bénéficient de plus de bien-être, ce n’est pas grâce à la bienveillance de l’Etat ? Pourquoi ne pas dire que ces villages, ces régions, ne «profitent» que de «l’avantage» d’avoir vu leurs filles et leurs fils s’exiler pour les soutenir ?

 

Le développement des régions du Sud est souvent cité par les indépendantistes pour prouver le peu de considération gouvernementale accordée au Nord. Ils en ont fait la pièce maîtresse de leur rhétorique. Ils omettent volontairement de reconnaître que si la région de Kayes, pour ne parler que de celle-ci, est plus florissante, ce n’est que parce que les Sarakolés, à l’intérieur et à l’extérieur, ont eu et continuent à n’avoir qu’un seul et unique objectif : le soutien à leurs familles et le développement économique et social de leur village. Les autres Maliens, ceux des autres groupes culturels, qu’ils travaillent à Bamako ou à l’étranger, en font autant depuis toujours, mais étant moins nombreux, le développement de leur région d’origine, dû à leur seul soutien, est moins spectaculaire. Il est incompréhensible qu’à Alger, tout le monde se taise sur cette réalité, car ainsi, non seulement ils alimentent l’argumentaire premier des groupes indépendantistes, mais ils nient aussi l’apport historique des Maliens de l’intérieur et de ceux de la diaspora qui, traditionnellement, mettent un point d’honneur à soutenir leurs parents au village, en leur consacrant une large partie de leurs revenus afin de compenser les manquements chroniques de l’Etat. Rien ne devrait être passé sous silence à Alger, puisque nul n’est dupe au Mali !

 

Les  non-dits sont les «maîtres silencieux de nos destins». Ils infectent les générations, comme le pus empêche une plaie de se cicatriser. Ils enflent au fond des cœurs comme des braises sous les cendres. Les non-dits pèsent sur l’Histoire du Mali depuis trop longtemps. Si le désir de paix et de réconciliation nationale est sincère et partagé par tous ceux qui veillent sur l’avenir du Mali, il est temps que ceux qui siègent à Alger, brisent cette loi du silence, sinon la responsabilité d’un échec à court, moyen ou long terme sera collective.

Françoise WASSERVOGEL

 

SOURCE: Le Reporter  du   17 déc 2014.
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