Dans notre rubrique « A vous la parole », nous nous sommes entretenus avec deux membres du collectif des membres du CNT, à savoir le président Fousseynou Ouattara et le porte-parole Aboubacar Sidick Fomba. Avec eux, il a été question des sujets d’intérêt national en général et de la coopération militaire entre le Mali et la France en particulier.
Lisez l’entretien !
Le Pays : près d’un an après sa mise en place, le Conseil National de Transition dont vous êtes membres a-t-il accompli ses missions à 100% ?
Le CNT a commencé à fonctionner à partir de janvier 2021.Mais de ce temps à nos jours, on a fait des interpellations, et travaillé sur plusieurs projets de loi. On a pu effectuer des missions sur les terrains. On a eu des échos sur les dispositions de certaines lois violées, ou qui n’étaient pas prises en compte sous IBK. Il s’agit de celles qui empêchaient les citoyens de jouir leurs droits. On a eu à interpeller beaucoup de ministres dans ce cadre. On a toujours essayé de mettre un terme aux anciennes pratiques qui minent le pays. Nous continuons à le faire toujours. Les tâches qui nous ont été imparties, on les a toutes exécutées à 90%.
Vos doléances soumises aux membres du gouvernement, ainsi que vos interpellations ont-elles contribué à changer quelque chose dans le pays ?
Ces interpellations ont changé beaucoup de chose, parce qu’elles ont produit des effets immédiats dans plusieurs départements ministériels. Un exemple : la cessation immédiate des opérations de démolition qui étaient en cours à Bamako après l’interpellation de l’ex-ministre des Domaines de l’État. À la commission Défense du CNT, nous avons veillé à ce que les carburants soient distribués à temps pour les patrouilles aux forces de l’ordre. Nous avons veillé à ce que les ravitaillements ne s’arrêtent pas pour les troupes qui sont sur les terrains. Nous avons veillé à ce que les anciennes pratiques cessent. Nous avons demandé à ce qu’à la descente, le militaire puisse rentrer à la maison avec son arme au lieu de le déposer au service. Ce militaire pouvait être attaqué au cours de la route sans aucune arme pour se défendre. Nous avons veillé à ce que cela cesse. Maintenant, les militaires vont et descendent du boulot avec leur arme et minutions partout dans le pays. Les choses commencent à fonctionner de façon très positive. Seulement, ceux qui ne veuillent rien voir, ne verront rien comme résultat. Les questions orales et écrites formulées pour ces interpellations ont apporté des résultats très positifs. Il a fallu l’interpellation du ministre de la Santé pour que les chauffeurs, plantons, les manœuvre perçoivent les primes de covid-19. Personnellement, moi, Fomba, j’ai enquêté sur des matériels estimés à 8 milliards qui étaient stockés dans un magasin. Ils ont été distribués aux hôpitaux par la suite. Par les questions orales et écrites d’Adama Fomba, les enseignants n’observent plus de retard dans le paiement des salaires. Ces interpellations ont significativement permis de réduire les prix des denrées alimentaires. Elles ont permis de comprendre que l’ACI 200 était insolvable au peuple, et que les biens publics ont été bradés. Ça a permis de comprendre que le ministre du domaine n’avait aucune information sur la zone aéroportuaire, et ne maitrisait pas du tout le dossier de démolition des maisons.
Pour la restauration d’un État de droit et la refondation du Mali, quels actes concrets avez-vous posez au sein du CNT ?
Le collectif des membres du CNT organise des rencontres avec les populations appelées ‘’le grin’’. Le but est de sensibiliser et de montrer à la population que pour la refondation de l’État, chacun doit s’impliquer, au lieu d’attendre les politiques. Dans la démocratie, il faut que la population connaisse ses droits et ses devoirs. Nous sommes en train de travailler pour cela. C’est quand les gens, eux-mêmes « seront refondés », que l’État le sera. Ces grins, que nous organisons pour sensibiliser les gens, commencent à porter des fruits.
Aujourd’hui, comment voyez-vous la coopération militaire entre le Mali et la France ?
Il faut le dire, cette coopération est une plaie sur le dos du Mali. Une coopération est faite par les États afin d’en tirer profit. Mais le seul bénéficiaire de cette coopération est tout, sauf le Mali. Parce que la souffrance de la population augmente de jour en jour. Avec les dispositions des anciens accords techniques signés entre le Mali et la France, les français pouvaient instruire et assister les soldats maliens. Nos militaires pouvaient aller en France pour se former et pour acheter des outils de guerre. Dans tous ces accords, il était bien dit qu’aucune unité de soldats français ne pouvait participer à une quelconque opération au Mali sans l’accord du pays. C’est le Mali qui imposait son agenda à la France. Tout était très clair, même les infractions commises par les soldats français sur le sol malien étaient jugées selon la loi malienne. Mais avec l’avènement de l’opération serval, les dirigeants maliens de l’époque se sont laissés endormis ou embobinés. Ils ont élaboré un autre traité qui a donné l’aptitude à la France d’emmener ses soldats sur le sol, et dans des conditions très défavorables pour le Mali. Un soldat français peut librement entrer au Mali. Ces militaires sont sous l’unique commandement du chef d’état-major français, et non du Mali. Ils peuvent se déplacer sans aucune restriction. Ces soldats peuvent jouer le rôle de policiers et de gendarmes. Ils peuvent impunément tuer les gens sans être jugés. Et maintenant, les français posent des conditions et déterminent les zones où le Mali doit se rendre, et où il ne le doit pas. Ce traité fait que la France parle au nom du Mali sur le plan international. C’est dire que le Mali, en tant qu’État indépendant, n’existe plus. Nous sommes complètement sous tutelle. Tout cela a été fait sans demander l’avis des Maliens. On nous a fait croire beaucoup de choses pour que les français puissent atteindre leurs objectifs : contrôler militairement et économiquement le Mali. Ils sont en train de profiter de notre sous-sol, on n’a aucune possibilité de contrôler ce qu’ils font réellement. Comme conséquence : le conflit ne fait que s’agrandir, des ethnies qui ont vécu ensemble s’affrontent. Une main malicieuse est derrière tout cela. La relecture dudit traité a été demandée par Assimi Goita, nous voulons qu’il soit abrogé. Le cas afghan est différent de celui du Mali. Parce que c’est deux histoires différentes. Nos passés ne sont pas les mêmes. Notre seul malheur a été que nos politiques ont oublié ce que c’est que le patriotisme.
Quelle analyse faites-vous du secteur de la justice et de la sécurité ?
Les Maliens doivent apporter leur aide à ces secteurs. Ils doivent avoir confiance en leur justice et armée. Les Maliens doivent forcer la justice à fonctionner normalement. Quand le droit est dit, tout le monde doit l’accepter. Mais quand la justice sort dans le cadre du droit, tout le monde doit la dénoncer. Mais beaucoup confondent les juges à la justice elle-même. C’est ce qui fait notre malheur. Les gens pensent que le magistrat est lui-même le droit. L’un des facteurs de l’insécurité reste l’injustice sociale. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes engagés aujourd’hui à traquer les grands voleurs pour qu’ils paient. Cela aussi va diminuer l’insécurité. Mais la sécurité, il faudra le dire, est dans un état lamentable aujourd’hui. Parce qu’on a oublié les fondamentaux : le système de recrutement. Dans le passé, il fallait payer pour intégrer l’armée malienne. Heureusement qu’on est en train de voir cette situation avec la transition. Il faut que tout cela soit assaini. Pour nous, on parlera d’une transition réussie, lorsque les jalons d’un Mali nouveau seront posés.
Peut-on retenir un bilan pour le CNT ?
Au moment où on parle, on a voté 42 projets et propositions de lois dans le CNT. Il y a parmi eux, 5 importants projets de loi qui ont été élaborés. À peu près, il y a 20 ordonnances qui ont été élaborées au courant de la transition, et une quinzaine qui date du temps d’IBK. Cela veut dire qu’une trentaine de projets de lois ont été élaborés et votés par le CNT. Parmi ces projets de lois, figure celui de la loi des Finances. Sans l’adoption d’un bon projet de loi de Finances, aucun pays ne vous prendra au sérieux. Cette loi détermine l’argent à mettre dans les différents domaines de l’État. L’adoption de cette loi de Finances a été importante. Elle a permis la réduction du train de vie de l’État de 25 milliards F CFA. La même loi a octroyé 111 milliards dans le domaine des investissements. Le CNT a fait la correction du budget de 2020.On a aussi voté l’ordonnance mettant en application l’article 39 de la loi des enseignants. La 1ère phase de l’article 39 a été votée par le CNT et les enseignants ont bénéficié de tous les avantages liés à l’article 39.Cet article a été appliqué, et les engagements pris ont été honorés pour la première phase. C’est l’unification de la grille salariale qui nous a fait entrer dans la 2ème phase de cet article. L’un de ces projets de lois votés par le CNT est le régime d’assurance maladie universelle. Qu’on soit vendeur, tailleur ou autre, les gens ont accès à l’AMO aujourd’hui. Il y a la loi de ratification pour les handicapés qui a été votée par le CNT, de même que le projet de loi relatif à la protection du patrimoine subaquatique. Il y a la clinique Mohamed VI qui a été transformée en établissement publique hospitalier. Il y a eu création de l’office national de l’emploi au cours de ces derniers temps. On a voté une loi sur l’extradition judicaire entre le Mali et la France qui n’existait pas. On ne peut pas terminer les bienfaits du CNT. Ce qu’on a fait n’est pas comparable aux Assemblées passées. Pendant les sept ans d’Assemblée d’IBK, ils n’ont pas atteint ce qu’on vient de faire en six mois. C’est l’une de nos questions écrites qui a relevé le directeur général de la protection civile. Il n’est pas parti comme ça. Nous ne voulons plus que les mêmes pratiques qui ont conduit le pays à ce niveau continuent. Nous parlons de Mali ‘’Koura’’ (Mali nouveau), ça veut dire qu’il faut donner la chance aux méritants. Nous allons travailler pour que l’espoir puisse renaitre. L’une des actions fortes du CNT est le renvoi de la loi portant création de la police territoriale. Le CNT n’est pas en train de travailler comme des amateurs. Il constitue le moteur de fonctionnement de cette transition. Et c’est seulement avec le CNT que le Mali peut s’en sortir, même avec l’Accord d’Alger. Cet accord tel qu’il est, sa survie dépend du CNT. Rassurez-vous que toutes les lois permettant d’aller vers la partition du Mali ne seront pas votées. Si l’Accord d’Alger constitue une maladie, le virus est le traité de coopération militaire entre le Mali et la France. Ce sont eux le véritable problème. Ils ne veulent pas qu’on discute entre Maliens. Le Mali n’aura jamais une Assemblée nationale comme le CNT. Une Assemblée nationale sans militaire est vouée à l’échec. Parce que les députés prendront des lois concernant l’armée alors qu’ils ne maitrisent le domaine. Le CNT est composé des militaires, enseignants, artistes, juristes, bref chacun est mis dans le domaine qui lui concerne. Chose qui n’a jamais été le cas pour les Assemblées qu’on a vues.
Réalisée par Mamadou Diarra