Au lendemain de l’attaque de Tessit, dans le Nord du Mali, qui a fait, le 7 août dernier, une quarantaine de morts au sein des Forces armées maliennes (FAMa), les populations de Gao ont donné, le 14 août dernier, un ultimatum de 72 heures à Barkhane pour quitter la ville. Pour cause : elles accusent la force française de collusion avec les terroristes. Comment peut-il en être autrement quand dans leurs déclarations, les autorités de Bamako qui ont encore cette attaque meurtrière en travers de la gorge, ne sont pas passées par quatre chemins pour justifier ce revers de leur armée par « le soutien logistique important dont auraient bénéficié les assaillants de la part d’une puissance étrangère ? » De là à voir la France derrière cette mystérieuse puissance étrangère, il y a un pas que les populations de Gao ont vite allègrement franchi. Ce, au moment où le divorce entre Bamako et Paris en matière de coopération militaire dans la lutte contre le terrorisme, n’attendait plus que le démontage des dernières installations de la base militaire de Gao, à la suite de celles de Ménaka, Tessalit, Kidal, Tombouctou et Gossi intervenu quelques mois plus tôt.
En dehors de l’axe Bamako-Moscou, les relations entre le Mali et d’autres partenaires internationaux, multiplient les couacs et les malentendus persistants
Quand on sait que le départ annoncé des soldats français de cette dernière base installée au Mali, était prévu pour cet été, on se demande à quelle urgence pouvait bien répondre cet ultimatum des populations de Gao. Est-ce par dépit d’une situation sécuritaire qui ne cesse de se dégrader malgré la présence des forces internationales ? Est-ce le fait de populations peu introduites des réalités d’une coopération militaire bilatérale qui avait déjà acté le départ des soldats français ? Ou alors, la voix des populations de Gao était-elle celle du pouvoir de Bamako désireux de se débarrasser au plus vite d’un partenaire devenu indésirable ? Quoi qu’il en soit, aux dernières nouvelles, le départ de Barkahne de sa base de Gao, est effectif depuis le 15 août 2022. De quoi faire retomber la tension même si ce n’est pas le genre de sortie médiatique qui va améliorer les relations entre le Mali et la France. Tout comme elle pourrait ne pas être de nature à rassurer d’autres partenaires internationaux comme, par exemple, l’Allemagne qui a récemment annoncé la « suspension, jusqu’à nouvel ordre, de ses opérations de reconnaissance et des vols de transport par hélicoptère » pour des refus répétés de survol émanant des autorités maliennes. Ce, au moment où l’affaire des quarante-neuf militaires ivoiriens accusés de tentative de déstabilisation et officiellement inculpés en fin de semaine dernière, continue d’empoisonner les relations entre Abidjan et Bamako. Et que dire de la frustration du contingent danois de la force européenne Takuba, éconduit il y a de cela quelques mois par Bamako qui pointait du doigt un déploiement intervenu sans son consentement ?
A force de trop tirer sur la corde, on peut craindre un isolement progressif du pays
C’est dire si les tensions sont déjà bien vives entre Bamako et de nombreux partenaires internationaux. En tout cas, le Mali, en tant qu’Etat souverain, a maintenant l’occasion de s’assumer pleinement. Assimi Goïta et ses compagnons d’armes doivent tout faire pour que les Maliens ne regrettent pas les Français que l’on accuse de tous les noms d’oiseaux. Ils se doivent de s’assumer d’autant qu’en dehors de Moscou, les relations entre le Mali et d’autres partenaires internationaux intervenant dans la lutte contre le terrorisme, enregistrent des couacs et des malentendus persistants. Y compris la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) dont les rotations de contingents n’ont repris que le 15 août dernier, après leur suspension par le gouvernement de la transition. Cela dit, il reste évident que la question de la sécurité nationale reste au cœur des préoccupations des autorités maliennes. Et on ne peut pas leur reprocher de chercher à être totalement maîtres de la situation et de la sécurité de leur pays. Bien au contraire. C’est une attitude hautement patriotique et responsable, qui rehausse la souveraineté du Mali. Seulement, l’on peut déplorer cette propension à la limite un peu trop belliqueuse, à ouvrir des fronts là où la situation sécuritaire du pays nécessite plutôt une synergie d’actions en bonne intelligence avec toutes les forces en présence pour mieux combattre l’ennemi. Car, dans cette lutte contre la nébuleuse islamiste, aucun pays, pris isolément, ne peut venir à bout du terrorisme. Et au-delà du Mali, c’est le sort de toute la sous-région ouest-africaine qui est ici en jeu. C’est dire si dans la lutte contre la pieuvre tentaculaire, le Mali a plus à gagner qu’à perdre, à assainir ses relations avec ses partenaires internationaux. Ce qui serait un plus dans la lutte contre les forces du mal. Il en va de la stabilisation du pays et de la sécurité de toute la sous-région. Autrement, à force de trop tirer sur la corde et dans tous les sens, on peut craindre un isolement progressif du pays, dans un contexte où le doute est pourtant permis sur la capacité du seul partenaire russe de Wagner, à aider le Mali à relever le défi sécuritaire sur l’ensemble de son vaste territoire. Autant dire que ces tensions persistantes entre Bamako et ses partenaires internationaux, pourraient avoir des effets contreproductifs avec un impact négatif sur la lutte contre le terrorisme. Et puis, quand on n’a pas besoin d’un partenaire, que coûte-t-il de le lui signifier clairement et en toute courtoisie ? A moins que cela ne réponde à d’autres impératifs, sur fond d’autres implications…
« Le Pays ».bf