Ce matin, dans Décryptage : la République, une notion incontournable de la vie de l’État malien depuis 1960.
La République structure l’État
Laama en Songhay, Dimokratia en Grec, Res publica en latin. Dans chaque langue, la République peut avoir une sémantique différente. La philosophie en a suffisamment parlé, comme dans la République de Platon. Les royaumes et les empires maliens l’ont déjà expérimenté avec un soupçon de réserve toutefois. Sans l’ombre d’un doute, la République est l’un des marqueurs les plus redoutables dans la construction sociohistorique du Mali. Elle structure l’État. Expression de la volonté du peuple, elle est indissociable de la loi fondamentale (constitution), son ossature principale. Par conséquent toute rupture constitutionnelle (putsch) entraîne de fait sa chute. Dans l’histoire récente du Mali, certains l’ont absolutisé. D’autres se sont accommodés de ses fragilités. Mais sur quoi repose la République ? Différente de la tyrannie, ce mal sans fin et sans limite, la République est une forme de gouvernement où le président n’est pas l’unique détenteur du pouvoir. Le président comme tout mandataire est élu par ses concitoyens pour conduire la gestion des affaires publiques : le commun. Les mandataires servent l’État plus qu’ils ne se servent. Ils œuvrent pour la chose publique dans le but d’améliorer les qualités de vie des populations.
Du rêve émancipatoire à la faillite du modèle républicain
Évidemment, les formes de République sont nombreuses : démocratique, populaire ou socialiste. Mais, en ce qui concerne le Mali, il s’agit d’une République démocratique, parfois ballotée entre tentation de gouvernance absolue et de gouvernance à vue. La ferveur populaire et le rêve émancipatoire à l’origine des victoires (élection ou putsch) des dirigeants ont également précipité la faillite immédiate et spectaculaire du modèle républicain. Le modèle républicain « indivisible, laïque, démocratique et social » du 1er président du Mali indépendant, Modibo Keïta, s’est écroulé en seulement huit ans de règne malgré ses tentatives de construction d’une nation solidaire et panafricaniste. Gravée dans la constitution de 1960 adoptée après la proclamation de l’indépendance du Mali le 22 septembre de la même année, la 1ere République du Mali ne résistera pas aux tensions géopolitiques avec le bloc de l’Ouest en faveur de celui de l’Est. Les crises économiques, comme la non convertibilité du franc malien, ont été aussi des facteurs aggravants de sa fin. La suite, la trajectoire politique du modèle républicain de Keïta a été abrégée par le coup d’État militaire de Moussa Traoré en novembre 1968. Bye-bye la 1ere République, place à la 2eme République. C’est le point de départ du bruit des bottes.
On le savait militaire, on le découvre dictatorial
Teinté de privation des droits et des libertés dans une dérive totalitariste sans nom, le modèle républicain de Moussa Traoré est consacré par l’approbation de la constitution de juin 1974, instituant la 2eme République. Mais le modèle républicain de Traoré s’effrite au fil des ans en raison de son impéritie à développer le Mali. L’impossibilité à satisfaire les réclamations (justice, égalité, démocratie, etc.) d’une partie des Maliens creuse le fossé entre Traoré et son peuple. On le savait militaire, on le découvre dictatorial par la suite. Le rapport à la République change. Comme souvent, Traoré a tenté cyniquement de s’assurer de l’exclusivité de certaines élites du pays. Mais les difficiles conditions salariales des fonctionnaires (notamment les enseignants), l’imposition d’un parti unique et la répression du mouvement démocratique feront le lit de la fin de son modèle, achevé par le putsch militaire d’Amadou Toumani Touré en mars 1991. Ainsi va le Mali.
Un modèle républicain humainement constructeur
La nouvelle constitution (février 1992) consacre la 3eme République avec l’élection du président Alpha Oumar Konaré en avril 1992. Un modèle républicain humainement constructeur, politiquement réconfortant. On connaît la suite : liberté d’opinion, pluralisme démocratique, attractivité économique, etc. Comme toujours dans une République démocratique, le Mali renoue avec l’idéal d’unité africaine : dynamisme au sein des organisations sous régionales. Il prend également sa place au sein de la communauté internationale. Contrairement à Konaré, d’autres présidents élus de la 3eme République, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta ont écopé d’un putsch militaire, stoppant net la construction du modèle républicain. Et pour cause : dégradation sécuritaire, tensions post électorales, mauvaise gouvernance. Mais, arrêtons la liste qui n’en finit pas. Le 18 août 2020, le putsch militaire d’Assimi Goïta sonne le glas de la 3eme République. Et patatras, le 22 juillet 2023, le Mali entre dans l’ère de la 4eme République grâce à l’approbation de la nouvelle constitution, qui énonce, dans son article 30, que : « Le Mali est une République indépendante, souveraine, unitaire, indivisible, démocratique, laïque et sociale ». D’ores et déjà, les Maliens espèrent un nouveau souffle pour relancer la machine démocratique et du développement.
Faire mieux
Certes, chaque mandataire a tenté d’incarner la République du mieux qu’il pouvait. Certes, notre pays a perdu du temps à cause de la discontinuité des politiques, si fragiles soient-elles. Certes, certains chefs d’État ont cherché à se défausser en désignant des boucs émissaires à l’intérieur comme à l’extérieur. Mais, la faute vis-à-vis du peuple malien est gigantesque. Aujourd’hui, une des meilleures façons d’incarner la 4eme République, c’est de faire mieux pour léguer un État, une nation et une République viables aux futures générations. L’effet drapeau ne suffit pas. La République doit reposer sur des valeurs de solidarité, de justice, de paix, de dignité et de lutte contre les humiliations à travers des politiques conséquentes et concrètes dans les domaines prioritaires : énergie, santé, justice, sécurité, école, réconciliation. Nous devons œuvrer pour une République, capable d’incuber l’avenir du Mali. Une République où il devient normal d’exiger des comptes à son mandataire sans compromettre ses droits essentiels. C’est le sens premier de la République, qui devra ressembler à cette pierre de rosette, utilisée dans les villages, pour soigner les morsures de serpents venimeux.
Mohamed AMARA
Sociologue