La question sécuritaire écrase toute autre question et l’exécutif actuel a pour lourde tâche de se différencier de ses prédécesseurs. Dans ce cadre, sécuriser le pays, c’est faire vivre la démocratie.
Transmettre le pouvoir sans contestation en 2022
Si la question sécuritaire est essentielle, il faut trouver le difficile équilibre avec les autres questions quotidiennes : éducation, pauvreté, santé… Et s’assurer que cet équilibre tienne, mais sans tomber dans l’équilibrisme. Avant décembre prochain où nous amorçons pleinement la période électorale, il reste à espérer que le diésel gouvernemental finit par retrouver sa vitesse de croisière et booster les reformes tant attendues. C’est un des rares moyens pour nous sortir de cette crise sécuritaire dont un de ses effets immédiats est la basse intensité démocratique. Par ailleurs, il serait intéressant que le futur Président du Mali hérite des questions suivantes : quel modèle social et économique d’après, quel Etat d’après plutôt que la gestion d’une crise post-électorales ?
Incarner le Mali
Mais, toutes ces questions doivent être traitées par les autorités de la transition, vraie gestionnaire du Mali aujourd’hui. Et un des défis, c’est de transmettre un pouvoir sans conteste au futur président. L’exécutif actuel, le Président Bah N’Daw en tête, doit incarner le Mali qui change. Les Maliens sont pressés de voire les retombées politiques sociales et sécuritaires des actions gouvernementales. Pour cela, Bah N’Daw doit se distinguer de ses prédécesseurs. Pour rappel, le régime d’IBK a chuté en août 2020, certes, à cause du manque de fermeté et d’autorité, mais aussi par sa difficulté à prendre des décisions politiques comme l’application de l’article 39 en temps et en heure. Celui d’ATT a été chassé en mars 2012 à cause de son incapacité à gérer la crise sécuritaire, mais surtout à faire du renouvellement, c’est-à-dire sa difficulté à faire la promotion des jeunes compétents et méritants. Sous ATT, c’était malheureusement toujours les mêmes qui ont fini par s’installer plutôt dans une routine et une préservation de leurs intérêts partisans que la mise en œuvre d’une politique innovante et inclusive. Certes, sur le plan social, ATT a réformé le Mali (AMO, logements sociaux…), mais ce n’était pas suffisant. Son régime a finalement été emporté par l’entretien d’un réseau d’acteurs politiques et économiques nocif à la vitalité démocratique.
Evolution de la géopolitique au Sahel
Ceci dit, je continue à croire que nous allons dans le sens de la paix au regard de l’évolution de la situation géopolitique du Sahel. L’organisation « correcte » des élections présidentielles de nos voisins Burkinabé, Nigérien, Guinéen et Ivoirien, en dépit du rejet du résultat des scrutins par une partie des populations de ces pays, constitue des signes de stabilité et donc de renforcement des dispositifs du contreterrorisme dans la région. Avoir des exécutifs politiquement stables, c’est admettre l’idée d’une évolution des rapports de force, des formes de coopérations et des alliances offensives entre états-majors. Il est inutile de dire que dans ce contexte l’enjeu est à la fois militaire, économique et aussi le pouvoir d’influence de nos Etats. Nous ne devrons pas être les plus faibles de l’Afrique, quoi qu’il en soit. C’est pourquoi, nous ne pouvons être qu’optimistes. A propos du Mali, il convient donc, pour l’exécutif actuel, de se différencier des précédents en ayant une lecture précise de nos problèmes pour rétablir la confiance que les Maliens ont perdue avec les régimes précédents. D’autant qu’il y a un sentiment d’adhésion, minime soit-il, des Maliens à leur égard. Pour cela, à leurs actions de reformes ou de changement doivent présider des principes de gouvernance.
Deux principes de gouvernance : intérêt politique – renouer le fil du dialogue
Du fait de son éloignement des cercles de décisions, le quidam Malien ne comprend pas ce qu’il vit : privation de sécurité, de nourriture, d’école… Par conséquent, il faut du renouveau, de la jeunesse, des gens plus proches du terrain actuel pour reconnecter les populations et les dirigeants. Certes, les temps sont durs à cause des effets économiques de la crise sanitaire. Certes, la situation politique tendue de notre voisin sénégalais pourrait avoir des effets sur la nôtre déjà poussive à cause de la perspective des élections générales de 2022. Mais au-delà du fantasme du pouvoir, il urge pour l’exécutif actuel de susciter un intérêt politique pour toute action. C’est le 1er principe de gouvernance. En plus du travail du CNT pour la traduction de la feuille de route du gouvernement, le lien avec les acteurs politiques, associatifs et le monde rural permettrait de cheminer vers l’idée que la République n’est pas simplement démocratique, laïque et sociale, mais aussi culturelle, une des matrices officielles de toute politique publique. Peut-on reconstruire le Mali sans traiter les différences culturelles sur lesquelles surfent les forces du mal ? Comment penser ces différences culturelles comme des richesses culturelles pour redonner du sens à l’esprit de nation ?
Le 2 eme principe, pour sortir de la crise sécuritaire, excitée par les esprits partisans ça et là, les autorités de la transition doivent être en mesure de renouer le fil du dialogue avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa en dépit de leurs rivalités existentielles avec le pouvoir central de Bamako. Surtout que les intérêts stratégiques d’Ag Ghaly sont moins prégnants qu’en 2012 à cause de plusieurs facteurs sur lesquels je reviendrai dans un prochain article. A ce sujet, inutile de dire qu’un recalibrage des actions est nécessaire pour se concentrer à l’essentiel : la paix. Nul doute que les autorités de la transition avancent prudemment pour changer la donne, peut-être trop prudemment. Nul doute que de moins en moins les esprits partisans gouvernent la vie politique. Ce qui était par le passé un facteur de tensions politiques et sociales sans cesse renouvelées au point que les oppositions étaient devenues systématiques et absolues.
Mais, il reste à l’exécutif actuel de mener à bien ces deux principes parallèles, par ailleurs nécessairement liés. Ce sera un des tests majeurs d’une transition capable de réparer les dégâts commis par les prédécesseurs et jeter les bases d’un Mali éternel.
Dr Mohamed Amara
Sociologue
Source : Mali Tribune