Depuis plusieurs années, les organisations terroristes se réclamant du djihad écument le Sahel, avec des acronymes étranges et parfois rébarbatifs, qui changent par moments, comme au rythme de leurs intérêts dans le sable mouvant du désert. D’où viennent-ils ? Comment les premiers mouvements sont-ils constitués ? Pourquoi cette folie sanguinaire partie du Moyen-Orient s’est-elle répandue sur la bande sahélo-saharienne ? Le regard d’un lecteur que nous avons bien voulu partager avec vous.
Au Sahel, Al-Qaïda au Maghreb Islamique fut le premier groupe terroriste armé à être actif. Cette organisation reste encore vivante grâce à ses activités criminelles au Mali, au Niger, au Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie. Son réseau est beaucoup plus étendu au Mali et au Niger par le fait de la porosité des frontières. Le Sahara, qui est une zone incontrôlée est l’endroit par excellence d’exercer et de mener des attaques terroristes contre les forces de défense et de sécurité de différents États. Ce groupe, depuis sa création en 2007 jusqu’à nos jours, a su s’imposer grâce à son organisation et à son mode de fonctionnement lui permettant d’engranger des sommes d’argent très importantes pour le financement de ses activités.
Cependant, pour mieux comprendre la source de cette organisation terroriste, il faut remonter aux années 1994-1998 avec les attaques sanglantes du Groupe Islamique Armée (GIA) qui provoqua des dissensions au sein du groupe et qui aboutira à la création du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). Ce GIA lui-même est né du FIS (Front Islamique du Salut), un parti politique qui a été créé le 18 février 1989 à la mosquée Es-Sunna à Alger par un petit groupe de prédicateurs. Le 10 mars, dans une autre mosquée algéroise, la direction élargie présente publiquement un projet politique et le 6 septembre, le FIS obtient l’agrément du ministère de l’intérieur. Selon plusieurs observateurs, ces trois dates constituent « l’acte de naissance » du FIS.
Divergence entre Abbassi Madani et Ali Belhadj
Pour mieux comprendre l’évolution du GSPC à AQMI, il faut remonter au « printemps démocratique algérien de 1988 ». La création d’AQMI est intervenue suite à la proclamation de l’allégeance le 26 janvier 2007 du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) sous le nom « Tanzim Al-Qaida Bibilad al-Maghreb al-Islami ». Né d’une scission du Groupe Islamique Armé (GIA) algérien, le GSPC a été créé en 1999 par des ex-émirs de zones qui avaient dénoncé dès 1994 les dérives sanguinaires amorcées à la tête du GIA par deux de ses émirs nationaux qui sont Djamel Zitouni et Antar Zouabri. Le groupe de dissidents qui ne voulait pas du tout être aux massacres du GIA a décidé d’être distant de celui-ci et a également refusé la réconciliation avec le pouvoir. C’est la guerre en Irak en 2003 qui accéléra définitivement le ralliement du GSPC à Al-Qaïda. Il symbolise le déplacement du terrorisme islamique de l’Afrique du Nord vers l’Afrique de l’Ouest. À l’origine, AQMI était une faction sérieusement impliquée dans le conflit civil en Algérie dans les années 1990.
Ce conflit est survenu suite à la victoire du Front Islamique pour le Salut (FIS) aux premières élections libres algériennes, locales et législatives en 1991. L’annulation de ces élections que le FIS avait remporté et la guerre civile qui s’en est suivie ont suscité l’intérêt des politistes pour l’expérience algérienne qui est celle de la tentative ratée d’intégrer un parti islamiste au jeu politique institutionnel. Après l’interdiction du FIS et l’arrestation de milliers de ses membres, les responsables ont formé rapidement différents groupes islamistes qui commencèrent une lutte armée sanglante contre les forces de défense et de sécurité. Le FIS était un mouvement hétéroclite avec à sa tête deux figures centrales du réseau qui sont Abbassi Madani, sage modéré, titulaire d’un doctorat en pédagogie de la Grande-Bretagne et Ali Belhadj jeune idéologue intransigeant qui apparaît comme une sorte de prophète exalté se refusant à tous les compromis et prêt à tout pour la cause d’un islam rigoriste. En février 1989, il déclare : « La démocratie n’existe pas, car la seule source du pouvoir est Allah par l’intermédiaire du Coran, et non le peuple. Si le peuple vote contre la loi de Dieu, ce n’est rien d’autre qu’un blasphème. Dans ce cas, il faut tuer les non-croyants pour la simple raison qu’ils veulent remplacer l’autorité de Dieu par la leur ».
Ces deux hommes politiques étaient aux portes du pouvoir, mais ils ont fait l’erreur de croire qu’ils pouvaient engager un bras de fer avec le gouvernement algérien qui de 1992 à 1994 était bien affaibli. Mais au fil du temps, Abassi Madani numéro un du FIS a tenté de se démarquer de Ali Benhadj qui selon lui « circonscrit le rôle de la femme à la famille ». Il affirme par la suite que selon lui « la femme chez nous a un rôle éminent dans les institutions éducatives, sociales et économiques ».
Contrebandes, enlèvements d’occidentaux, paiements de rançons
Du FIS est née une faction appelée Groupe Islamique Armé (GIA) qui est sa branche armée. Cette unité armée et équipée s’est lancée dans plusieurs attaques contre les forces de défense et de sécurité algérienne, mais aussi contre les civils modérés et les étrangers qui ne partagent pas leur idéologie.
L’ex-GSPC, dont l’appellation générique est devenue AQMI s’est beaucoup distingué en 2007 à travers les attaques armées, les attentats-suicides utilisés par les autres branches d’Al-Qaïda, la contrebande et les enlèvements d’occidentaux et leur libération contre de fortes sommes d’argent. C’est le nouveau dirigeant, l’algérien Abdoulmalek Droukdal qui proposa cette approche de Djihad différente de celle proposée par la précédente organisation. Ce changement de nom n’est pas venu au hasard. Il est intervenu après que la deuxième personnalité de l’organisation en la personne Ayman Al-Zawahiri a fait une vidéo le 11 septembre 2006 pour confirmer qu’il a été conclu une entente avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Cette organisation a évolué sous (AQPA) après la débâcle d’Al-Qaïda en Arabie Saoudite et le Yémen est devenu leur base de repli stratégique. La reconnaissance d’AQMI par Al-Qaïda est le fruit d’un processus long et laborieux. En réalité l’arrivée du GSPC sous la bannière d’Al-Qaïda était une bonne occasion pour les deux parties. Al-Qaïda voulait au profit de ce rapprochement exporter officiellement le djihad global sur un nouveau terrain. Pour eux, ils ont remporté la victoire en Irak et en Afghanistan contre les troupes américaines, d’où la nécessité d’orienter les ressources djihadistes vers les terrains non conquis et le Sahel était une zone par excellence du fait de sa vaste étendue et de la porosité des frontières.
Cette nouvelle stature d’AQMI a donc motivé l’organisation terroriste qui va « s’afficher comme pionnier et fédérateur de l’ensemble des tendances islamistes régionales se réclamant de l’idéologie d’Al-Qaïda ».
La régionalisation s’est accompagnée d’une augmentation significative des opérations de recrutement, mais aussi de projets terroristes d’envergure. Il faut souligner que comme Al-Qaïda, AQMI s’inscrit dans le courant du Salafisme et devient rapidement une organisation djihadiste avec une expansion phénoménale dans les pays du Sahel.
Moussa Kamara
Spécialiste en droit de l’Homme, Chercheur sur la lutte antiterroriste
kamara.moussa@courrier.
uqam.ca, Montréal Québec Canada