Jadis en mal de légitimité – ou du moins de représentativité – proportionnelle aux hautes fonctions qu’il occupe accidentellement, le Premier ministre peut se prévaloir désormais de reposer sur un socle plus solide que celui d’un monde politique qui retrouve laborieusement ses marques. A force de fréquenter les milieux islamiques, Moussa Mara est arrivé à s’ouvrir des entrées qui le rendent indispensable au point de se passer de la pénible tâche d’implanter son instrument politique propre, le parti Yelema. Le chef du Gouvernement en est peut-être même devenu une épine dans les pieds d’un pouvoir trop respectueux de la redoutable audience du culte dominant. Ce faisant, il en prend lui-même une grosse dans la plante du pied car les collusions dangereuses ont également leur tribut.
La série d’échanges bouclée par le président de la République, la semaine dernière, dans le cadre de sa traditionnelle revue de l’actualité, avait aussi concerné les représentants des différents cultes religieux. Il nous revient, de source bien introduite, que ces derniers, singulièrement les composantes du monde musulman, n’ont pas tari d’éloges à l’endroit du chef du Gouvernement. Dans le collimateur d’une majorité présidentielle où il vient de perdre la main au profit de la formation majoritaire, le Rpm, Moussa Mara aura sans doute fait les choux gras d’un coup de pouce de la part de ses amis du monde musulman. Ses diverses composantes ne se sont pas fait prier pour dire tout le bien de sa personne, plaider sa cause en décrivant au chef de l’Etat comme un homme rompu au labeur tel que le pays en a rarement connu. Et ce n’est pas. Il nous revient, de même source, que les admirateurs du Pm ont poussé l’élégie jusqu’à dénoncer une cabale d’un certain monde politique majoritaire contre un homme d’une redoutable intégrité et qui fait peur par son intransigeance sur les principes de gouvernance.
Le plaidoyer pas fortuit. Il est à mettre plutôt au compte de la reconnaissance due aux rapports trop étroits que le Premier ministre n’a eu de cesse d’entretenir et de consolider depuis sa surprenante accession aux fonctions de chef du Gouvernement, en remplacement d’Oumar Tatam Ly démissionnaire. A défaut de le mériter par une reconnaissance du côté de la majorité présidentielle – où il est accepté sans confirmation de son leadership -, le président de l’une des formations lilliputiennes a aussitôt lorgné en direction de deux entités alternatives : la société civile, puis des représentants d’un culte musulman qui se distingue pourtant par son caractérise très hétéroclite.
Pour les besoins de la cause, la Primature, selon le constat de nombreux observateurs, serait même devenue le principal carrefour où convergent les composantes de la première catégorie, tandis que les autres ont le privilège d’être constamment en compagnie du chef du gouvernement à des circonstances très souvent suscitées. Moussa Mara s’y prend, en effet, par une diversification des mosquées où effectue ses prières hebdomadaires des vendredis. Et ce n’est pas tout. Le Premier ministre s’illustre tout aussi souvent par des gestes de bienfaisance en comblant les organisations islamiques de présents de toutes sortes. Plusieurs sources concordantes reconnaissent certes que sa proximité avec le culte ne date pas d’aujourd’hui, mais certains leaders musulmans relèvent tout de même que le président de YELEMA en fait de trop au point d’importuner par des cérémonies de bienfaisance protocolaire qu’il aurait dû simplifier en les confiant à d’autres collaborateurs.
Quoi qu’il en soit, ces efforts de noyautage du monde musulman comportent leur revers de la médaille. Parmi ses nombreuses fréquentations figurent par exemple des milieux islamiques très tentaculaires qui commencent à ne plus se satisfaire des seules manifestations matérielles de leur amitié avec Moussa Mara. Ils tentent d’en tirer également le meilleur profit idéologique en lui arrachant des engagements en contradiction manifeste avec les fondements de la République. En clair, pendant que le chef de l’Etat fixe des lignes infranchissables de la laïcité de l’Etat aux négociations d’Alger, son chef du Gouvernement, lui, n’affiche aucune intransigeance face aux doléances qui rament à contre-courant et qui l’assaillent à l’occasion de ses multiples passages dans certaines mosquées de la capitale. Il lui est par exemple suggéré, sans la moindre objection en retour, d’envisager la fermeture des bars et autres endroits récréatifs ainsi que la suppression de certaines traditions ludiques du genre ‘Miss ORTM’, entre autres.
Ce faisant, Moussa Mara marche certes sur les pas de son prédécesseur, un certain Cheick Modibo Diarra, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il laboure également sur un terrain naguère fertilisé par son employeur, le président de la République. Lequel répète à l’envi qu’il doit son fauteuil de chef d’Etat plus aux forces musulmanes qu’à sa propre famille politique et que leur soutien lui est par conséquent plus précieux pour l’exercice son mandat.
En définitive, cette instrumentation mutuelle sur fond d’intérêts politiques démontre que ni Moussa Mara, ni IBK n’ont l’air de mesurer le péril inhérent à une collusion du politique et du religieux, bien que le danger se signale par une menace constante aux portes de la République. Pas plus qu’ils n’ont tiré les justes enseignements d’un phénomène qui s’intensifie au détriment de l’Etat depuis l’épisode du Code de la Personnes et de la Famille.
A. KEITA