Michel de Montaigne, penseur français du 16e siècle, suggérait une refonte du système éducatif. Au lieu d’une accumulation des connaissances (des têtes bien pleines), il fallait voir des citoyens susceptibles d’intégrer les connaissances acquises dans leur vie de tous les jours. Des têtes bien faites capables d’adapter les connaissances acquises aux réalités de leur société ou pour la résolution des problèmes auxquels il pouvait être confronté dans leur vie en société. Sauf qu’on se demanderait aujourd’hui au Mali où sont passées ces têtes bien faites.
« La haine, la vengeance entre les habitants. L’eau sera perdue. Vous avez offert des sacrifices aux loa, vous avez offert le sang des poules et des cabris pour faire tomber la pluie, ça n’a servi à rien. Parce que ce qui compte c’est le sacrifice de l’homme. C’est le sang du nègre. Va trouver Larivoire. Dis-lui la volonté du sang qui a coulé : la réconciliation, la réconciliation pour que la vie recommence, pour que le jour se lève sur la rosée. » Ce passage du Gouverneur de la rosée de Jacques Roumain fait ressortir les qualités que doit avoir une tête bien faite. Manuel, héros du roman, est cette figure de l’intellectuel capable de faire profiter sa société de sa connaissance. Les techniques d’irrigation apprises vont lui servir à résoudre la sécheresse à laquelle les habitants de son pays étaient confrontés.
Combien il y a-t-il de Manuel parmi les intellectuels dans les pays démocratiques modernes comme le Mali ? On en compte peu ou point. Dans ces régimes, « Une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C’est un produit d’école. » À travers ce passage de Gaston Bachelard, penseur de l’époque contemporaine mort en 1962 à Paris, il est possible de comprendre le problème de l’intellectualisme dans ces pays. Cette qualité entraîne la fermeture sur soi, le favoritisme.
Une connaissance passive mérite-t-elle le nom de connaissance ? Le savoir est dans la pratique. Il doit être susceptible de changer le mode de vie de l’aspirant sage voire de toute sa société. Une connaissance ne vaut comme telle que dans la pratique.
Ceux qui sont considérés comme des têtes bien faites de nos jours, au lieu qu’ils cultivent l’humilité dans leur comportement, ils attendent toujours confirmation de leurs postulats qui ne sont pour la plupart que des préjugés.
Ils ignorent que la construction de la vérité, qui est toujours relative, est un travail d’équipe demandant assez d’ouverture d’esprit. Cela n’est possible que lorsque les uns et les autres sont prêts à apprendre au contact de leurs adversaires pour le bien de tous.
Le populisme empêche cette collaboration intellectuelle qui est pourtant garant de stabilité et de développement. Cette pratique populiste amène à douter de la formation reçue par ces hommes.
Dans les régimes démocratiques modernes pris en otage dans des crises sécuritaires sans précédent, des opinions, venant de tête bien faite ayant fait de grandes écoles dans le monde entier, se véhiculent et bouchent les voies du progrès.
Les « théories du complot » constituent la maladie la plus répandue dans ces démocraties. Des accusations sont formulées à l’endroit de tel ou tel cadre politique, le plus souvent, sans preuve palpable ou par pure adversité politique.
Pendant ce temps, le pays s’enlise davantage dans des crises politiques et institutionnelles. Cela, sans que ces têtes dites bien faites y réussissent à proposer de solutions sereines pour une sortie de crise.
« La tête bien faite doit alors être refaite », suggère Bachelard. Un pays comme le Mali qui compte tant « d’intellectuels » ayant étudié dans les meilleures universités du monde, ne doit pas manquer de solutions pérennes de sortie de crise.
Il faut « une refonte totale du système du savoir » dans ces pays démocratiques. Le savoir doit être utilisé à bon escient afin de voir germer dans ces pays plusieurs Manuel.
Fousseni TOGOLA
Source : LE PAYS