La libération de plusieurs centaines de détenus politiques n’est que le premier acte d’un scénario ficelé, suite à des négociations discrètement menées entre le Président Macky Sall et Ousmane Sonko. C’est le résultat de l’action entreprise par un ballet de médiateurs, parmi lesquels l’homme d’affaires malien Ousmane Yara, un habitué des grandes négociations de sortie de crise dans plusieurs pays de l’Afrique de l’ouest.
Stratégie très connue et dite “des colombes et des faucons”. Voilà ce que le leader politique sénégalais Ousmane Sonko et ses proches sont en train de mettre en œuvre. En effet, pendant que des négociations sont menées entre la prison du Cap Manuel, où se trouve embastillé Ousmane Sonko, et le palais présidentiel, les faucons de Pastef – le parti dissous de Sonko – et leurs alliés maintiennent une ligne dure, certainement pour faire monter les enchères.
Quoiqu’il en soit, les négociations entre Ousmane Sonko et le Président Macky Sall relèvent désormais du secret de Polichinelle. Elles se font par médiateurs interposés et les plus cités sont Abbas Fall, un député de l’opposition sénégalaise et Ousmane Yara, un homme d’affaires malien qui fait preuve d’une grande adresse dans la médiation, raison pour laquelle il est très connu dans ce domaine entre Dakar et Lagos, en passant par Conakry.
Sur les 19 candidats en lice, après le retrait et l’inculpation de Mme Rose Wardini pour dissimulation de double nationalité, 15 de ces candidats se sont regroupés en un collectif pour exiger que la présidentielle se tienne à date échue. Bassirou Diomaye Faye étant toujours détenu dans le cadre d’un mandat de dépôt au titre d’une procédure encore pendante devant les juridictions sénégalaises, les trois candidats restants, notamment Boubacar Camara, Boun Abdallah Dione, Aly Ngouille Ndiaye semblent plus ouverts en ce qui concerne l’organisation d’élections plus inclusives.
Ce dialogue, justement, est ouvert lundi dernier. Macky Sall, qui joue avec le temps, sait très bien que l’élection présidentielle ne pourrait se tenir, dans ces conditions, avant son départ le 02 avril, date de la fin de son mandat. Surtout qu’il faut s’attendre à deux tours de scrutin ! D’ores et déjà, le Président Macky Sall laisse entrevoir une partie de cette stratégie, en préconisant la mise en place de deux groupes de travail, confiés à deux de ses proches, reconnus comme éminents juristes, mais qui ne l’ont jamais contrarié lorsqu’il a voulu jouer avec la constitution du Sénégal. Cela veut dire que ce sont deux hommes de confiance, notamment Me Sidiki Kaba, actuel ministre de l’Intérieur, département en charge de l’organisation des élections, à travers la Direction Générale aux Elections, et le Pr Constitutionnaliste, Ismaïla Madior Fall, lequel défendait d’ailleurs la possibilité pour Macky Sall de briguer un troisième mandat.
Les deux groupes de travail doivent s’occuper, lors de ce dialogue, respectivement de l’organisation matérielle du scrutin et de l’après 02 avril 2024. C’est donc clair qu’il y aura une situation exceptionnelle après le 02 avril pour nécessiter la mise en place d’un groupe de travail. Macky se prépare à un autre coup, qui n’est autre que celui de trouver la possibilité de faire reprendre la procédure de candidatures pour permettre à Karim Wade et Ousmane Sonko d’y prendre part.
Pour Karim Wade, la participation à l’élection présidentielle est une promesse faite par Macky Sall sous l’onction de chefs religieux et traditionnels, Karim ayant conditionné sa participation à l’autre dialogue national initié par Macky, en son temps. Il y a deux ans de cela. C’est ce qui avait conduit, aussitôt après ce dialogue, au vote d’une loi d’Amnistie par la majorité mécanique de Macky à l’Assemblée nationale, annihilant ainsi les effets de sa condamnation, suite aux poursuites de la Défunte Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite ayant débouché sur un procès mémorable.
Mais ce que le Président sénégalais n’avait pas prévu, c’est le rejet de la candidature de Karim Wade par le Conseil constitutionnel à cause de sa prétendue double nationalité : sénégalaise et française.
En ce qui concerne Ousmane Sonko, Macky s’est rendu compte qu’en s’acharnant sur lui, c’est finalement pour offrir la victoire de l’élection présidentielle au candidat par défaut du camp de Sonko. Il s’agit de Bassirou Diomaye Faye, actuellement en détention provisoire. Sa campagne électorale est menée par tous les troublions de la scène politique sénégalaise qui font peur à Macky Sall. ” Diomaye Président ” étant devenu un cri de ralliement de tous les opposants très fâchés contre Macky Sall.
En validant la candidature de Bassirou Diomaye pour rejeter en contrepartie celle de Karim Wade, le Conseil constitutionnel s’est attiré les foudres de Macky Sall. Illico presto, le locataire du palais présidentiel a cautionné, voire commandité la création d’une commission d’enquête contre deux membres de ce Conseil accusés de corruption. Et qui est le prétendu corrupteur ? L’actuel Premier ministre choisi par Macky Sall comme son dauphin pour tenter d’assurer sa succession.
En sacrifiant ainsi le candidat désigné de sa coalition politique et en plus le Premier ministre de son gouvernement reconduit malgré sa candidature, Macky Sall ne pouvait qu’être de mèche avec Karim Wade et compagnie pour permettre à sa majorité à l’Assemblée nationale de soutenir cette accusation contre son Premier ministre.
Un jeu à travers lequel il fallait jeter l’opprobre sur cette juridiction et trouver des raisons de faire prétendre faire reprendre le processus électoral, plus précisément le processus de dépôt et de proclamation officielle des candidatures. Mais il faut, avant cela, libérer Ousmane Sonko pour qu’il participe au scrutin au même titre que Karim Wade. Mais libérer Sonko ne suffit pas. Il faut une amnistie. Voilà pourquoi Macky Sall, dans son discours de lundi dernier à l’ouverture du dialogue national, a indiqué qu’une loi d’amnistie sera votée et couvrira les faits situés entre 2021 et 2023.
Seulement, pour amener Macky Sall et Ousmane Sonko à dialoguer, il a fallu d’abord l’intervention de l’Architecte Pierre Goudiaby Atepa. Un mentor d’Ousmane Sonko puisque plusieurs témoignages soutiennent qu’il est le premier bailleur de fonds du parti Pastef parce qu’il fait partie du projet porté par Sonko. Atepa ne peut supporter certainement que tout le travail abattu soit récolté par Bassirou Diomaye Faye, qui n’a comme seul mérite que de répondre que de la notoriété de Sonko dont il est un des lieutenants. L’Architecte a décidé d’entrer en action afin que Macky revienne à de meilleures dispositions concernant Sonko et lui permettre de revenir dans le jeu électoral. Et c’est là qu’est née l’idée de la négociation pour faire de Sonko le candidat de Pastef et plus généralement de l’opposition radicale sénégalaise, en lieu et place de Bassirou Diomaye Faye.
En contrepartie d’une préservation des arrières du Président Sall par Sonko en cas de victoire de ce dernier à l’élection présidentielle. Le même topo qui a été retenu avec Karim Wade après des négociations, il y a de cela deux ans.
C’est en ce moment que, sur les pas de Pierre Goudiaby Atepa, est entré en lice l’homme d’affaires malien Ousmane Yara, lequel s’est fait accompagner par le député de l’opposition, Abbas Fall proche de Sonko, pour mieux convaincre le plus célèbre prisonnier du Sénégal.
Selon des sources dignes de confiance, Ousmane Yara est en train d’agir avec la bénédiction du Président nigérian, Tinubu, actuellement président en exercice de la Cédéao. Raison pour laquelle, Tinubu a annulé son déplacement sur Dakar au moment où la crise sénégalaise faisait craindre le pire. Le président nigérian, en bonne intelligence avec le médiateur et homme d’affaire malien, Ousmane Yara, a préféré annuler son déplacement au vu de la nouvelle tournure des événements, notamment la réussite de la médiation assurée par Yara pour rapprocher le Président sénégalais et son principal opposant, Ousmane Sonko.
Effectivement, de la réussite, Ousmane Yara en a au Sénégal, si l’on en croit des confidences de haut niveau. Il serait à la base de l’accord qui a permis la libération de prisonniers dits politiques parce que proches du leader du parti Pastef, Ousmane Sonko. C’est une exigence de ce dernier, avant que lui ne soit libéré et amnistié pour participer à un scrutin qui sent déjà la reprise du processus de validation des candidatures.
Aux termes du dialogue qui a pris fin avant-hier, mercredi, Macky a obtenu, dans les conclusions soumises au Conseil constitutionnel pour validation, le report du scrutin prévu pour le 02 juin 2024. Entretemps, lui, Macky Sall, assurera les fonctions de président intérimaire jusqu’à la fin du processus d’élection de son successeur. En plus, les candidatures déjà retenues par le Conseil constitutionnel restent valables pour le scrutin du 02 avril, avec la possibilité pour les autres de les rejoindre pour avoir un scrutin inclusif, dit-on. Macky aura donc profité de la décrispation politique pour avoir, au détour de son dialogue, une prolongation du mandat et le report de l’élection présidentielle.
Rappelons que la date du 02 juin est retenue parce qu’il faut tenir le scrutin avant le mois de juillet qui symbolise le début de l’hivernage.
Mais qu’est-ce qui fait le secret des réussites d’Ousmane Yara ?
“Il a une certaine habileté en termes de médiation” dit un journaliste sénégalais qui rappelle le grand respect que les autorités nigérianes ont pour Ousmane Yara qui passe une partie de l’année au Nigeria pour suivre ses affaires dans ce pays.
Mais ceux qui l’ont approché lors de sa médiation en Guinée, du temps de Moussa Dadis Camara, mettent l’accent sur sa discrétion qui facilite son approche des différentes parties en conflit. En effet, c’est lui, Ousmane Yara, qui avait convaincu le président Abdoulaye Wade de venir l’appuyer en finalisant la médiation qu’il avait entamée avec les parties guinéennes. Cet accord de Conakry, l’on se rappelle, a évité l’embrasement de la Guinée.
Il a mené d’autres missions de médiation dans des pays de l’Afrique de l’ouest, mais en parler dans les détails est une agression contre sa discrétion, nous confie un de ses proches. Comme quoi, presqu’oublié dans son pays, Ousmane Yara est très respecté et sollicité en Afrique de l’ouest. Qui disait encore qu’on n’est jamais prophète chez soi ! La Rédaction
