Depuis un certain moment, les débats vont bon train sur la possible création d’une monnaie purement nationale ou de l’Alliance des États du Sahel. Le 2 mars 2024, à la Pyramide des Souvenirs, le M5-RFP Mali Kura a réuni deux experts, Modibo Mao Macalou, spécialiste en économie et finance et Moussa Diallo, professeur d’enseignement supérieur à la Faculté des sciences Économiques et de Gestion (FSEG), pour débattre sur la faisabilité de la nouvelle monnaie.
‘’Faut-il créer une nouvelle monnaie ? Enjeux et soutenabilité’’, tel était le thème principal de cette conférence-débat organisée par le M5-RFP Mali Kura. Deux spécialistes en économie ont porté leurs regards sur la question. Si, l’universitaire est très favorable à la création d’une monnaie nationale ou du moins africaine mais purement déconnectée de toute autre ingérence, Macalou, quant à lui, a quelques réserves, car il estime que la création d’une monnaie implique des réalités qui vont bien au-delà des aspects politique.
Pour le professeur d’enseignement supérieur, Moussa Diallo, la création d’une monnaie déconnectée de l’ingérence des puissances mondiales est une nécessité pour nos pays, surtout qu’ils sont dans un tournant décisif. « Je me suis toujours battu pour cela. Depuis dix ans, j’ai toujours pensé qu’il faut aller vers la création d’une monnaie nationale ou africaine, mais qui soit totalement déconnectée d’autres ingérences », a-t-il ajouté.
Cependant, il reconnaît que la création d’une monnaie implique bien des réalités. Ainsi, il dira que pour la création d’une nouvelle monnaie, il y a plusieurs aspects à prendre en compte. « Il est d’abord politique. Cela veut dire qu’il faut que les autorités prennent la décision. Le second aspect est technique, il faut réussir toute l’expertise en la matière. C’est-à-dire, il faut de bons cadres qui vont non seulement évaluer les risques, mais aussi gérer la question une fois opérationnelle. Je suis pour la création d’une monnaie, qu’elle soit nationale ou africaine. Il nous faut une monnaie totalement déconnectée de toute ingérence étrangère. Cependant, je propose que les autorités réunissent tous les experts en la matière avant toute prise de décision », a-t-il expliqué.
Selon l’enseignant-chercheur, le pilier de la création d’une monnaie est surtout l’aspect économique. « Il faut avoir une capacité d’exportation pour avoir les devises internationales. Et il est clair que nos États qui sont concernés par ces questionnements sont des gros producteurs d’or, mais en plus de cela ce sont des pays producteurs de cotons. Donc, les atouts sont là, mais encore faut-il le dire, il faut le faire avec de la rigueur, du sérieux et de la réflexion », a-t-il insisté.
Pour ce faire, Moussa Diallo plaide pour un projet de l’AES à long terme qui évite toute instabilité politique et institutionnelle. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’instabilité. La seule solution serait la continuité du projet AES. Il suffit d’un changement brusque dans l’un des trois pays pour que le projet tombe à l’eau », a-t-il souligné.
Des réserves… !
Pour Modibo Mao Macalou, il faut être réaliste. Une monnaie étant un pouvoir d’achat des citoyens, il ne faut pas prendre la question à la légère. « C’est mon travail d’évaluer un peu les risques, les coûts et les bénéfices et cela nous impose la sincérité autour de la question », a-t-il lancé. Une monnaie, selon lui, ce sont trois choses : un moyen d’échanges, une unité et surtout un pouvoir d’achat des citoyens.
Modibo Mao Macalou estime qu’il faudra plutôt travailler à avoir une monnaie stable et viable. « Pour avoir une bonne monnaie, une monnaie stable, il faut qu’elle soit adossée à des échanges. Et les normes internationales disent, il faut au moins de l’or et des devises qui puissent garantir trois mois d’importations pour avoir une monnaie stable. Est-ce que ces conditions sont réunies ? », s’est-il interrogé avant d’ajouter « Je ne le sais pas. »
L’économiste a reconnu cependant qu’une monnaie était un des instruments de souveraineté, mais que la monnaie seule ne suffisait pas pour garantir le développement d’un pays. Ce qui l’a amené à s’interroger sur la richesse des pays. « Nous reconnaissons que la monnaie est un instrument de souveraineté. Mais dans notre contexte, il faut plus de mesure et de rigueur pour sa faisabilité. Les gens pensent qu’il suffit de créer la monnaie pour que tous nos problèmes de développement soient réglés. Non, la monnaie va de pair avec une bonne gouvernance. Il y a beaucoup de pays aujourd’hui qui ont leurs propres monnaies, mais sur le plan de développement et surtout par le produit intérieur brut (PIB) ne se portent pas mieux que certains qui utilisent le franc CFA », a-t-il souligné.
Cependant, Modibo Mao Macalou était convaincu que ces pays qui composent l’AES ne manquent pas de ressources naturelles à la matière. « L’AES est dotée de ressources naturelles. Le Niger produit de l’uranium et du pétrole, le Mali produit de l’or et du coton, le Burkina Faso produit aussi de l’or et du coton et les céréales…. Ce qui veut dire que l’AES a le potentiel, mais elle ne transforme pas. Pour aller vers une plus grande intégration économique et monétaire, l’AES a besoin de faire baisser ces coûts de facteurs de production. C’est-à-dire, augmenter la transformation, moderniser son économie et la dynamiser. Je pense que ce sont des aspects qui doivent être travaillés avant d’engager le processus en tant que tel », a-t-il ajouté.
Monnaie et souveraineté…
Loin d’être un économiste, le président du M5-RFP Mali Kura, Mahamadou Konaté, n’a pas manqué de faire connaître son point de vue sur la question. Selon lui, aucune analyse économique, à elle seule, ne peut suffire à motiver la création d’une nouvelle monnaie ou à s’en tenir au statu quo. Il dira également que la création d’une monnaie a toujours été considérée comme l’expression de la souveraineté d’un État. Mais l’expérience l’a démontré, ne pas battre sa propre monnaie, ne saurait être aussi synonyme d’absence, de perte ou d’extorsion de souveraineté.
Pour lui, battre une nouvelle monnaie peut être une expression de la souveraineté de l’Etat, tout comme conserver une monnaie en cours, même si elle est d’origine étrangère. Ce qui importe, a-t-il avancé, ce sont les conditions du choix, c’est-à-dire est-il libre de toute contrainte extérieure ? et les effets du choix, autrement dit, va-t-il permettre un meilleur développement, un mieux-être ?
Amadou Kodio
Source : Ziré