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Covid-19, terrorisme et autres conflits: le Sahel en proie à la «somalisation»

Attaques contre des bases militaires, conflits entre communautés, enlèvements de candidats aux élections législatives, les derniers événements dans le Sahel mettent en lumière la déliquescence de la région. Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les pays occidentaux pourraient rebattre les cartes. Analyse de Leslie Varenne, de l’Iveris.

 

Le Sahel est-il en train de se «somaliser»? Comparaison n’est pas raison, les contextes historique et politique sont différents. Mais dans les faits, le compte y est: États défaillants, économie de prébendes, armées nationales en déroute, forces internationales impuissantes malgré un déploiement de forces impressionnant et populations livrées à elles-mêmes.

Des armées nationales durement touchées…

Le 19 mars, l’armée malienne a, de nouveau, payé un lourd tribut. Lors de l’attaque du poste militaire de Tarkint, situé au nord de Gao, au moins 30 soldats ont été tués par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM)* de Iyad Ghali.

Dans son communiqué de revendication, le groupe terroriste s’est félicité de la mort «de plus de 30 soldats tyrans», de la destruction totale de la caserne, et a détaillé son butin de guerre: mitrailleuses, RPG, obus de mortiers, munitions, véhicules. À Tarkint, comme d’ailleurs lors de chacune des attaques contre des emprises militaires, c’est un véritable arsenal qui change de main. Ce qui fait dire à un diplomate européen en poste à Ouagadougou que «les armées nationales et leurs alliés (qui les aident à acquérir du matériel) sont en train d’armer les terroristes».

Le 23 mars, ce fut au tour de l’armée tchadienne de subir un cruel revers: plus de 100 militaires ont été tués lors d’une attaque de Boko Haram à Boma dans la province du Lac. C’est la plus lourde perte de son histoire. C’est aussi un très mauvais signal. De par sa capacité à agir dans le désert, de par ses techniques de combat et le courage de ses soldats, cette armée est toujours citée en exemple et considérée comme la meilleure des pays du G5. Si elle aussi plie sous les coups de boutoir des groupes armés terroristes, cela risque de démoraliser les troupes africaines dont la confiance est souvent vacillante. Cela affaiblit également la stratégie française qui compte depuis plusieurs années sur les soldats de N’Djamena pour la soutenir dans certaines opérations. Dans ce cadre, il était d’ailleurs prévu qu’un bataillon de 500 soldats tchadiens se déploie prochainement dans la zone des Trois frontières. Il est fort probable que cette douloureuse actualité change la donne.

La guerre dans la guerre

Mais au Sahel, les combats les plus meurtriers ont lieu entre des communautés qui jusqu’en 2015 cohabitaient pacifiquement. Après les nombreux massacres commis par les milices contre les Peuls, ces derniers ont décidé de se venger. Depuis quelques mois, un cycle d’attaques/représailles s’est installé: Peuls contre Mossis au Burkina Faso; Peuls contre Dogons au Mali. Au Mali d’ailleurs, dans le cercle de Bankass (centre) précisément, ces violences atteignent leur paroxysme. Le 22 mars dernier, des hommes vêtus d’uniformes militaires burkinabè ont attaqué trois villages peuls, à Yira, Dien et Dissa à 80 km de la ville de Bankass, tuant 19 Peuls. Ces derniers ne sont pas en reste, au cours des dix premiers jours du mois de mars, toujours dans le cercle de Bankass, 15 villages dogons ont été rayés de la carte.

Selon un membre malien de la communauté peule, très au fait de la situation, par ces attaques, les Peuls cherchent à créer des rapports de force afin de pouvoir signer des accords de paix locaux. Certains Dogons y seraient favorables, d’autres s’y refuseraient. Dans certaines localités, les premiers s’allieraient avec les Peuls pour faire plier les Dogons récalcitrants, rendant ainsi la situation aussi complexe qu’illisible.

Toutes ces exactions –tueries, villages incendiés, bétails volés, commises par l’une ou l’autre des parties– font fuir les populations qui viennent ainsi grossir les rangs des déplacés internes. Ces drames quotidiens se déroulent dans une incompréhensible indifférence, absolue et générale. Ni le gouvernement malien, ni la Mission de maintien de la paix de l’ONU (Minusma), dont une des principales missions, faut-il le rappeler, consiste à protéger la population, n’a agi ou même réagi.

Cette indigence donne du grain à moudre à la propagande djihadiste, le JNIM* ne cessant de fustiger l’État malien et les forces étrangères qu’il nomme «les croisés d’occupation». Il est, par ailleurs, tout à fait intéressant de noter que dans son dernier communiqué, Iyad Ghali parle pour la première fois au nom du «peuple malien» et de «ses intérêts».

Au Mali, les terroristes s’affrontent aussi

Dans la région de Mopti et dans une partie de celle de Ségou, les éléments du JNIM* combattent ceux de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS)*. Lors de la dernière bataille qui a eu lieu la semaine passée dans les environs de Nampala, les pertes dans les rangs de l’EIGS* auraient été nombreuses. L’enjeu de cette guerre fratricide serait, selon un observateur malien, d’obtenir une répartition claire du territoire, le JNIM* souhaitant rester seul maître de la rive gauche du fleuve Niger.

Le tableau ne serait pas complet sans faire état de tous les morts et blessés par l’explosion des IED (engins explosifs improvisés). Au cours de ces derniers jours, deux soldats maliens ont été tués et deux Casques bleus de la Minusma grièvement blessés.

Et comme si la situation n’était pas assez délétère, le chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé et sa délégation en campagne pour les élections législatives qui doivent se tenir ce dimanche ont été enlevés dans la circonscription de Niafunké. La semaine dernière déjà, un candidat du parti RPM et ses accompagnateurs avaient été «retenus» pendant 48 heures…

Et en même temps…

Comme partout dans le monde, en Afrique, l’inquiétude autour du coronavirus devient virale même si pour l’instant, le continent résiste encore avec moins de 2.500 cas. Au Mali, après la découverte de trois personnes atteintes par la maladie, le président Ibrahim Boubacar Keïta a fermé les frontières et instauré un couvre-feu de 21h à 5h du matin. Mais, dans le même mouvement, il a décidé de maintenir coûte que coûte le scrutin de dimanche malgré l’enlèvement de Soumaïla Cissé.

Le secrétaire général de l’ONU a demandé une trêve, un cessez-le feu généralisé, pour résister au fléau du Covid-19. Antonio Guterrez a également déclaré, un brin lyrique:

«La furie avec laquelle s’abat le virus montre bien que se faire la guerre est une folie.»

Bien entendu, personne n’a attendu ni les Nations unies ni le coronavirus pour savoir, comme le chantait Zao dans son célèbre tube, que «la guerre ce n’est pas beau, ce n’est pas beau»…

La trêve du «corona» attendra

Et, évidemment, la trêve sanitaire au Sahel, comme ailleurs dans les autres pays en guerre, n’a pas lieu. En revanche, en plus du scénario catastrophe si l’Afrique venait à être durement touchée, un autre se dessine: celui d’une redistribution des cartes. Personne, en effet, n’est en mesure d’anticiper les conséquences du Covid-19 sur l’engagement «des partenaires occidentaux».

Les opérations extérieures françaises pourraient en être affectées. D’une part, son armée participe sur le front intérieur à la lutte contre la pandémie. D’autre part, les troupes ne sont pas épargnées par les risques de contamination. La France a déjà décidé de retirer ses troupes d’Irak. Les Européens comme les États-Unis traversent le plus fort de la tempête, la fin de leur confinement est encore loin et ils ne sont pas près de sortir de leurs multiples crises sanitaires et économiques. La Chine, elle, relève déjà la tête et joue les bons élèves de la solidarité internationale.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

Source: Sputniknews.com

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