Il est indubitable que les déviances économiques et financières demeurent des données indissociables de la vie des États.
Elles se manifestent, cependant, de façons diversifiées : marginales dans le fonctionnement de certains pays, et structurelles, voire systémiques, dans d’autres, notamment au Mali et bon nombre de pays.
Elles restent parmi les composantes majeures des injustices sociales à travers la corruption et la délinquance financière.
Du 22 septembre 1960 au 19 novembre 1968, la corruption et la délinquance financière étaient si marginales que les expressions étaient quasi inconnues au Mali. Les dirigeants de l’époque avaient comme priorité : que pouvons faire pour notre pays ?
Ces patriotes avaient opté pour la prééminence au développement du pays et construit des usines et infrastructures (Cimenterie de Diamoun, SOCOMA de Baguinéda, COMATEX à Ségou, barrages hydroélectriques…) pour assurer au pays un développement pérenne.
Le coup d’État du 19 novembre 1968, préparé avec des complicités extérieures, a sonné le glas de l’expérience socialiste mise en œuvre par Modibo KEÏTA et son équipe.
Le concept de l’accaparement des biens publics et privés s’est imposé parce que certains membres du CMLN ont impulsé le mouvement mortifère.
La délinquance financière et son ombre portée, la corruption, commencèrent leur encrage dans une société déboussolée. Le népotisme surgit avec son effet dévastateur sur le mérite dans le travail et le moral des citoyens. « Un coup de piston vaut mieux que cent ans d’études ou de labeur », une expression usitée depuis les années 1970. Le propos n’est pas de jeter l’opprobre sur tous les membres de l’ex CMLN, mais son arrivée au pouvoir a catalysé de bas instincts qui se sont émancipés des vertus ancestrales maliennes.
Aujourd’hui, toute Malienne et tout Malien sont convaincus de vivre dans un pays qui se meurt par le fait que la corruption règne en maître. Sentiment répertorié par Transparency International classant le Mali 135ème ex aequo avec 6 autres pays sur 180 dans l’indice de perception de la corruption dans le pays pour 2024. Le classement donne à réfléchir même si l’organisme, dans son fonctionnement et par son appartenance, suscite la méfiance.
Les causes sont multiples et les solutions complexes, mais réalisables.
Pour les causes, au niveau macroéconomique, dans les zones disposant du franc CFA, l’UEMOA et la BCEAO, sous tutelles, donc soumises aux diktats de la banque de France, sont imposées des taux d’intérêt bancaire très élevés ne permettant pas aux opérateurs économiques locaux de demander des prêts bancaires raisonnables pour investir. Ces taux d’intérêt volontairement élevés sont appliqués pour empêcher les investissements et le développement des pays disposant de cet ersatz de monnaie. Les opérateurs économiques appliquent donc, parfois, des manœuvres scabreuses pour l’obtention de prêts dont les remboursements relèvent de la Saint-glinglin. Le système CFA impose une corruption de facto dans les opérations bancaires actuellement. Les taux d’intérêt des prêts étaient toujours à deux chiffres dans les années 1990. Ils avaient amorcé une baisse mais sans commune mesure avec les taux en France, dans les années 2020. En France même les taux d’intérêt des banques sont ridiculement bas comparés à ceux que ce même pays impose aux pays à CFA.
Pour les prêts à la consommation, les taux d’intérêts des banques au Mali sont revenus à deux chiffres au mois mars 2025, une moyenne de 11%.
Cherchez l’erreur ? Elle s’étale !
Une forme de corruption des fonctionnaires est induite par les firmes transnationales lorsqu’elles décident de s’implanter dans des pays en développement et d’y potentialiser leurs bénéfices. Cela passe par la mise en place de mécanismes frauduleux comme les pots-de-vin, fraudes fiscales, détournements de fonds pour un enrichissement personnel.
Récemment, l’ancien président du Congo Pascal LISSOUBA, reconnaissait dans une vidéo encore visible sur youtube, qu’il lui était impossible de connaître la quantité de pétrole que la firme Total extrayait du sous-sol de son pays en off-shore. Délinquance financière internationale de haut vol. Ce procédé lui était imposé par la firme Total qui a, par la suite, donné des armes à Denis SASSOU NGUESSO pour le combattre et lui reprendre le pouvoir en 1997. Pour la petite histoire, Elf-Aquitaine devenu Total et maintenant TotalEnergy, ne reversait que 17% des revenus du brut déclaré au Congo.
Le bras de fer entre le gouvernement malien et la société Barrick gold en est une autre illustration.
Le phénomène touche toutes les entreprises ayant atteint une taille critique dans le monde, qu’elles soient occidentales ou de pays émergents comme la Chine et l’Inde.
Pour cette fin, une bourgeoisie locale est flattée et utilisée dans le but de conforter ces diktats extérieurs dans le pays. Elle brille sur les ondes des médians mensonges, comme le dit Michel Collomb à propos des médias globaux occidentaux, RFI, France24, VOA, …
Une autre des causes est sociétale parce que certains fonctionnaires sont victimes de pressions familiales ou amicales qui les amènent à prendre des libertés avec l’orthodoxie économique. Ils trichent pour éviter d’être réduits à des termes dépréciatifs : maudits, « dankaden dankasafinè ».
Ces pressions sociales constituent des causes ou des amplificatrices de la délinquance financière et de la corruption.
La notion de réussite est devenue indissociable de la captation massive de l’argent, notamment par des voies illicites. Vous avez réussi seulement et seulement si vous arrivez à entasser l’argent, le wari, peu importe le moyen utilisé.
Des services publics sont devenus des mafias et la gangrène a atteint tout le tissu socio-économique.
La prise en compte du fait que nous pouvons tous devenir alternativement victimes et/ou responsables du fléau devient une nécessité impérieuse. Cette prise de conscience permettra peut-être de contribuer à l’endiguement de ce mal devenu structurel.
Cet endiguement, voire l’éradication ou la réduction de la corruption et la délinquance financière passent par une révolution sur deux pôles : Les forces de sécurité et la justice.
La protection normale et les privilèges accordés aux juges dans l’exercice de leur fonction sont indispensables. Mais quelques juges se sont dévoyés, les citoyens croient de moins en moins au système judiciaire, notamment dans des cours d’appel. Le fait est illustré par un jugement de la chambre sociale de la cour d’appel de Bamako en 2019. Un employé a été débouté par des magistrats qui lui ont reproché l’irrespect des articles d’un contrat à durée indéterminée (CDI) alors qu’il n’avait eu ou signé un tel contrat avec son employeur. Encore mieux, il n’y avait pas du tout de contrat durant l’exercice 2017-2018. Une décision de justice fondée sur une argumentation mensongère.
Quand des juges dépossèdent les citoyens de leur droit, la justice se fait l’alliée des délinquants économiques.
La chambre sociale de la Cour Suprême de l’époque, 2020, avait entériné cette décision inique. Le président de cette chambre sociale, M. O. D. a été mis à la retraite, comme d’autres, après la chute d’Ibrahim Boubacar KEÏTA par une décision du gouvernement de transition.
Les capacités du BVG (Bureau du Vérificateur Général), de l’OCLEI (Office Centrale de Lutte contre l’Enrichissement Illicite), du Procureur du Pôle Economique et Financier) doivent être renforcées. Ces instances devraient pouvoir s’autosaisir de dossiers et engagés directement des poursuites.
Il faut mettre en place des organes, il y en a déjà, et leur donner les vrais moyens réels de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Ras le bol des rapports qui dorment dans les tiroirs.
Albert Camus disait : » J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre » .
Par ces pratiques injustes et donc inhumaines, une minorité inflige à la majorité l’angoisse du futur, le fatalisme qu’aucun Dieu n’a jamais ordonné.
Il n’y a pas lieu de stigmatiser l’employé de mairie qui impose 10 000 francs au lieu de 1500 francs pour un livret de famille, ni le policier qui raquette katakatani, sotrama, taxi… Ce sont seulement les points visibles de l’iceberg. « Le poisson pourrit d’abord par la tête. » Ensuite le miasme s’incruste dans le tissu socioéconomique.
Lorsque le médecin, par un mauvais soin, participe à la propagation du mal ou lorsque le malade refuse de s’appliquer les consignes permettant d’améliorer son état de santé, le résultat est le même : le système s’auto-consume.
Le déficit d’éducation et la capitulation politique sont et demeurent les syndromes à corriger pour rompre avec cette tragédie sociétale.
Yamadou TRAORÉ.
Enseignant
Analyste politique
Source: L’Aube