Bien connu des auditeurs de RFI, l’expert des questions énergétiques et écologiques, Pierre Radanne, a dressé pour nous un bilan à l’issue de la COP22 qui s’est achevée à Marrakech le 18 novembre. Si l’Accord de Paris de 2015 a donné un nouvel élan au niveau des pays, il estime qu’il faudrait désormais impliquer plus les citoyens à titre individuel.
Pierre, quel bilan peut-on faire de la COP22 qui s’est achevée le week-end dernier à Marrakech ?
Sur le plan des Etats, le gros du boulot avait été fait à Paris (lors de la COP21 en décembre 2015 NDLR). Le problème c’est que la ratification de l’Accord de Paris est arrivée très tard par rapport à la COP (beaucoup de pays ne l’ont ratifié qu’en octobre, voire même début novembre NDLR). Donc les pays n’avaient pas eu beaucoup de temps pour se préparer. Et puis bien sûr, il y a eu l’accident qu’a été – si je puis dire – l’élection américaine. Ça a un peu bloqué le jeu puisque le nouveau président n’est pas encore en fonction, il ne le sera que fin janvier 2017.
Donc en ce qui concerne les Etats-Unis on ne sait pas très bien aujourd’hui quelle va être leur ligne de conduite dans les années qui viennent. Et notamment sur la question financière. Est-ce que les Américains vont prendre leur part tel que c’était envisagé dans les 100 milliards de dollars et tel que cela avait été inscrit dans les éléments de l’Accord de Paris ? Donc cette affaire-là a un petit peu figé la COP de Marrakech, qui n’a pas pu avancer sur un certain nombre de questions.
Lesquelles par exemple ?
La question du financement, des questions qui concernent l’adaptation, les règles de comptabilité et de transparence. Il y a encore plein de choses qui sont à régler et qui devront être réglées d’ici 2018 pour être pleinement opérationnelles en 2020, et cela pour la totalité des pays. Là, il y avait une deuxième COP après la COP des Etats, qui est la COP des pays. C’est à dire que les contributions nationales, les stratégies pour 2030 telles qu’elles avaient été exprimées, vont maintenant déboucher sur des actions dans les différents secteurs avec l’ensemble de la diversité des acteurs : bien sûr les Etats, mais aussi les municipalités et les régions, les entreprises, les filières professionnelles, le secteur bancaire, l’ensemble de la société civile, les universitaires…Tout le monde va se mettre au travail sur différents secteurs et cela augure quand même d’un mouvement qui va se prolonger dans les années qui viennent. Mais à présent, il faut qu’on passe de la négociation à l’action.
Pour en revenir à Donald Trump, son climato-scepticisme ne fait même pas l’unanimité au sein de son propre pays, c’est quand même encourageant, non ?
Oui car il y a dans la société civile américaine une vitalité indéniable. C’est un pays très divers les Etats-Unis. A l’intérieur de cette fédération, les Etats individuellement ont parfois des politiques assez contradictoires En tous cas, ce qui a été exprimé ces jours-ci – de la part des maires, de la part des gouverneurs des Etats et puis aussi et surtout de la part d’énormément d’entreprises – c’est le fait qu’ils ne veulent pas être mis à l’écart des affaires du monde. Les grandes entreprises américaines, leur bac à sable, là où ils font leurs affaires, ce n’est pas uniquement les Etats-Unis. C’est avec l’ensemble des pays du monde ! Il va y avoir, avec ce qui s’est décidé à Marrakech, des marchés qui vont s’ouvrir dans tous les pays, y compris les pays en voie de développement. Et bien évidemment, les entreprises américaines ne veulent pas être mises à l’écart.
Mais j’ajouterais qu’il y a un besoin qui s’est exprimé ici est qui est celui d’une COP supplémentaire. C’est à dire qu’en fait, on a un vrai problème : on a un déficit démocratique dans le processus des COP : on ne sait pas exprimer ça suffisamment pour que cela imprègne vraiment la vie des gens. C’est bien de lister des techniques, de lister des financements, et des règles. Mais comment une personne envisage-t-elle sa vie dans ce siècle ? Et que dit un parent à son enfant qui, s’il a dix ans aujourd’hui, va vivre jusqu’à la fin du siècle ? Ce siècle lui appartient, pourtant.
Il faut donc faire descendre la COP au niveau du citoyen …
Oui il faut l’exprimer dans les termes des citoyens et, je dirais, d’une façon chaleureuse. Et en proposant à chaque personne, à chaque famille, dans chaque pays, y compris des gens qui sont dans les situations les plus difficiles économiquement et socialement, eh bien tout simplement de meilleures perspectives de vie ! On ne peut pas réussir ça sans les gens. Et il faut qu’on réussisse ça avec la totalité de l’humanité, la totalité des pays. Les pays en développement émettent peu aujourd’hui. Mais au fur et à mesure qu’ils vont augmenter en population et qu’ils vont avoir des meilleures conditions de vie, ils vont aussi émettre de plus en plus. Il faut donc avoir tout le monde avec nous.
On a là, aujourd’hui, à construire un discours, des références universelles, dans lesquelles les gens puissent se représenter. Et donc ça, c’est en train d’émerger. Il faudra que dans les COP qui viennent, cette affaire-là soit mature, parce que, encore une fois, il nous faut une COP des Etats, une COP des opérateurs et acteurs économiques, mais aussi une perception au niveau de chaque personne, au niveau de chaque famille.
Et cela passe par de la pédagogie …
Ça passe par de la pédagogie. Ça passe aussi par de la description précise en fonction des marges de manœuvre de chacun, quels bénéfices cela va lui donner et comment il va à la fois améliorer ses conditions de vie et en même temps réduire ses émissions.
Pour en finir complètement avec Donald Trump, vous avez laissé entendre que son élection avait remobilisé les pays en faveur du climat d’une certaine façon …
Oui parce que ce qui s’est exprimé ici à Marrakech de la part de la totalité des pays, c’est que la totalité des pays ont renouvelé leurs engagements de l’année dernière et se sont affirmés dans une volonté de changer de mode de développement. D’aller vers un développement à bas niveau de carbone, de valoriser les énergies renouvelables, de protéger leurs agricultures et puis leurs ressources en eau. On a ce mouvement qui est initié et il n’y a aucun pays sur les 193 qui étaient ici à avoir dit: « si les Etats-Unis se retirent, je me retire aussi ! ». Il y en aucun qui a dit ça ! On a eu plutôt des réflexes de cohésion effectivement.
Qu’est-ce que l’Afrique retire comme bénéfices de cette COP22 ?
C’était une COP africaine et je dirais qu’après les phénomènes de migration que l’on a connus récemment, tout le monde se rend compte que si le continent africain est totalement déstabilisé, c’est l’ensemble des pays autour qui vont l’être, y compris l’Union européenne. On a donc intérêt à ce que l’Afrique réussisse son développement, fixe ses populations, se stabilise et puis utilise les énormes ressources d’énergie renouvelables qu’elle a sur son sol. Ce continent peut être autonome en énergie renouvelable relativement rapidement.
Relativement rapidement, cela veut dire dans combien de temps ?
C’est forcément à échéance de trente ans, Mais encore une fois, il faut commencer tout de suite, il faut avancer. Je crois tout le monde en est convaincu.
Où est en est cette fameuse « muraille verte », cette plantée d’arbres de plusieurs kilomètres de large qui doit traverser l’Afrique d’Ouest en Est pour freiner l’avancée du Sahara ?
Ce n’est pas une idée nouvelle mais c’est vrai que maintenant elle est revitalisée. Le mot « muraille » est peut-être un peu excessif. On ne fait pas une barrière à l’expansion d’un désert, ça ne fonctionne pas comme ça. L’idée, c’est qu’il va falloir fixer les sols de toute la partie aride, que ce soit au nord du Sahara ou au sud du Sahara, sur l’ensemble de sa trajectoire est-ouest et faire en sorte que l’on reboise, qu’on remette de l’agriculture en faisant énormément attention à la régénération des sols. C’est la seule manière de limiter l’extension du désert.
Pour donner un exemple : le Niger est un pays où il y a encore sept enfants par femme. Or, il a perdu 40% de ses ressources en eau, et le Sahara avance de 3 km par an ! On fait comment dans cette situation-là ? Ces pays-là, cela a été le cas du Mali, peuvent complètement basculer dans des situations économiques, sociales, politiques complètement dramatiques. Et donc il faut mener une contre-offensive par rapport à ça : restaurer les sols, remettre de l’agriculture, stabiliser les populations. Et donc aussi reboiser. La question de la déforestation, ce n’est pas une question qui touche uniquement le bassin du Congo. C’est toute la savane, c’est toute la partie soudano-sahélienne.
Y a-t-il des « perdants » et des « gagnants » à l’issue de cette COP, sachant que si ça ne marche pas, on est tous perdants, évidemment ?
Disons-le d’un point de vue économique dans ce cas-là : ce n’est pas parce que l’on a l’Accord de Paris que les forces économiques anciennes, je pense par exemple aux industries fossiles (pétrole, gaz, charbon etc.) vont changer de métier du jour au lendemain. Ça ne se passe pas comme ça. Et d’un autre côté, ce n’est pas parce que l’on a signé l’Accord de Paris que les entreprises, les acteurs qui sont émergents, les acteurs des énergies renouvelables, qui changent de modèle agricole, vont gagner du jour au lendemain. On est, je dirais, dans une espèce de glissement progressif. Ce qui représente le passé doit petit à petit se mettre à se convertir.
Et puis les acteurs nouveaux doivent gagner des marchés. Des entreprises qui sont petites ou moyennes vont probablement devenir, d’ici les trente prochaines années, des entreprises leaders sur le marché mondial. On a ce glissement-là, mais ce glissement, il est forcément progressif. On le retrouve aussi du côté des Etats. Il y a des Etats qui ont beaucoup de ressources en énergies renouvelables et qui sont très engagés là-dedans, notamment le Maroc puisque nous y sommes. Le Maroc a de l’éolien, du solaire, et puis il a aussi des ressources en biomasse parce que c’est aussi un grand pays agricole. Le Maroc avance.
Mais il y a d’autres pays qui sont en situation plus difficile pour faire la transition : c’est le cas de l’Algérie voisine, l’Algérie qui vit encore de son pétrole et de son gaz. Bien évidemment, si on doit avoir un monde qui n’utilise plus de combustibles fossiles à l’horizon 2050, il va leur falloir changer de modèle. Tout cela est quand même un peu compliqué bien sûr.
La prochaine étape, la COP23, c’est en Asie ?
Oui normalement, c’était au tour de l‘Asie, mais il n’y a pas de pays asiatique ayant les infrastructures nécessaires qui se soit porté candidat. Donc, en fait, la COP se fera à Bonn, en Allemagne, là où se trouve le siège des Nations Unies pour le climat. Mais on sera sous présidence Fidji. Donc, ce sera Fidji, au nom de l’Océanie, qui va prendre la présidence car l’Asie et l’Océanie forment un même groupe au sein des Nations Unies. L’Océanie va prendre la présidence avec des pays qui sont très très vulnérables aux changements climatiques, et qui poussent beaucoup au succès de la négociation climat bien sûr. Le sort des petites îles sera l’un des thèmes importants de la COP23 par exemple.
Ban Ki-Moon achève son deuxième et dernier mandat de Sécrétaire général de l’ONU le 31 décembre, quel héritage laisse-t-il ?
Ce qui est clair, c’est que quand il est arrivé, il y avait bien sûr cette équipe des Nations Unies sur le changement climatique mais ça n’irriguait pas la totalité du fonctionnement des Nations Unies. Depuis deux ans, ça a complètement changé de dimension. C’est devenu dans le cadre des Nations Unies une politique majeure qui, d’ailleurs, est connectée avec toute une autre série de politiques comme la question des migrations qui est quand même une question très importante pour les Nations Unies.
Une partie des vagues migratoires que l’on a de la zone qui va de Dakar à Islamabad au Pakistan, ce sont des zones où le monde agricole a été massivement déstabilisé, où plein d’agriculteurs ont abandonné leurs terres, se sont retrouvés dans des bidonvilles, ou à la rue. Et donc bien évidemment cela a créé des déstabilisations politiques comme on peut le voir avec des conflits religieux, des conflits ethniques sur l’ensemble de ces pays-là.
Donc cette affaire-là est très sérieuse. Les flux de population sont trop importants pour que l’on puisse trouver un endroit sur la planète où mettre tous les gens. Donc on a aujourd’hui une énorme souffrance du côté des migrants et une certaine peur de la part des populations qui ont déjà des difficultés avec des taux de chômage assez élevés, et qui voient arriver des populations supplémentaires qu’il va falloir prendre en charge. On a un vrai problème entre le dénuement des uns, et la part l’égoïsme des autres. Ce n’est pas facile. Il faut trouver des solutions à long terme pour que les pays africains réussissent leur développement et que leur population puisse être stabilisée.
Source : RFI