Tout part d’un bon sentiment. En effet, réunir les maliens pour valider « les termes dse référence pour la transition » est la preuve d’une volonté de restituer au peuple son pouvoir souverain. Le CNSP a donc cru bon d’associer le peuple au processus de décision en cette période de crise sociopolitique.
Pourtant, le processus est biaisé car l’offre de changement est inadapté à la demande de changement. D’abord sur la sincérité de l’offre faite, la charte proposée en dit long. En effet, si le président de la transition doit être nommé par une commission mise en place par le CNSP, la concertation n’avait pas sa raison d’être. On peut aisément comprendre que les nouveaux hommes forts, par méfiance à l’égard des politiciens, veuillent diriger la transition en toute indépendance.
Nous en sommes là justement parce que les premiers ont failli et sont demeurés défaillants pendant trente (30) ans. Alors, sont-ils à même de présider une transition qui est le préalable à une quatrième République ? La question demeure posée. Mais quoi qu’il en soit, le CNSP, peut-être sous l’influence de l’ancien régime, reexprime sa méfiance à l’égard de ceux qui réclament le changement sans pour autant être de nouveaux acteurs de cette démocratie agonisante. La charte sur la transition en est la preuve.
Cette méfiance paraît d’autant plus justifiée par l’exigence du M5-RFP d’être reconnu, dans le préambule, comme acteur principal de ce sauvetage. Pourquoi ce mouvement éprouve-t-il le besoin d’être désigné nommément dans une lutte menée au nom du peuple tout entier ? Ce combat, qu’ils disaient mener au nom du peuple, n’était donc pas désintéressé ! L’AEEM a été en première ligne en 1991 mais ce n’est pas pour autant que son nom a été mentionné dans la Constitution de 92. Bien au contraire, c’est la lutte héroïque du peuple malien qui a été révélée au monde dans le préambule de la Constitution.
Le fait que le CNSP n’ait pas choisi le M5-RFP comme partenaire privilégié pour l’organisation de la transition révèle une intention de ne pas se laisser influencer par les partis politiques. Cela dénote, en outre, une intention de jouer un rôle majeur dans la désignation des autorités de transition. Et cela se ressent à travers les vagues de nomination effectuées au sein de l’armée. Donc l’offre de changement du CNSP est affectée par une méfiance à l’égard du pouvoir civil, dont les agissements et les politiques incohérentes ont affligé l’armée et désorganisé la sécurité du pays. Cette méfiance conduit à privilégier le renforcement de la présence des militaires dans les instances de décision. C’est le désir inavoué des nouveaux hommes forts du pays.
Cette offre, d’une gestion militarisée des affaires publiques, contredit la demande d’un changement voulu par les partis politiques. Le M5-RFP, auteur principal du soulèvement ayant abouti à la destitution de l’ancien président, s’offusque et met en garde contre toute dérive autoritaire se traduisant par la confiscation du pouvoir. Il accorde au CNSP, le bénéfice du doute dans sa mission d’organisation du processus de transmission du pouvoir au civil.
Les concertations organisées sont destinées à recueillir les demandes des partis politiques et de la société civile. Mais l’échec était à prévoir en raison de l’existence d’intérêts contradictoires. Et on peut aisément constater qu’une vive tension existe entre les partisans d’un toilettage complet (mise à l’écart des anciens acteurs), les partisans d’une gestion militarisée et ceux qui désirent retourner aux affaires. Parce que les agendas des uns et des autres sont inconciliables, le CNSP va devoir trancher. Et plus vite il décidera mieux ce sera.
On sait, par ailleurs, qu’il ne peut s’écarter prématurément des affaires publiques au risque de décevoir bon nombre de maliens qui misent sur la capacité des militaires à réinstaurer le pouvoir de l’État central et l’ordre. Le CNSP ne peut s’offrir le luxe de mener la politique de l’autruche. Il doit rapidement dévoiler ses intentions et préciser les moyens à sa portée pour mener à bien ses projets. La formation d’un gouvernement de mission, une équipe restreinte de technocrates civils, est l’impératif du moment. Le CNSP ne peut s’y dérober, sous peine d’endosser la responsabilité d’un enlisement qui causera sa perte.
Oui, désormais le CNSP est sur la sellette et cela est d’autant plus vrai que la CEDEAO l’a mis en demeure de transmettre le pouvoir au civil d’ici la mi-septembre.
Dr Moussa Dougouné