Deux journalistes de « La Voix du Nord » sont entrés en contact avec des détenus via Facebook, alors même que les portables ne sont pas autorisés en prison.
Alors même que les téléphones portables sont interdits en prison, de très nombreux détenus en possèdent un ou plusieurs dans leur cellule, et conversent sans aucune gêne sur Facebook. Deux journalistes de La Voix du Nord, Thomas Bourgois et Samuel Cogez, ont décidé d’entrer en contact avec eux, et publient dans le journal le fruit de leur enquête. Édifiant.
En quelques jours seulement, les deux journalistes ont retrouvé sur le réseau social quelques délinquants envoyés derrière les barreaux, et les ont demandé en « ami ». Après plusieurs tentatives, trois ou quatre d’entre eux ont accepté de répondre. Leur photo de profil sont prises devant les barreaux de leur cellule, ou carrément sur la promenade et dans les coursives de la maison d’arrêt où ils sont emprisonnés.
« C’est facile comme tout d’être branché »
Un jour, à 22 heures, une discussion avec un homme condamné pour trafic de stupéfiants s’établit. « C’est ki ? » lance le détenu. Après plusieurs minutes, le temps de mettre le jeune homme en confiance, les journalistes apprennent qu’il est très aisé de se procurer un portable en prison. « C’est facile comme tout d’être branché », leur dit-on. Les smartphones sont expédiés via les « missiles », ces colis jetés par dessus la prison par les proches des détenus.
Thomas Bourgois précise : « L’établissement d’Arras est particulier. Il est situé en plein centre-ville, et les murs sont assez bas. » D’autres éléments pointent les défaillances du système pénitentiaire à Arras. Les caméras de surveillance ne fonctionnent pas ou mal. Et lorsque les surveillants les changent, les détenus se chargent de les mettre hors d’usage. L’un des prisonniers d’Arras indique : « Lorsqu’ils remplacent les caméras, on les casse à nouveau. »
« Le Club Med, les vacances »
Les gardiens sont submergés par le travail et n’ont pas le temps ou les moyens d’accomplir pleinement leur mission de surveillance. Malgré la fouille des cellules, les portables ne sont pas toujours confisqués, et certains détenus n’hésitent pas à mettre en avant les largesses de certains matons : « C’est rare qu’ils prennent ton téléphone, après il y en a des plus cool que d’autres », explique ainsi un prisonnier.
Interrogé par La Voix du Nord, Jacques Flahaut, responsable syndical du premier syndicat de l’administration pénitentiaire (UFAP-UNSa), affirme : « Dès qu’on fouille une cellule, on trouve au moins un téléphone. Les surveillants parviennent parfois à en récupérer 6 ou 7 et même à surprendre les détenus au téléphone. » Au courant de ces pratiques, l’administration pénitentiaire semble parfois laisser pourrir la situation. Un détenu ironise, affirmant que la prison d’Arras est une des « meilleures » : « C’est le Club Med, les vacances. »
En juillet 2014, la contrôleur générale des lieux de privations de liberté, Adeline Hazan, s’était prononcée en faveur de l’utilisation des téléphones portables en prison, uniquement pour maintenir les liens familiaux. Dans un contexte sécuritaire tendu en France, la proposition avait déclenché un tollé dans une partie de l’opposition et avait été écartée par la majorité présidentielle. Adeline Hazan avait toutefois eu le mérite de lancer le débat. Puisque les saisies de téléphones portables ne servent à rien, car les smartphones sont aussitôt renouvelés, que peut-on faire sans accorder davantage de moyens à l’administration pénitentiaire ?
Source: lepoint.fr