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Circulation routière à Bamako : Le far west

Incivilités, impatience, disputes, accrochages, les routes de la capitale sont devenues une jungle dans laquelle tous les coups sont permis ou presque.

Sur une route de Magnambougou, un quartier de la Commune VI du District de Bamako, deux jeunes hommes sur une moto, portent un matelas trois places. Subitement, leur charge se retrouve sur la voie, en pleine circulation, à cause d’un coup de vent. Le fait n’a pas échappé à Ismaël Sangaré, vendeur d’accessoires d’électronique. «C’est vraiment insensé et imprudent de porter un matelas d’une telle largeur sur un engin à deux roues», s’emporte-t-il, avant de s’interroger sur ce qui pousse les motocyclistes à porter des objets dont le transport peut mettre en danger, leur vie et celle des autres usagers.

Parmi les mauvais comportements sur nos routes, on peut citer l’indiscipline, le stationnement abusif, l’intolérance, l’impatience, l’excès de vitesse, les dépassements dangereux… Les motocyclistes affectionnent la conduite entre les deux files de véhicules, au risque de «tracer» la carrosserie des voitures ou de casser les rétroviseurs. Pour ensuite se confondre en excuses. Que dire de leur propension à rouler au beau milieu de la chaussée alors que la piste cyclable leur est réservée ?

Certains usagers sont prêts à toutes les acrobaties et à prendre tous les risques pour ne pas marquer un petit temps d’arrêt afin de céder le passage à d’autres usagers. On voit des usagers s’engager derrière des ambulances transportant des blessés ou des véhicules des sapeurs-pompiers. Il y en a qui n’hésitent pas à s’introduire dans les cortèges funèbres.

L’apparition des tricycles dans la circulation n’a fait que compliquer davantage une situation déjà pas très simple. Ces engins ne sont pas prévus dans la confection de nos voies. Ce sont des hybrides qui empruntent la chaussée ou la piste cyclable selon les circonstances. Et les conducteurs sont des modèles dans l’indiscipline et le non-respect du Code de la route.
Du coup, le risque est très élevé de se retrouver impliqué dans un accident. Aller au travail ou faire ses courses et retourner à la maison sain et sauf est une bénédiction.

INCIVISME- Au milieu du danger qui guette tout le monde, les usagers ne se privent pas de disputes. Injures, invectives et même bagarres… sont monnaie courant sur nos routes. Bref, la circulation routière à Bamako est le lieu d’expression des comportements irresponsables et anarchiques. Ces agissements ne traduisent-ils pas un manque de civisme voire d’éducation des usagers ?

Illustration parfaite de cet incivisme : il n’est pas rare de voir une Sotrama débarquer des clients au beau milieu de la voie. Les autres véhicules qui le suivent sont contraints de s’arrêter le temps que les passagers débarquent tranquillement. Gare à celui qui fait des remarques au chauffeur du Sotrama ! Il se fera couvrir d’injures. Cette scène aussi est saisissante. À Torokorobougou, un policier dirige la circulation. Des motocyclistes, impatients, n’attendent pas que l’agent de police les autorise à partir. Ils forcent, progressivement, le passage, obligeant souvent l’agent à leur céder la priorité.

Au niveau de Baco-Djicoroni ACI, nous avons assisté à une scène devenue habituelle dans les carrefours. Aucun usager ne consent à céder le passage. Chacun veut passer le premier. Voitures et motos viennent s’empêtrer au milieu du rond-point. C’est le blocage. Personne n’arrive à bouger. Si vous êtes pressés, bonjour le retard. C’est là que l’on songe au rôle des policiers. Alors que l’on refuse souvent d’obtempérer à leurs consignes lorsqu’ils sont occupés à réguler la circulation. Un homme, qui n’arrive pas à se frayer un chemin, s’en prend aux policiers chargés de la fluidité de la circulation. «Ils (les policiers) voient très bien les chauffeurs de Sotrama perturber leur travail mais ils ne sévissent pas», accuse-t-il.

Souvent, les jeunes motocyclistes, par goût du risque, ne respectent pas les feux de signalisation. Ils s’avisent à brûler le feu rouge. Il y a quelque mois, l’un de ces jeunes casse-cous est allé percuter un véhicule 4×4 après avoir brûlé le feu rouge. Il a été grièvement blessé. Sa moto a été endommagée, ainsi que la voiture qu’il a percutée. Sentiments ambivalents des témoins de l’accident. D’un côté, ceux qui sont très sensibles se sont inquiétés de l’état du blessé. De l’autre, ceux qui étaient outrés par son comportement suicidaire, jugeaient qu’il était responsable de ce qui lui était arrivé.

Les jeunes motocyclistes ne sont pas les seuls à ignorer les feux de signalisation. Les taximen aussi se recrutent parmi les adeptes du forcing dans la circulation. À côté d’une station-service, au Quartier du Fleuve, un taximan ignorant le feu rouge a percuté une jeune dame sur sa moto. Des policiers venus sur les lieux pour constater les faits, note que la bonne dame ne peut plus se tenir sur ses jambes. Elle a une fracture à la cuisse. Les témoins de l’accident voulaient en découdre avec le chauffeur du taxi. N’eut été la présence des policiers.

Quid des causes des mauvais comportements des usagers de la route ? Assis devant un atelier de vulcanisateur, Drissa Coulibaly, chauffeur de taxi depuis 2016, pense que les routes de la capitale sont trop étroites et de mauvaise qualité. «Cela encourage, soutient-il, l’indiscipline dans la circulation. Il y a trois bonnes routes à Bamako, celle qui relie Koulouba à Sébénikoro, l’axe Hôpital Gabriel Touré-Moribabougou et la voie qui va de Koulouba à l’aéroport international Modibo Keita-Sénou», souligne le taximan.

Parlant des doubles files et des triples files que les chauffeurs de taxi et de Sotrama créent lorsqu’il y a des bouchons, Drissa Coulibaly justifie que c’est pour éviter de gaspiller inutilement le gasoil. «On ne peut pas se permettre de perdre, inutilement, 20 litres de gasoil soit un montant de 10.000 Fcfa, par jour, dans la circulation», argumente-t-il, avant d’ajouter que la quête de la recette journalière et de la dépense quotidienne de la famille sont, aussi, des impératifs qui les contraignent à cette course de vitesse. «Personne ne peut faire preuve de patience dans notre métier», affirme notre chauffeur qui dit que l’arrivée des moto-taxis rend la concurrence encore plus rude.

TOUS COUPABLES– Notre interlocuteur avoue que les taximen sont conscients des risques liés à cette impatience. «Parfois, on provoque des accidents. Malgré tous ces dangers, nous ne pouvons pas abandonner nos pratiques d’indiscipline dans la circulation», dit-il, sans détour.

Quant aux arrêts soudains dont sont coutumiers les conducteurs de taxis, Oumar Traoré, un autre taximan, estime que le taxi, en quête de client, peut s’arrêter à tout moment. Selon lui, il appartient aux autres usagers de garder leur distance, chaque fois qu’ils suivent un taxi. «Le conducteur de derrière doit avoir l’œil sur le clignotant du taxi», conseille-t-il, ajoutant qu’il n’y a pas de loi interdisant l’arrêt des taxis ou des Sotrama pour prendre des clients.

«Quand j’ai une urgence, je regarde l’autre sens de la circulation s’il n’y a pas un véhicule ou un motocycliste qui arrive, je grille le feu rouge. Même si je sais que c’est très dangereux pour moi et pour d’autres personnes», reconnaît Boubacar Kanté.
Si ce dernier est honnête et avoue sa faute, tel n’est pas le cas de bon nombre d’usagers de la circulation routière. «Je peux dire que tout le monde brûle le feu rouge à Bamako», affirme Aicha Traoré. «Même vous ?». Après une minute de silence, elle répond ne pas en avoir souvenance.

En face du Centre Djoliba, de nombreuses Sotrama attendent les clients pour diverses destinations. Seydou Keita, un sexagénaire, membre du syndicat des Sotrama, ne comprend pas pourquoi la plupart des usagers chargent les chauffeurs de Sotrama pour le désordre dans la circulation. «Les routes sont étroites tout comme les espaces réservés aux arrêts des véhicules de transport en commun. Quand un client fait signe au chauffeur, il est obligé de s’arrêter sur un pan de la route, dérangeant, ainsi, le passage normal des autres usagers», explique le syndicaliste qui accuse les autres automobilistes d’être autant coupables qu’eux du désordre dans la circulation.

MONTANT INSIGNIFIANT- Ne pas respecter le feu tricolore est une infraction, une violation du Code de la route en vigueur au Mali. Tout comme le non-respect des panneaux de signalisation. De l’avis du commandant-major de police, Adama Coulibaly, chef de la section voies publiques du Groupement mobile de sécurité (GMS), le non-respect du feu tricolore n’en demeure pas moins très fréquent dans la circulation à Bamako.

La contravention est fixée à 2.000 Fcfa. Au regard des dangers du non-respect du feu de circulation, plus d’un estime que ce montant forfaitaire est insignifiant. Sur ce sujet, le commandant-major Adama Coulibaly signale que des autorités compétentes ont été saisies de la question, plusieurs fois. «Malheureusement, ce n’est pas nous qui fixons les montants. C’est un arrêté interministériel qui fixe les barèmes. Nous avons écrit, à maintes reprises, aux autorités pour qu’elles revoient à la hausse le montant de la contravention du non-respect du feu tricolore, au vu des dangers qui en découlent», confie-t-il.

Selon le responsable des voies publiques de Bamako, le respect du feu tricolore est, d’abord, pour la propre sécurité de l’usager. «S’il y a un message aux usagers, c’est de leur dire de respecter scrupuleusement les feux. Il en va, au premier chef, de leur propre vie. Le non-respect de cette règle de la circulation routière peut avoir des conséquences irréversibles sur l’usager et les autres également», dit-il.

Le commandant de la Compagnie de la circulation routière (CCR), le commissaire divisionnaire, Abdoulaye Coulibaly, estime que l’incivisme dans la circulation est en grande partie due à la dégradation de l’éducation dans nos familles. Le patron du CCR pointe aussi l’effritement de l’autorité comme un autre facteur qui encourage l’incivisme dans la circulation.
Le commissaire divisionnaire Coulibaly recommande de renforcer l’enseignement du Code de la circulation dans nos écoles. Il suggère aussi davantage de rigueur dans la délivrance du permis de conduire.

La Semaine nationale de la sécurité routière est une occasion de mettre l’accent sur la sensibilisation pour attirer l’attention des usagers sur leurs responsabilités. La coercition aussi est une méthode pour ramener l’ordre.

Mohamed D. DIAWARA
Oumar DIAKITÉ

Source: L’Essor- Mali

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