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Chronique d’Adam Thiam : la crise du Centre expliquée… aux nuls

Samedi : enlèvement de plusieurs centaines de vaches. Dimanche : terreur au marché de Douentza. Lundi soir : saccage des symboles de l’État à Niamina. Tout cela sur fond de fortes tensions ethniques, de menaces plus prononcées sur le Sud et de rebuffades de la principale milice locale. Le Centre se noie et cherche à entraîner le pays dans son sillage. Adam Thiam constate et explique.

Le 9 janvier 2013, c’est un Hamadoun Koufa triomphal qui dirige la prière de 16h à la mosquée de Konna, ville fraîchement tombée aux mains des salafistes, pour l’imamat le plus court de l’Histoire car l’offensive Serval est presqu’immédiatement déclenchée qui, le surlendemain, met en déroute les envahisseurs. Koufa, donné pour mort par plusieurs sources, se fait oublier. Il  réapparaîtra au grand jour et dans le discours officiel en janvier 2015, avec les attaques des positions des forces armées maliennes à Nampala puis à Tenenkou. Les mois avant, lui et ses hommes sèment la terreur dans le Nampalaari.

Comme un chancre

Dans ce terroir, des chefs de villages ou imams hostiles à la doctrine rigoriste de la Katiba Macina sont combattus farouchement.  L’hydre s’incruste dans l’Inter-fleuve, un pied dans la région de Ségou  et l’autre dans le delta central, sa profondeur stratégique enclavée durant la majeure partie de l’année. Sous-préfets, préfets et maires chassés, juges  déclarés indésirables, soldats, gendarmes agents des eaux et forêts, douaniers ou policiers particulièrement ciblés, écoles fermées à tour de bras.

Les djihadistes comblent la retraite de l’État et se meuvent avec aisance dans leur nouveau califat, réduisant ou séduisant les populations,  déroulant leur administration à eux et installant des tribunaux islamiques. Bref, ils sont  aux commandes. Ce n’est pas rien dans cette zone d’élevage par excellence, où ils arrivent à diriger les transhumances avec, semble-t-il, plus de transparence et à la satisfaction générale des éleveurs.

Pour ce qui est du Seeno et du Gourma, partie non inondée de la région, la sécurité n’était pas réellement revenue avec  l’offensive de Serval.

L’État dans les villes, la brousse pour Koufa et Toloba

Sur les lignes de fracture ethniques ou claniques qui les avaient distribuées entre le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), en particulier dans le cercle Douentza, des familles versent dans des règlements de compte parfois sanglants. Une aubaine pour les nébuleuses djihadistes, qui cherchent à reprendre du poil de la bête. Les cercles de Bandiagara, Bankass et Koro leur sont stratégiques : ils jouxtent le Burkina Faso et constituent une voie de dégagement.  A défaut de pouvoir les annexer, il faut être  maître de la brousse.  Les éléments djihadistes s’installent dans les contreforts de Segué et la forêt de Sourou, tous deux situés dans le plateau dogon.

Dans la zone inondée, le cœur de réacteur, si l’on peut dire, c’est-à-dire Tenenkou et Youwarou,  le califat est presque constitué.  Koufa contrôle une partie du cercle de Djenné, gardant ainsi par le Fakala,  un œil sur les routes du sud (Tominian, San, Bla, Koutiala, Ségou, etc). Pied de nez inacceptable à la dignité de l’État, Nantaka sur la rive opposée mais en face du gouvernorat de Mopti sert, pendant deux ans, de check-point aux envahisseurs.

Le quadrillage de la Région entamé en 2014 connaît son apogée en 2017 où, pour prendre le seul cas exemple de Tenenkou, les forces de défense ou de sécurité ne sont visibles que dans le chef-lieu de cercle qui compte 218 villages ! Aucun des huit cercles de la région de Mopti n’est épargné. La majorité de ses 108 communes  ont la peur au ventre.  L’État tente de réagir avec  le PSIRC (Plan de sécurisation intégré des régions du Centre). Trop peu ou trop tard ?

Trop tard : pas sûr car cette guerre, on la sait de longue haleine. Trop peu : sans aucun doute vu que la tumeur a métastasé pendant un long temps de déni et de tâtonnement. Les djihadistes ont même eu le temps de procéder à leur Conférence de Berlin :  Delta vif, Delta mort et Seeno pour Hamadoun Kouffa (Katiba Macina) ; Gourma pour Abdoul Hakim (État islamique) et la katibat de feu Almansour, (Ansardine) ; Jelgooji et  lisière malienne de l’Agacher pour Malam puis Jafar Dicko (Ansaroul Islam) ; Vallée du Serpent pour Bamoussa et Kouffa (Ansardine et Katiba Massina).

Guerre par procuration ?

Aux groupes djihadistes qui s’implantent, plantent des mines anti-personnel, régentent la société selon leur compréhension de la charia, il faut ajouter les milices d’auto-défense.  La plus connue est Dan Na Ambassagou. Elle rassemble de larges couches de la jeunesse des cercles de Bandiagara, Koro, Bankass, Douentza. Plus que l’armée, elle est la référence et l’espoir des communautés dogon. Elle résume, à elle seule, la détresse du plateau dogon privé des mannes annuelles du tourisme pendant plus d’une décennie,—plusieurs millions d’euros-  et confronté à une sévère érosion de ses sols arables. Sans compter les nouvelles menaces liées à la présence des djihadistes.

L’initiative  devient vite une sorte de  faîtière de l’exaspération et peut-être hélas du raccourci. Au fil des mois, cette milice s’est convaincu que les « familles peulh » et les éléments djihadistes sont blanc bonnet et bonnet blanc. Face à la milice dogon, la  milice peulh dite de Sékou Bolly vient tout compliquer.  Le palmarès de ses initiateurs prête à rire. On y voit la main de tel et l’esprit machiavélique de tel autre.  Le faire-valoir, pour  bien des observateurs, indique que l’État ne peut plus face à une armée cantonnée et prompte aux exactions.

Ogossagou, où le 23 mars dernier autant de civils désarmés ont été massacrés que le 10 juin 1942 dans le village de Lidice par les SS, constitue dans le récit des survivants, un sommet dans l’horreur mais pas forcément le dernier. Et c’est avec un sanglot retenu que, sur les réseaux sociaux, un rescapé—fils d’un grand érudit massacré avec un peu moins de deux cent personnes à Ogossagou-— pointe l’incapacité de l’État et la complicité de l’armée. Nous sommes au cœur de théories conspirationnistes qui se neutralisent : les Peulhs passent pour recruter les djihadistes comme boucliers et les Famas sont accusés d’être les employeurs des Dozo.

Fausses prémisses et vrai engrenage

Le bilan humain de l’insécurité au centre du Mali est difficile à établir. Les statistiques existent pour les forces de défense et de sécurité, maliennes ou étrangères. Mais pour les civils, il est malaisé de faire le décompte. Au nord du Mali, les statistiques sont tenues par les ailes politiques. Au Centre, on a à faire à un ovni, de surcroît enturbanné. C’est tous les jours, en tout cas, que des villages sont brûlés, Peulh ou Dogon, que des gens sont tués, Peulh ou Dogon et pas que ! C’est tous les jours que des supposés informateurs  de l’armée ou des djihadistes sont exécutés dans le silence des prairies. Nul doute que le bilan se monte à plusieurs centaines de morts par an depuis 2017.  Nul doute également que le Centre est devenu bien plus létal que le Nord et que dans ce contexte, face aux hécatombes du Delta et du Seeno, il est sidérant de voir l’énergie et la passion investies dans la question de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger.

Pour les prémisses, il importe d’être objectif, juste et prudent. La thèse de la poudrière ethnique réveillée par les djihadistes ne suffit pas à expliquer l’emballement du Centre. Les heurts entre communautés remontent, il est crucial de dater les enchaînements, au démarrage des opérations de ratissage de l’armée dans le Seeno  en 2015-2016 (Koro et plus tard Bankass) et dans la bouche du delta (Dioura, Kemacina).  Interpellé sur leur impact négatif sur le vivre-ensemble, un chef djihadiste, dans un sermon partagé depuis sur les réseaux sociaux, ne se défend-il pas d’être derrière le problème Peulh-Dogon, au nom du même islam?

Autre prémisse que plusieurs milieux peulh considèrent comme un subtil appel au meurtre : la thèse du blanchiment du djihadisme par des communautés peulh. Or, celles-ci se sont retrouvées seules face aux hommes de Koufa. Les premières hécatombes sont celles des autochtones du Seeno et du Delta, essentiellement des Peulh. Les populations étaient  contraintes, en l’absence de l’État, de trouver des compromis avec les nouveaux occupants. La loi des vainqueurs prévaut dans toutes les guerres et dans tous les pays, surtout si en plus, par le raccourci tragique, « un djihadiste est un peulh armé », pour paraphraser le chercheur Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré.

Une troisième prémisse à vérifier : la thèse du conflit communautaire. Les groupes qui se partagent l’espace au Centre ont vécu ensemble pendant des siècles, ils se sont brassés, ils se sont mariés, leurs économies sont complémentaires et pas concurrentielles. Dès lors, difficile à croire, à moins d’une instrumentalisation criminelle, que les voisins et parents d’hier s’invitent en duel du jour au lendemain. Pour ses ressortissants, le mortel venin du Centre a pour nom : impunité. Dernière prémisse enfin : la solution du Centre ne passe pas par la seule AK47 et cela l’État l’a compris. Le Plateau dogon, plus que les autres zones agro-écologiques du pays, connaît une précarité sans précédent : sols improductifs, recettes touristiques nulles, jeunesse désœuvrée. Or, son peuple est habitué à vivre à la sueur de son front. Relancer la production, la consommation, donc l’économie du Centre, en mettant l’accent sur le plateau dogon est une urgence pressante, une guerre en soi, la guerre utile d’une région dont dépendent désormais la trame et le dénouement du roman national.

Par Adam Thiam
benbere
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