À Pékin, défilé militaire et cérémonies fastueuses commémorent le 70e anniversaire de la proclamation de la République populaire de Chine. Mais c’est un anniversaire qui tombe au plus mauvais moment, entre la guerre commerciale, le ralentissement économique et les manifestations de Hong Kong. Reportage.
Fouilles renforcées dans les transports, caméras à reconnaissance faciale à tous coins de rue, routes bloquées, Pékin s’est barricadée pour ce 70e anniversaire. Les vélos partagés sont à l’arrêt. Interdiction de promener son pigeon, son cerf-volant ou même de cuisiner dans le centre-ville. Le chef de ce restaurant de spécialités pékinoises a laissé tomber le canard laqué pour les jeux électroniques.
« Je travaille ici, mais le restaurant est déjà fermé, explique-t-il. Je suis en vacances, on n’a pas le droit d’utiliser le gaz en cuisine. Il y a des gens qui contrôlent. Ce n’est pas bon pour les affaires, mais c’est comme ça, tous les restaurants du quartier sont fermés jusqu’au 2 octobre. Et je ne parle pas du manque à gagner pendant les jours des répétitions. »
« J’habite le quartier, j’ai 84 ans et le feu pour la cuisson est interdit, mais c’est pas grave, raconte Jiang Shufen. J’ai stocké des plats cuisinés. Je mangerai du pain et des nouilles instantanées. »
« Les Chinois sont silencieux en façade »
Comme à chaque rassemblement politique le pouvoir se recroqueville. Et cette année, le contexte est loin d’être à la fête explique le politologue Wu Qiang, ex-professeur de l’université de Tsinghua joint au téléphone.
« Nous avons aujourd’hui 1,4 milliard de Chinois qui sont silencieux en façade. Mais les problèmes internes sont là : le ralentissement de l’économie, l’écart qui s’accroît entre les riches et les pauvres… Sans parler des défis sur la scène internationale. Les doutes sur l’initiative des Nouvelles routes de la soie, la guerre commerciale, les manifestations à Hong Kong. Le pouvoir est confronté à de grandes difficultés. Et les manœuvres navales à Qingdao en avril, ou la parade ce mardi sur la place Tiananmen donne l’impression d’un retour à l’époque de l’ex-Union soviétique, ce qui inquiète à l’étranger. »
Cette démonstration de force militaire est accompagnée de parterres de fleurs, des feux d’artifice et, partout, du rouge vermillon des slogans. Le 70e anniversaire étant aussi l’occasion pour le Parti communiste chinois (PCC) d’autocélébrer son règne en grande pompe en mettant en avant les grandes réalisations de ses dirigeants. Lundi pour sa sortie, le film de propagande Moi et la mère patriea fait salle comble. Mêmes files d’attente aux guichets du centre des expositions de Pékin transformé en musée des 100 premiers succès de la Chine populaires dans les domaines industriels, scientifiques, sportifs et militaires. « Nous sommes venus de province pour visiter ce musée, car je veux donner à mes enfants une éducation rouge », explique cette maman venue de province avec son fils de 8 ans, et qui affirme « rêver » de voir ce dernier devenir membre du plus grand parti du monde.
Avec la transition au capitalisme rouge, la Chine s’est considérablement modernisée. Elle compte désormais le plus grand réseau de trains à grande vitesse au monde, et multiplie les avancées en matières technologiques. En même temps, l’économie ralentit et la reprise timide des négociations commerciales avec les États-Unis est loin d’avoir effacé la défiance entre Pékin et Washington. Sans compter la colère qui gronde aux frontières de l’empire. La région administrative spéciale repassée sous souveraineté chinoise en 1997, s’emploie depuis trois mois à créer un contre récit au 70e anniversaire. Le 1er octobre aurait même été rebaptisé « jour de la tragédie nationale » par une partie des manifestants hongkongais.
« Un jour de confrontation »
Elthon Chan, professeur de sciences politiques aux Yale-NUS College de Singapour analyse : « Ce jour national est devenu une sorte de monnaie d’échange quand on a négocié avec la Chine continentale. Et après 1997, cette date n’a pas été quelque chose de politique pour une majorité de Hongkongais. Bien sûr l’exécutif a voulu politiser l’événement, en faire quelque chose de glorieux. Mais jusqu’en 2014 je dirai, pour les Hongkongais, la fête nationale c’était d’abord une histoire d’argent. Parce qu’elle amenait plein de touristes continentaux à Hong Kong, on appelait ça la semaine en or. Mais les choses ont changé avec le temps. Avec le mouvement des parapluies il y a 5 ans, Hong Kong a retrouvé sa voix. Et aujourd’hui la fête nationale n’est plus comme une opportunité commerciale, mais aux contraires comme un jour de confrontation, de conflit identitaire. »
À Hongkong, les protestataires ont promis de tout faire pour gâcher la fête.