Le gouvernement de transition a décidé de ré-ouvrir le dossier dit de cessions de bâtiments administratifs afin d’engager des poursuites contre des personnes impliquées.
Le Conseil des ministres du 8 avril a pris acte, le communiqué officiel, des conclusions de la vérification de la procédure de cession des bâtiments administratifs sur présentation d’un rapport du ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Domaines, de l’Aménagement du Territoire et de la Population. « L’Etat du Mali a mandaté en 2013, l’Agence de Cessions Immobilières-SA a cédé certains bâtiments administratifs afin de réaliser avec le produit de la vente de nouveaux immeubles pour reloger des services. Ledit mandat a porté sur 22 bâtiments administratifs, sur lesquels 17 ont fait l’objet de cession. A la suite de la cession des 17 bâtiments, il a été relevé une série de violation des clauses du Mandat conféré à l’Agence de Cessions Immobilières », précisé le communiqué du Conseil des ministres régulièrement mis en ligne par le Secrétariat général du gouvernement.
Non reversement à l’Etat d’importantes sommes
Le document poursuit : « Afin de faire la lumière sur ces violations, le Gouvernement a commis l’Inspection des Domaines et des Affaires foncières à entreprendre des investigations qui ont abouti à des constatations, notamment le non reversement à l’Etat d’importantes sommes issues de la vente desdits bâtiments ». «Au regard des éléments nouveaux qui ressortent du rapport d’Inspection, le Conseil des Ministres a instruit le ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Domaines, de l’Aménagement du Territoire et de la Population d’engager des poursuites à l’encontre des personnes impliquées », conclut le communiqué du Conseil des ministres.
En 2018, L’Investigateur a été l’un des premiers organes à évoquer ce dossier dit de Cessions de bâtiments administratifs. De quoi s’agit-il ? Par mandat N°2013/0001/MLAFU-SG du 25 juillet 2013, le ministre du logement et des affaires foncières d’alors, David Sagara, donnait mandat à l’ACI de procéder à la cession des immeubles concernés par la procédure de bail avec promesse de vente ou de vente aux enchères. Il s’agissait dans le cadre de la modernisation de la capitale, de reconstruire des immeubles de haut standing en lieu et place des anciens bâtis, avec les commodités d’urbanisme permettant le désengorgement et la fluidité de la circulation routière et l’augmentation des capacités de stationnement des engins tout autour du centre-ville.
Violations des termes du mandat
Les termes du mandat ont été outrepassés sans l’accord du mandant délivré par le Ministre du logement, des Affaires Foncières et de l’Urbanisme pour vendre l’ensemble des immeubles concernés. L’article 4 du mandat prévoyait l’élaboration d’un avant-projet sommaire et détaillé par l’ACI et un cahier de charge dont le respect scrupuleux s’imposait aux éventuels acquéreurs. Le mode opératoire choisi : contourner les critères d’acquisition des immeubles définis par l’article 6 aliénas 1 et 4 du mandat pour les vendre des à personnes choisies par leur bon vouloir en violation du mandat qui stipule : « Le mandataire mettra en bail avec promesse de vente ou vendre aux enchères publiques au plus offrant et dernier enchérisseur, les immeubles mis en valeur faisant l’objet du présent mandat ». « L’enchère minimum sera fixé en fonction des valeurs d’expertise des immeubles », ajoute ledit mandat.
Conséquence, il n’ya pas eu vente aux enchères. L’Etat y sort perdant. A quelle fin ? Tous les immeubles ont été cédés au prix de l’expertise. Tous les autres frais connexes (Commission, frais d’expertise…) se sont vu déduits de ce montant brut. Le préjudice a conduit l’Etat à supporter le coût de mise en valeur des immeubles en lieu et place du prix de revient devant être payé par les acquéreurs. Cela a occasionné une perte d’environ 6 Milliards F CFA sur le prix de vente. Les droits et taxes estimés à 3 086 512 965 F CFA, les frais de notaire évalués à 2 687 704 000 et les frais d’expertise facturés à 136 940 223 F CFA ont été supportés sur le prix de vente.
A l’époque, le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako en charge du Pôle économique et financier, Mamadou Bandiougou Diawara, actuellement substitut du Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, avait engagé des poursuites judiciaires contre Cheick Sidya dit Kalifa Sissoko et Kalilou Sissoko respectivement Président directeur général et directeur commercial de l’ACI pour crime d’atteinte aux biens publics par abus de confiance, malversations, à la corruption.
Non-lieu accordés à certains responsables dans la même affaire
Sur la base du Procès-verbal d’Enquête Préliminaire N°001/PEF-BEF en date du 06 Janvier 2017 de la Brigade Economique et Financière de Bamako relatif aux investigations sur la procédure de cession des immeubles de l’Etat situés dans le centre-ville de Bamako à des particuliers, de nombreux manquements ont été constatés en cours d’exécution du mandat notamment des transactions frauduleuses liées à la violation des dispositions de l’article 6 du Mandat N°2013/0001/MLAFU – SG du 25 Juillet 2013
L’affaire a été confiée à un juge d’instruction du Pôle économique et financier. Les responsables de l’ACI inculpés ont bénéficié d’ordonnance de non lieu. L’actuel ministre de la justice et des droits de l’homme, garde des sceaux était encore Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la commune III, en charge du Pôle économique et financier de Bamako.
La décision du gouvernement de transition d’engager des poursuites contre les personnes impliquées est donc un nouveau rebondissement dans cette affaire qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Le communiqué du Conseil des ministres est muet sur l’identité desdites personnes mais motive la réouverture de ce dossier par des éléments nouveaux qui ressortent du rapport d’Inspection des Domaines et des Affaires foncières.
Encadré : quelques cas d’immeubles vendus
Les immeubles de la DNGR/DNP et la Direction de la Protection de la Nature (TF N° 277) ont été vendus sans mise aux enchères à SOMAYAF-Sarl au prix minimum de 2 970 022 509 FCFA correspondant au montant de l’expertise.
L’immeuble de l’ex-Direction Régionale du Génie Rural (TF N°267) a été vendu sans mise aux enchères à Bréhima BATHILY au prix minimum de 492 584 829 FCFA correspondant au montant de l’expertise.
Les immeubles de l’ex-Direction Régionale des Douanes du District et Koulikoro et Direction des Douanes ont été vendus sans mise aux enchères au sieur Aboubacar SACKO au prix minimum de 2 705 609 968 FCFA correspondant au montant de l’expertise.
L’immeuble de l’ex-Direction Régionale du Commerce et de la Concurrence (TF N°24) a été vendu sans mise aux enchères à Oumar DJIGUIBA au prix minimum de 708 025 186 FCFA correspondant au montant de l’expertise.
L’immeuble de l’ex-Direction Nationale des Impôts (TF N°226) a été vendu sans mise aux enchères au sieur Mandiou SIMPARA au prix minimum de 1 074 167 564 FCFA correspondant au montant de l’expertise .
S. Alamamoko Coulibaly
Source: L’Investigateur