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Cérémonies des djinns : Dans l’univers du surnaturel et du burlesque

Le rituel d’invocation des êtres invisibles est une pratique ancienne qui a pris aujourd’hui le virage du dévoiement. Ses adeptes cherchent à se faire prédire l’avenir. Mais les comportements inavouables ne sont jamais loin,

La scène ne relève pas d’une anecdote mais plutôt d’un phénomène, «le spectacle des djinns», qui a su franchir les âges et prendre aujourd’hui des proportions burlesques dans notre pays. Il est environ 13h20 ce week-end à Dialakorodji où se tient, au pied d’une colline, un spectacle ahurissant. Une cohorte de femmes chante en chœur et esquisse des pas de danse pour invoquer les djinns, ces êtres surnaturels qui auraient le pouvoir de régler d’un coup de baguette magique les problèmes des humains. En tout cas, c’est ce qu’on fait croire aux inconditionnels de la pratique.

Quelques minutes plus tard, deux femmes, drapées dans des ensembles en bogolan avec des gris-gris sur tout le corps, entrent brusquement en transe avant de se laisser tomber par terre. L’une d’entre elles se prénomme Yaye et serait hantée par le «djinn Bamanankè». Son acolyte Maïmouna, elle aussi serait possédée par le «djinn massasolomana».
De temps en temps, les deux femmes possédées se relèvent et font le tour du cercle de femmes, la démarche altière et la bouche remplie de salive, marmonnant des formules incantatoires. Parfois, elles se jettent dans la foule avec une certaine agressivité. La scène dure des heures. L’assistance scotchée sur place semble s’en délecter.

Tout au long du rituel, les adeptes de la pratique (hommes et femmes) affluent. Certains débarquent de luxueuses voitures. Ceux qui ont des scrupules à être reconnus se couvrent le visage. Au fur et à mesure qu’on s’achemine vers le crépuscule, les deux femmes trouvent étonnamment un semblant de sérénité. Et les choristes du jour arrêtent d’entonner la chanson.

On installe les deux dames habitées par des djinns dans une chambre. Le grand silence qui règne traduirait l’apparition des djinns invoqués par elles. Place maintenant aux consultations. Par petits groupes, quelques fois individuellement, mais par ordre d’arrivée, les adeptes cherchent à se faire prédire l’avenir. Tous déposent auprès d’un assistant, posté à la porte de la chambre, un billet de 500 Fcfa comme frais de consultation. Ils sont aussi contraints de payer un lot de trois médicaments traditionnels à 150 Fcfa à offrir aux djinns afin qu’ils soient plus loquaces.

Selon Yaye, affectueusement appelée par ses adeptes «Bamanankè ka Yaye», initiatrice du spectacle qui se passe tous les mercredis et les samedis, l’objectif est de porter assistance aux personnes qui en font la demande. «à travers ce rituel, je soigne les personnes qui me sollicitent. Je leur donne des solutions aux multiples préoccupations qui les assaillent. Parce que ces personnes, de différentes couches sociales, nous soumettent leurs problèmes à régler. à vrai dire, j’en résous énormément. Ceux qui sont satisfaits nous apportent des enveloppes et des présents», explique la «djinètigui» ou celle qui possède des djinns.

HANTÉE PAR LE DÉMON- Fanta Touré et Rokia Traoré assistent depuis des lustres à ce spectacle. La première assure qu’elle a toujours trouvé les solutions à ses difficultés auprès de ces femmes possédées par le djinn. Elle pense devoir la satisfaction de son aspiration à la maternité (elle a maintenant un garçon), après 15 ans de vie en couple, aux djinns. Difficile de la convaincre du contraire. Elle était encore venue consulter, cette fois-ci, pour mettre fin à des petits désaccords avec son époux et être en harmonie avec lui.

Quant à Rokia, elle explique être hantée par le démon qui l’empêcherait de suivre des cours en classe et de s’épanouir. La jeune scolaire reconnaît avoir vécu un enfer parce qu’elle pouvait s’évanouir à tout moment et partout. Maintenant, elle se porterait de mieux en mieux grâce à la médication de Yaye. Selon elle, il n’y a plus aucun doute, elle est plus tranquille maintenant et est animée par l’envie d’apprendre à l’école.

Un autre lieu de spectacle des djinns. Ce jeudi soir à Samè Kokono sur la route de Kati. à une heure indue de la nuit, des initiatrices du spectacle, toutes habillées de boubous blancs, assortis de petits foulards rouges, avec des cauris nattés sur la tête apparaissent au milieu de la scène. Sous des airs entonnés, des femmes s’écroulent de partout. Elles sont aussitôt transportées dans une chambre. Kadiatou, l’une d’elles, est possédée par le «djinn Batoukouné». Elle se roule plusieurs fois à terre, avant d’escalader un pan de mur avec un air béat comme un enfant.

Quelques minutes après, elle retrouve ses esprits et accepte de répondre à nos interrogations. Pourquoi se comporte-t-elle ainsi ? Pour toute réponse, elle incrimine «le djinn Batoukouné». à en croire la jeune dame, les personnes hantées par les djinns ont toujours un comportement d’enfant.

BRUTALES ET AGRESSIVES- Sur ces entrefaites, une autre jeune dame du nom d’Oumou entre également en transe. Elle a le «djinn n’komoni», chevillé au corps. Elle se blesse après des chutes consécutives sur un sol rocailleux. Elle ne se souvient de rien mais admet que chaque fois qu’elle entre en transe, elle ressent de la fatigue et tout son corps lui fait mal. Selon elle, si on est possédé par le «djinn n’komoni», à chaque crise, cet être surnaturel te fait faire des choses brutales et agressives parce que ce djinn est très agressif.

Maria aussi est habitée par le «djinn Maïmouna Haïdara». Après sa chute, le public s’est précipité pour la couvrir avec des foulards. Elle se relève et se dirige vers un homme dans l’assistance et lui conseille de faire des sacrifices, mais surtout de se laver avec certaines décoctions pour voir résolus ses problèmes d’obtention des documents de voyage. Le quidam confirmera avoir effectivement des problèmes dans ce sens et jubile à l’idée de trouver ainsi la solution à son problème.

Après que Maria a retrouvé la lucidité, nous nous sommes entretenus avec elle pour comprendre pourquoi elle a été couverte de foulards. Elle rétorquera simplement que le «djinn Maïmouna Haïdara» aime la religion musulmane qui exige que la femme se couvre tout le corps. Pour elle, toutes les femmes possédées par ce djinn doivent satisfaire cette exigence sinon elles risquent de voir toutes leurs entreprises vouées à l’échec.

L’initiatrice de l’événement, Gnignè, communément appelée djinetigui Gnignè, pratique ce rituel depuis plus de 50 ans. «J’ai le pouvoir de converser avec les djinns. Je travaille avec eux pour soigner des personnes et résoudre leurs problèmes. J’ai pu guérir des malades et résoudre des problèmes d’infertilité, de déboires conjugaux, de quête de documents de voyage et d’emploi», explique celle qui ajoute qu’elle organise ce rituel à l’initiative de ses adeptes désireux de témoigner de leur gratitude aux djinns et encore bénéficier de la grâce de ces êtres invisibles. Elle ne se focalise pas sur un jour spécifique mais elle sacrifie à la traditionnelle cérémonie de fin d’année des djinns que nombre de «djinètigui» organisent.

La pratique gagne du terrain dans la capitale et aucun quartier populaire ou presque n’y échappe. Ces rituels sont dirigés, en général, par des femmes. Elle attire de plus en plus de nombreuses femmes qui croient aux «prétendus faiseurs» de reines. Nombre de cantatrices chantent les louanges des «djinètigui» en guise de reconnaissance des bienfaits.

Saran Diarra ou « djinètigui » Saran est basée à Yirimadio. Elle est bien connue des Bamakoises pour ses rituels en grande pompe. Sa réputation a franchi les frontières de notre pays. Pour elle, les gens aspirent au meilleur, ce qui motive leur présence dans les spectacles des djinns. Une jeune trentenaire qui assistait à notre conversation, corrobore les dires de Saran. Selon cette jeune dame, être possédé par un djinn, ouvre les portes de la réussite. Sans se faire prier, elle énumère les richesses qu’elle a pu amasser grâce aux djinns.

Pourtant, les témoignages sont nombreux sur les déboires des adeptes de cette pratique. Ce commerçant au Grand marché de Bamako qui ne croit visiblement pas à cette pratique, rappelle l’exemple d’une ancienne prostituée pour mettre en garde ceux qui sont tentés de s’y lancer. Selon notre interlocuteur, cette dame a embobiné de nombreuses femmes naïves et s’est enrichie sur leur dos. « Certaines de ces femmes ont fini par avoir des soucis dans leur vie de couple », témoigne-t-il.
Cet enseignant aussi ne compte pas parmi les adeptes. Il estime que 90 % des personnes qui prétendent être possédées ne sont pas crédibles. Pour lui, les spectacles de djinns sont devenus des occasions de débauche sexuelle.

Daouda Koné, sociologue et assistant chercheur au niveau de l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA), explique que c’est un phénomène social, qui a toujours existé dans notre société, mais à la différence que les manifestations d’antan, dont l’objectif était de prédire l’avenir pour le village ou pour la communauté, sont aujourd’hui dévoyées. Au cours des soirées de prédictions, on donnait des détails sur la saison pluvieuse et les sacrifices à faire pour une année meilleure. Donc les djinns communiquaient avec la femme en transe sur les sacrifices à offrir aux esprits du bois sacré, aux djinns qui vivent dans l’eau ou aux ancêtres, explique le chercheur.

Pour lui, on a actuellement privilégié l’aspect économique et celui de la distraction avec une dimension inouïe de la prostitution. Parce que sous l’effet des chansons, les femmes et les hommes qui sont possédés par les djinns s’évanouissent. Une fois transportés dans la chambre, ils entretiennent des relations intimes. Cela représente une dépravation des mœurs.

GENT FÉMININE-
 Ces cérémonies attirent la gent féminine qui se conforme aisément aux recommandations de celles qui entrent en transe. Selon le sociologue, l’évolution dans nos anciennes pratiques sociales s’explique aussi par les phénomènes de mutation sociale. Il faut reconnaitre que certaines manifestations de djinn sont plausibles. Ces pratiques et traditions anciennes méritent d’être valorisées.

Yacouba Diallo du Centre médical miracle de Ouolofobougou-Bolibana, une unité de traitement des personnes possédées par des djinns à travers le Saint Coran, accepte de verser son avis dans le débat, sous le prisme de la religion. Il confirme l’existence des djinns qui accompagneraient chacun d’entre nous depuis la naissance. Certains sont suivis par des djinns de mauvaise intention (des esprits du mal) pour diverses raisons.

Un djinn qui éprouve de l’amour pour une personne, des parents ayant pratiqué les djinns, la participation à des spectacles des djinns au cours desquelles on reçoit accidentellement de l’eau que l’on verse sur les adeptes… voilà quelques motifs qui peuvent conduire à adhérer à la pratique. Si on aime une personne du sexe opposé qui est déjà possédée par des esprits du mal, ils peuvent vous suivre ou lorsqu’une femme ne se couvre pas le corps ou si elle prend l’habitude de sortir tard dans la nuit, il y a de fortes chances qu’elle se coltine la compagnie des djinns, selon les témoignages du religieux. Il ajoute qu’une fois qu’on est poursuivi par les djinns, on est confronté à des problèmes qui peuvent aller de l’infertilité à la démence, en passant par l’envoûtement, la paralysie, la malchance dans les affaires et la difficulté à se marier.

Mais comment peut-on savoir qu’on est suivi par un être invisible ? Selon notre interlocuteur, cela se manifeste par des signes comme des maux de tête intenses, accompagnés de larmoiements, de palpitations, d’énervements, de frissonnements. La personne peut avoir l’impression d’être toujours accompagnée par quelqu’un d’autre et ne supporte pas de se retrouver au milieu d’une foule.

Yacouba Diallo estime que les esprits du mal sont des êtres égoïstes et restent très dangereux. Pour s’en débarrasser, il faut très souvent, explique-t-il, recourir aux hommes de foi afin qu’ils invoquent Allah le Clément et Miséricordieux. Par la grâce divine, certains thérapeutes traditionnels arrivent aussi à chasser ces démons.
Cette pratique ancienne a pris aujourd’hui le virage de la perversion. Il est donc temps de revoir la copie et de s’interroger sur la nécessité de sa survivance pour des objectifs plus nobles.

Baya TRAORÉ

Source: L’Essor-Mali

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