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Centre du Mali : Ce n’est pas encore « Peur sur la ville » mais…

En dépit des moyens déployés par le gouvernement malien pour la sécurité dans le Centre du pays, le chemin reste long et semé d’embûches. En arrivant dans ce Centre meurtri par tant de drames humains, de tueries et de désolationle voyageur verra son cœur saigner. Cette vaste zone de culture, d’agriculture, d’élevage et de pêche n’est plus que l’ombre d’elle-même. Agressées, les populations quittent leur terroir, abandonnent champs et troupeaux. Ceux qui sont restés sont armés, déterminés à livrer le baroud d’honneur.

Je ne puis m’empêcher de faire le rapprochement, entre ce que ce j’ai sous les yeux et  “En attendant le bus”, un superbe article publié, le 14 août 2016, par Pierre Bertet (Security and military support analysis). « Quelque part au cœur de l’Afrique de l’Ouest, mi-août 2016. La saison des pluies bat son plein et, entre deux orages, le temps est idéal pour flâner où méditer. Et cela tombe bien, car j’attends le bus.Le bus Mali. Un véhicule national spacieux puisqu’il ne contient au regard de sa taille, que 17,5 millions de passagers. Incluant, bien sûr, deux-cents cinquante mille (243.690) réfugiés qui, malheureusement, n’ont pas, encore, tous embarqués. Ensuite, au regard de la synthèse des estimations faites à ce propos, ce bus, en 5 ans, à peine, peut entrer dans les faubourgs de l’autosuffisance alimentaire… ». Avec cette belle envolée lyrique, l’allégorie du bus se lance sous la plume de l’auteur.

L’allégorie du bus, disons-le, est une belle trouvaille littéraire. Cette analyse-opinion permet d’appréhender, rapidement, le positionnement et les rapports de force qui découlent des actions entreprises ou pas, par les acteurs nationaux et internationaux concernés par la crise au Mali. Elle permet, également, de mettre en relief deux menaces synthétiques et critiques, aujourd’hui, susceptibles de conduire à la partition du pays.

PAS RASSURANT –Loin de ces éléments abstraits de l’allégorie du « bus Mali », rien de tel qu’un séjour dans le Centre de notre pays pour toucher du doigt les réalités du terrain. Constat de profane, les premières impressions du voyageur angoissé sur la route de Mopti ne sont guère rassurantes. De Bamako à Mopti, dans le bus, aucun contrôle physique des passagers et des bagages. Les postes de sécurité sont des passoires. Moins rassurant encore, le visage ensommeillé de ce militaire, en poste à l’entrée de Sevaré, s’étirant sur une chaise, déchaussé, arme sur les genoux et qui semble émerger d’une nuit de rêverie. Que dire de ce véhicule 4×4 croisé au rond-point de Savaré, transportant 2 fûts de carburant qui peuvent exploser au contact d’un projectile ennemi avec ses 4 occupants ?

« Nous sommes pourtant en guerre », ne cesse de répéter, en leitmotiv, le discours politique. Rien, cependant, de nos comportements ne le corrobore. Mais, à la décharge des forces militaires, l’iceberg ne montre que sa partie immergée. Peut-être que la maison est bien tenue ! Le temple gardé ! Encore une parole de profane : le véhicule de transport pouvait convoyer une tonne de matériels militaires jusqu’à Mopti sans qu’aucun militaire ne s’en aperçoive. Même si le spectre de la violence plane sur les têtes dans le Centre, les populations vaquent à leurs occupations, tombant totalement dans le fatalisme. « Le chant du coq ne veut pas, forcément, dire que le soleil se lève ». « Vous savez, on ne peut pas se permettre de rester à la maison parce que les bandits circulent dehors. Nous sommes obligés de chercher le prix de condiments (la pitance)… », laisse tomber Ibrahim, commerçant d’articles divers à Somadougou, petite bourgade avant Sévaré.

A l’entrée de la ville de Mopti, le voyageur est d’abord impressionné par l’aéroport à droite. Un seul avion militaire sur sa poitrine au milieu du tarmac. Des conteneurs superposés, à perte de vue. Ce port sec est une des installations des Nations unies. A côté, une colonne de blindés estampillés « UN ». Les miradors sont tenus par des soldats impeccablement habillés, fusil mitrailleur braqué sur l’extérieur. La Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), a gaillardement occupé cette plateforme aéroportuaire entourée d’une tranchée. A quelques centaines de mètres, un camp superbement tenu. C’est encore la MINUSMA. Des tentes militaires dressées au beau milieu, des maisonnettes préfabriquées servent de dortoirs aux « soldats de la paix ». De réputation, l’ONU sait faire les choses en grand.

HAPPY END – En ville, le premier camp est à gauche. Nos militaires se battent comme ils peuvent. Le terrain est vaste et la nature de la guerre est complexe. Ils tiennent les postes, dans des conditions de travail difficiles. Pas de hangar, pas de véhicules au check point à l’entrée de la ville. Certainement pour des raisons de prudence, en cas d’attaque surprise. Les voyageurs leur donnent, quelques fois, des pièces pour faire du thé ou acheter des sachets d’eau potable ou encore quelques cigarettes. C’est la réalité du terrain.

Au Gouvernorat, en l’absence du chef de l’exécutif, en déplacement, le chef du cabinet évacue les instances. En cette matinée, Kantara Diawara, administrateur civil sort d’une réunion portant sur le dénouement heureux du rapt des enseignants de Tenenkou par des individus armés qui ont mis le feu dans aux livres et cahiers des élèves.

Happy end, ils sont libérés après quelques jours de détention dans un endroit encore inconnu. L’administrateur civil, parcourant un courrier, sans lever la tête, confie sans ambages que la situation sécuritaire ne s’améliore pas dans la région. « Au contraire, elle se dégrade et la crise prend de nouvelles formes ». Selon lui, les méthodes des assaillants évoluent et s’adaptent aux opérations militaires dans la zone. « Dambe », opération d’envergure, est présente. « Son chef est en mission en ce moment », précise-t-il, avant de confirmer la présence de milices dogon et peulh sur le terrain. Les combattants opèrent au nez et à la barbe des services de sécurité.

Contacté dans son bureau, décortiquant quelques arachides de saison, le chargé de sécurité ne donne pas plus d’informations. L’officier supérieur nous renvoie à sa hiérarchie. La grande muette honore, encore une fois, sa réputation. S’il en est ainsi, dépassons nos peurs en partant à Bandiagara. Une localité située au cœur du plateau Dogon et réputé être une zone de forte concentration de combattants. A seulement 60 km de la ville de Mopti.

Mais le voyage n’aura pas lieu. Une mine artisanale venait d’ôter la vie à deux soldats sur le tronçon. Aucun véhicule de transport ne fera le voyage. avant le passage des démineurs.
Samedi 2 novembre 2019, deux jours plus tard, pendant que les fonctionnaires prennent d’assaut les banques de la place, une fourgonnette aménagée pour accueillir une vingtaine de passagers, transportant une quarantaine de passagers partit de sa base, à la gare routière de Sevaré, pour Bandiagara, à 60 km.

Cette courte distance n’a jamais été aussi longue pour le jeune Madou. Cet apprenti confie, avant le départ de la camionnette, que la route est dangereuse. « Infestée de bandits, la zone échappe à tout contrôle militaire », dit-il. Une attaque est possible à n’importe quel endroit, à partir de la sortie de Sevaré.

Georges Guindo fréquente cette route, une fois par mois, pour alimenter son petit commerce dans un petit village niché au flanc d’une colline. « Nous ne savons plus quoi faire. A cause des assaillants, on ne peut pas arrêter de vivre. Heureusement, que les chasseurs traditionnels font de leur mieux pour assurer la sécurité dans le plateau Dogon », explique le voyageur.

TAXE ILLEGALE.Dans le véhicule, la peur se lit sur les visages. « On peut sauter sur une mine. On a surtout peur de ça », craint l’apprenti. Le jeune Madou, 18 ans, a déjà été témoin d’une attaque. Il raconte qu’il y a quelques semaines, entre Koro et Bandiagara, des individus armés ont tendu une embuscade au véhicule de son patron. Immobilisé, le véhicule de transport est conduit hors de la route, entre deux collines où étaient déjà attachés d’autres victimes à côté de deux autres véhicules. « Les bandits n’étaient que 4 mais armés jusqu’aux dents », a pu constater le jeune apprenti. Mis à plat ventre, tous les passagers sont dépossédés de leurs biens. Un cadavre gisait dans son sang. Le défunt aurait refusé de laisser un gros paquet d’argent entre les mains de vulgaires voleurs.

Toujours, selon l’apprenti du bus, les combattants de milices font irruption sur la route pour contrôler les passagers. « Ils ont même des postes dans la brousse là-bas », précise-t-il, ajoutant qu’ils font payer des taxes sur la route. Les camions peuvent débourser jusqu’à 10.000 Fcfa.

Un responsable des douanes confirme cette perception illégale et précise que les milices entretiennent des réseaux de contrebande de marchandises. Notre apprenti détient des informations de première main. Il me souffle que les chasseurs sont à la recherche d’un jeune leader peulh qui serait à la base du massacre d’Ogossagou. Il raconte, dans sa version, que l’individu a constitué une milice peulh, près de ce village, déclarant à qui veut l’entendre qu’il organise les siens dans le seul but de gagner quelques places dans l’opération de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) à venir. La milice des chasseurs, constatant que le camp du jeune homme grossit d’une manière inquiétante a décidé de mener une attaque préventive pour couper le mal à la racine.

Ce qui fut fait. Les chasseurs « donsos » auraient pris d’assaut le camp commandé par le jeune homme, mis le feu et créé la débandade. Surpris par cette attaque, les combattants prirent la fuite en direction du village d’Ogossagou. Là, ils trouvent refuge dans la concession du chef de village et celle d’un grand marabout. Dans la confusion, poursuit notre interlocuteur, les poursuivants ont tiré sur tout ce qui bougeait. Et ils ont mis le feu à la demeure avant de se retirer, après le forfait.

A l’angle d’une station services, un habitant s’approvisionne en carburant. Le compteur de la pompe affiche 5000 Fcfa pour environ 7 litres d’essence dans le réservoir de sa japonaise. « Nous sommes sur le qui-vive. En vérité, nous vivons la peur au ventre. Le drame peut arriver ici et tout de suite sans que nous ne soyons sûrs d’être sauvés. Personne n’est en sécurité » confie sèchement l’automobiliste.

Et d’ajouter, juste avant de s’installer dans sa voiture : « En vérité, nous sommes victimes d’un complot international. Donc, c’est à l’international qu’il faut dénouer la corde. Seul, le Mali ne peut pas ».

L’allégorie du bus trouve son répondant dans le vécu des populations du Centre du Mali dont une partie a quitté son terroir pour devenir déplacés dans son propre pays. Un drame humain se trouve ainsi, incognito, insidieusement, en cours de développement.

MD

(AMAP)

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