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Ce que je pense : De comment financer les priorités de développement du Mali

(en particulier les grands projets d’infrastructure)

Le 11 janvier 2018, le Mouvement Anw Bè Faso Do publiait un pamphlet intitulé “Nos Quatorze Propositions pour stabiliser le Mali à partir de 2018”. C’était une réflexion menée au plus fort de la pire crise de gouvernance politique, économique que notre pays ait connue à cette date avec, à la clé,  la profonde crise de confiance, qui en a résulté. Le Manifeste se donnait comme ambition d’offrir au peuple malien une approche alternative de la gouvernance, du choix des solutions à apporter aux défis multidimensionnels auxquels le Mali est confronté.

La question que tous ceux qui ont lu le Manifeste posaient était toujours la même, à savoir: “vos projets sont très ambitieux. Comment allez- vous payer pour tout cela? D’où viendra l’argent?”

La présente analyse vise justement à répondre à cette préoccupation, à savoir comment financer les priorités de développement du Mali, en particulier les grands projets d’infrastructure?

Nous allons identifier ensemble certaines pistes pour voir leur faisabilité.

I- Le budget triennal d’Investissements:

C’est la source de financement des infrastructures à la disposition de l’Etat. Ce sont des fonds prélevés sur une base annuelle sur le budget de l’Etat. Le cycle est triennal. Les capacités de ce mode financement sont très limitées au regard des contraintes budgétaires.

II- Les prêts à des taux d’intérêt conventionnels ou concessionnels:

L’Etat contracte le prêt auprès d’autres Etats, des institutions financières internationales ou des banques commerciales pour financer son développement. C’est assez fréquent à des taux d’intérêt concessionnels. C’est souvent le cas des financements chinois en Afrique.

III-  L’élargissement de l’assiette fiscale:

L’une des faiblesses structurelles majeures relevées par les partenaires techniques et financiers concernant les économies comme celle du Mali, c’est la faible capacité de mobilisation de ressources domestiques pour financer leurs programmes prioritaires, d’où leur dépendance extrême des financements extérieurs. Les raisons de cette faiblesse sont essentiellement liées à l’étroitesse de l’assiette fiscale. En effet, les économies sont peu diversifiées et génèrent très peu de valeur ajoutée. Au Mali c’est le commerce pur qui prédomine, c’est à dire l’importation et la mise sur le marché sans aucune transformation. Qui plus est, l’économie est à plus de 80% dans l’informel. La conséquence directe de cet état de fait est une ponction fiscale très élevée sur l’embryon de PME et PMI existant dans le pays, les menant presque à l’asphyxie.  Au nom de l’équité, l’Etat doit desserrer l’étau fiscal autour de ces entreprises pilotes pour leur permettre de prospérer et de créer des emplois.

L’expérience des pays développés comme les Etats Unis et l’Europe prouve à suffisance que leurs projets de développement sectoriels s’appuient souvent sur une source majeure d’imposition: l’impôt foncier.

Aux Etats Unis, l’impôt foncier est un source importante  de revenus à la fois pour l’Etat fédéral, pour l’Etat fédéré et pour le conté où se trouve la propriété. Selon un proverbe américain “il y a deux certitudes dans la vie…la mort et les impôts ”. Comme quoi on n’y échappe pas. Il contribue jusqu’à 3,4% du budget fédéral et jusqu’à 14% du budget des Etats comme New York, sans compter les taxes locales du conté sur la propriété.

En France l’impôt foncier et la taxe foncière sont également une source prioritaire de revenus pour l’Etat dans l’exécution des dépenses publiques. La taxe d’habitation et l’impôt foncier ont été transférés aux collectivités locales. En 2013 ils ont généré 49 milliards d’Euros de recettes à ces collectivités, soit 39% de leur budget annuel.

Qu’en est il du Mali? A ma connaissance, les taxes ne sont prélevées que sur les baux à usage commercial et d’habitation dûment enregistrés. Cela ne représente qu’une infime partie du potentiel que recèle ce secteur. Je ne suis pas sûr pour l’impôt foncier en dehors des prélèvements pour les transferts de titres et leur enregistrement.

Le Malien est tellement attaché à sa concession urbaine ou rurale, qu’il est prêt à faire les sacrifices qu’il faut pour les préserver pour le prestige. Il sera encore plus enclin à le faire s’il sait que les ressources générées contribueront à financer les grands travaux d’infrastructure pour le bien commun.

Je me félicite que l’Etat ait procédé à l’identification et à l’immatriculation de toutes les propriétés foncières aussi bien urbaines que rurales. J’espère qu’il aura de la suite dans les idées.

IV- L’émission des emprunts obligataires:

C’est là un mode courant de mobilisation de ressources que l’Etat malien peut actionner avec la bénédiction de la BCEAO. Son avantage est que le taux d’intérêt est raisonnable (environ 6%) et la devise de remboursement est le CFA, la mobilisation des ressources se faisant sur le marché régional. Ce mode de financement suppose l’identification précise du projet au financement duquel il est destiné.

V- La concession de services publics:

L’Etat concède à un ou plusieurs investisseurs privés le droit de réaliser un projet, une infrastructure dont l’exploitation aura une vocation de service public. En général, la concession se fait sur une période suffisamment longue pour permettre à l’investisseur d’amortir ses investissements et de dégager une marge bénéficiaire. Elle s’accompagne d’un cahier de charges rigoureux pour préserver la vocation de service public avec, en contrepartie, le paiement de redevances par les usagers. C’est le cas par exemple pour la construction d’un pont, d’une autoroute etc. L’infrastructure devient la propriété de l’Etat à la fin de la période se concession.

VI- Le Partenariat Privé Public:

Dans ce cas, le projet est le fruit d’une répartition de ses coûts de réalisation entre l’Etat et le secteur privé. La contribution de l’Etat pourrait par exemple consister à la mise à disposition du foncier sur lequel le projet va se réaliser. La part de chaque partie sera au prorata de leur contribution à la réalisation du projet.

VII- L’Aide Publique au Développement:

C’est l’appui que nos partenaires techniques et financiers mettent à la disposition de nos Etats pour assurer leur fonctionnement. Elle s’octroie soit sous forme d’aide non  remboursable ou de prêts à des taux d’intérêt concessionnels. A terme, cette aide devrait atteindre 0,7% du PNB des pays développés. En l’état actuel elle se situe dans la fourchette de 0,1 à 0,3%. Le Royaume Uni et quelques pays scandinaves sont les seuls à avoir atteint les 0,5% à cette date. Elle a représenté 26 milliards $ pour les pays les moins avancés en 2017 et 29 milliards$ pour l’Afrique. Le Mali a reçu 1,356 milliards $ d’APD en 2017 (source OCDE)

Dans son schéma actuel  d’allocation, la répartition de l’aide à nos pays par secteur d’activité est déséquilibré. Les 60% de l’aide se donnent sous la forme d’aide budgétaire et le reste sous la forme d’appui aux investissements productifs. L’aide budgétaire est souvent destinée à assurer la fonctionnement régulier de l’Etat: salaires, fonctionnement.

Nous estimons que ce ratio ne profite pas à l’investissement productif. Nous estimons également qu’un Etat dit souverain doit pouvoir assumer par lui même les charges de son propre fonctionnement. Là où l’Etat devrait avoir besoin d’appui ce sont les efforts déployés pour son développement socio économique. C’est pourquoi, nous militons pour apporter un équilibre dans le ratio d’allocation de l’aide. 50% devraient aller à l’aide budgétaire et 50% à l’investissement productif pour financer les projets d’infrastructure.

VII- Les Mécanismes multilatéraux de financement:

Sous cette rubrique nous allons parler de mécanismes multilatéraux mis place pour soutenir certains secteurs dans les pays en développement, dans les pays les moins avancés en particulier. Leur énumération n’est pas exhaustive:

A- Les fonds climat:

Plusieurs instruments de financement ont été mis en place dans la lutte contre le changement climatique. Certains de ces instruments sont destinés  à  soutenir les pays en développement et les pays les moins avancés comme le Mali en particulier:

– Le fonds d’adaptation au changement climatique destiné à soutenir l’élaboration des stratégies nationales d’adaptation au changement climatique;

– Le fonds de soutien aux PMA.

Il existe des mécanismes de portée plus globale comme le fonds carbone, le Mécanisme de Développement propre.

B- L’Aide au Commerce (Aid for Trade):

C’est un engagement pris par les pays développés dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce. L’Aide au commerce consiste à affecter une proportion de plus en plus consistante de l’aide publique au développement au renforcement des capacités des pays en développement en matière de commerce. Il s’agit spécifiquement de renforcer les capacités humaines dans las négociations commerciales et la gestion des questions liées au commerce. Il s’agit également de soutenir le renforcement de l’infrastructure physique destinée à soutenir le commerce.

C- Le mécanisme intégré renforcé:

Il est destiné à soutenir la mise à niveau de la production dans les pays les moins avancés. C’est une aide pour améliorer la qualité de la production locale afin de la mettre au niveau des standards internationaux et pour soutenir leur exportation.

Presque chaque institution spécialisée du système des Nations unies a mis en place un mécanisme financier de soutien aux stratégies sectorielles des pays en développement.

Il s’agit pour le Mali de développer les compétences internes pour identifier, étudier et maîtriser ces différents mécanismes multilatéraux en vue d’en tirer le maximum d’avantages possibles. Cette démarche se réalise sur le long terme. Il s’agit de confier le dossier à un ou des agents qui deviendront des spécialistes. A cet égard je me félicite de l’expertise que notre pays a développée à travers la personne du coordinateur national pour le Mécanisme Intégré Renforcé et l’expert national sur le climat qui est également coordinateur pour l’Afrique. Ce sont là des exemples à émuler.

VIII- Les revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles:

Au Mali, l’exemple le plus frappant est celui de l’exploitation de l’or.

Nous entendons des chiffres mirobolants concernant les quantités d’or exploitées et les revenus générés. Toutefois les retombées sociales restent invisibles.  Il y a très peu de transparence dans ce secteur, depuis toujours.

Nous invitons les gouvernants à cesser de noyer les revenus de l’or dans le budget général.

Les revenus générés par les ressources naturelles devraient avoir une fonction particulière. Ils devraient contribuer essentiellement à:

– financer le développement dans le village, la commune et la région d’origine de la ressource à concurrence de 15% du total;

– financer un fonds d’affectation spéciale pour les générations futures encore appelé Fonds souverain à concurrence de 15%. Car le rythme effréné actuel d’exploitation des ressources laissera très peu de choses aux générations futures. Qu’allons nous leur dire dans ce cas?

– financer des projets de restauration de l’environnement et de la biodiversité sur les sites d’exploitation à hauteur de 5% pendant et après l’exploitation;

– financer les investissements productifs, c’est à dire les grands travaux à concurrence de 15%;

– financer la recherche et le développement (R&D) à concurrence de 5%;

– financer le budget de fonctionnement de l’Etat à concurrence de 45%.

Pour conclure sur cette modalité de financement, permettez-nous d’emprunter à l’Honorable Soumaïla Cissé une idée qu’il a émise pendant la campagne présidentielle de 2018. Il a proposé de regrouper les parts que l’Etat détient dans chacune des entreprises d’extraction de l’or pour constituer un holding. Ce holding disposerait d’une capacité de négociation plus accrue, d’une capacité d’investissement et de gestion supérieure et d’un pouvoir de contrôle important sur l’exploitation des ressources. Le holding assurerait une meilleure coordination de la participation du gouvernement aux activités des entreprises concernées. Nous adhérons à cette proposition.

IX-  Les investissements de la Diaspora:

Présentement, la diaspora malienne procède à des transferts de fonds importants essentiellement orientés vers la consommation des ménages dans leur terroir, la construction de centres de santé, d’écoles et de mosquées. Ils ont représenté 11% du PIB et l’équivalent de 79 % de l’APD en 2017. Les 78% des transferts passent par des circuits informels. (source le 26 Mars). Ils ont représenté 1 milliard $ en 2017.

Une véritable campagne devra être menée pour orienter une partie de ces fonds vers de investissements productifs.

A la différence des autres types d’investissements, ceux de la diaspora présentent quelques contraintes:

– I ‘éloignement du pays entraine une méconnaissance des priorités nationales de développement. C’est pourquoi il faut préparer un portefeuille de projets dont l’étude de faisabilité est déjà réalisée à leur intention. Ils choisiront parmi ces projets;

– les membres de la diaspora visitant le pays d’origine ont généralement des contraintes de temps. Ils ne peuvent pas rester très longtemps à cause des engagements professionnels ou autres. C’est pour cela qu’il faut prévoir une procédure accélérée pour les formalités de constitution de leurs projets. Il faut leur attribuer des parcelles de terrain pouvant accueillir les projets;

–  les membres de la diaspora ne disposent pas au niveau local de l’expertise nécessaire pour piloter leurs projets en toute sécurité et en toute confiance, en leur absence. Il faut créer des mécanismes pour pallier cette insuffisance.

Nous avons été également séduit par une expérience nouvelle en cours de réalisation appelée “Diaspora bonds” . Les promoteurs en sont 4 sociétés de gestion et d’intermédiation de la zone UEMOA dont CGF Bourse. Il consiste à mobiliser l’épargne de la diaspora de l’UEMOA pour le compte de la Banque de l’habitat du Sénégal contre l’émission d’obligations. C’est une manière de canaliser l’épargne de la diaspora vers de l’investissement productif. C’est un modèle à étudier.

 

X- Créer des mesures incitatives pour ramener le secteur informel vers le formel:

Les 80% de l’économie du Mali sont dans l’informel. Comment faut-il s’y prendre pour les amener progressivement vers le formel. Si une telle démarche se réalise, cela pourrait générer plus de revenus imposables ou taxables. Il s’agit pour l’administration d’imaginer des mesures incitatives pour que en contre partie le secteur informel accepte de s’exposer. A méditer donc.

Voici donc mon analyse concernant les pistes à prospecter pour mobiliser les ressources pour financer le développement du Mali.

Votre avis est également important.

Nous proposons. Vous en débattez. Les décideurs décident. Tel est notre vœu.

Cheick Sidi Diarra

kelendji2@gmail.com

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