De tous les défis que doit relever l’Iran, celui de l’environnement est l’un des plus urgents. Le temps presse. Une prise de conscience commence à voir le jour. Peut-on espérer que ce pays saura prendre à temps les mesures nécessaires pour éviter la catastrophe ?
Comment les sociétés décident-elles de leur disparition ou de leur survie ? C’est à cette question que tente de répondre le scientifique américain Jared Diamond dans son livre Effondrement *. Dans la course accélérée et mondialisée vers la dégradation de l’environnement, rien n’est inéluctable, nous rassure-t-il. Pour qu’une société s’effondre, conclut-il, plusieurs facteurs, au nombre de cinq, entrent toujours potentiellement en jeu : des dommages environnementaux ; un changement climatique ; des voisins hostiles ; des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux ; les réponses apportées par la société, selon ses valeurs propres, à ces problèmes. Sans être trop alarmiste, force est de constater que plusieurs de ces cinq facteurs sont d’ores et déjà entrés en jeu pour ce qui est de la société iranienne. Cet article a pour objet le premier de ces facteurs : les dommages environnementaux.
Dans un rapport récent qui fait froid dans le dos, Isa Kalantari, l’un des conseillers du président Rohani, a mis en garde tous les dirigeants iraniens contre l’effondrement au vrai sens du terme qui guette ce pays de 75 millions d’habitants. Agronome de formation, deux fois ministre de l’Agriculture dont l’une sous les deux mandats présidentiels de Rafsandjani (1989-1997) et l’autre sous le premier mandat (1997-2001) du président Mohammad Khatami, sa parole mérite d’être prise au sérieux.
La pénurie d’eau
Commençons par la pénurie d’eau qu’il considère comme une menace imminente. D’après lui, au début de la révolution de 1979, la surconsommation d’eau dans tout le pays était de 100 millions m3 par an. Aujourd’hui ce bilan négatif atteint le chiffre de 11 milliards m3 c’est-à-dire 110 fois plus. Selon son estimation, si on n’inverse pas immédiatement cette tendance, l’Iran deviendra d’ici 30 ans un « pays des fantômes », car il se transformera en un immense désert. A partir du moment où les nappes phréatiques sont complètement asséchées, même s’il pleut, l’eau reste en surface et très rapidement s’évapore. Selon le site Iranesabz, qui s’intéresse aux questions environnementales, actuellement, tous les réservoirs d’eaux naturelles du pays sont asséchés.
La disparition des lacs
Le lac d’Orumiyeh, le plus grand lac du pays, situé dans la région de l’Azerbaïdjan iranien (nord-ouest), dont les eaux ont des vertus thérapeutiques et qui attirait il y a peu les curistes du monde entier, est en train d’être rayé de la carte. Son assèchement accéléré est en grande partie dû au forage non autorisé d’un grand nombre de puits depuis la révolution et à la construction irréfléchie de barrages par les autorités dans le but de développer l’agriculture. Dès l’avènement de la République islamique, les autorités ont donné leur aval à la culture de 380 000 hectares supplémentaires sur les terres irrigables de cette région. On compte 24 000 puits non autorisés que les agriculteurs ont forés depuis lors et 72 barrages grands et petits construits par l’Etat, rapporte le site pro-gouvernemental Tabnak.ir.
L’ironie du sort est que depuis quelques années, non seulement les champs cultivés des alentours du lac mais aussi ceux de tout l’ouest du pays sont envahis de poussière saline causée par les tempêtes de sel provenant de ce lac. Les villes de la région sont aussi touchées par cette poussière. De nombreuses maladies respiratoires et cancéreuses commencent à être diagnostiquées parmi les populations avoisinantes. Outre les conséquences écologiques désastreuses à venir, on prévoit que 3 millions d’Azerbaïdjanais quitteront leur région dans les prochaines années. Les autorités n’ont pas encore présenté de plan crédible pour limiter les effets de cette catastrophe.
Les lacs du Fars. Les lacs de Bakhtegan et de Maharloo dans la province du Fars se sont aussi asséchés en raison de l’absence de mesures efficaces pour leur sauvegarde. Aujourd’hui, ces deux lacs ne sont plus qu’un souvenir. Les deux autres lacs de cette province, les lacs de Tashk et de Kâftar sont également en train de mourir. Depuis 26 ans, 117 000 hectares de terres auparavant recouvertes de lacs dans cette province ont disparu et se sont transformés en champs de sel générateurs de poussière saline. Tous les spécialistes sont unanimes : la construction des barrages de Sivand sur la rivière Pulvar et de Doroodzan sur la rivière Kor pour irriguer les terres arides des alentours est la principale cause de cet assèchement. En fait, la sécheresse naturelle a, pour ainsi dire, prêté main forte à la cause humaine. Selon Nematollah Karimi, spécialiste de l’Institut de recherches sur l’eau, la désertification de 45 000 hectares à forte intensité et de 23 000 hectares à faible intensité est l’une des conséquences directes de cet assèchement.
Le lac Hamoun, un lac d’eau douce situé au sud-est de l’Afghanistan et de l’Iran, est le deuxième grand lac iranien. Sa surface totale est de 5 660 m2 dont 3 820 m2 se trouvent en Iran. Il est en fait constitué de trois petits lacs. Avant qu’il ne s’assèche, il jouait un rôle vital dans la vie des habitants de la province du Sistan et Baloutchistan. Alimenté essentiellement par l’eau captée dans les montagnes afghanes, ce lac a été, d’une part, victime de la sécheresse des quinze dernières années et, d’autre part, de l’obstruction des rivières s’écoulant d’Afghanistan qui s’y déversaient : les Afghans ont cessé de respecter le traité de 1972 les obligeant à laisser s’écouler 26 m3 par seconde d’eau de la rivière Hirmand vers ce lac.
Avec la mort de ce lac, 15 000 pêcheurs ont perdu leur travail. Chaque année, 12 000 tonnes de poissons y étaient pêchés. Il y a à peine deux décennies, ce lac accueillait chaque année 1 million d’oiseaux migrateurs. Les femmes utilisant les roseaux pour la fabrication d’objets artisanaux n’ont plus de ressources. Les éleveurs de 120 000 bovins qui pâturaient naguère sur 70 000 hectares ont dû quitter leur région. 800 villages ont été victimes de l’avancement des sables mouvants apparus à la suite de cet assèchement, affirme le site iranien Mehrnews.com.
La pollution atmosphérique
Une des causes principales sinon la cause essentielle de la pollution atmosphérique dans les grandes villes iraniennes en particulier à Téhéran est sans aucun doute les transports routiers, qu’il s’agisse des automobiles ou des deux-roues, dont les carburants sont parmi les plus polluants. Pour des raisons multiples, mais surtout économiques, l’Etat iranien n’est pas actuellement en mesure de réglementer les émissions de polluants atmosphériques des moteurs à essence, diesel ou gaz de pétrole liquéfié. Autrement dit, il n’est pas capable d’imposer des normes européennes pour limiter l’émission des particules fines nocives, des radiations, des substances mortelles, en particulier dans le cas de gaz toxique, de dégagement ou rejet de contaminants. Les véhicules routiers ne sont pas mis à la norme Euro 4 malgré le vœu des responsables du département de l’environnement qui ont demandé au ministère du pétrole d’importer du carburant (essence et gazole) soumis aux normes européennes.
Selon Shahrokh Khosravani, vice-président de la Compagnie Nationale de la Distribution des produits pétroliers iraniens, [National Iranian Oil Products Distribution Company (NIOPDC)] en dépit de l’augmentation à hauteur de 30 millions de litres par jour de la production d’essence conforme aux normes Euro 4 et Euro 5 dans les raffineries iraniennes, 13 millions de litres d’essence européenne sont également distribués chaque jour. Mais cela n’est pas suffisant.
Selon Rahmatollah Hafezi, membre du Conseil islamique de la municipalité de Téhéran, la responsabilité de trouver des solutions au problème épineux de la pollution atmosphérique incombe à l’ensemble du pouvoir politique. Aucun organisme public n’est à lui seul en mesure de remédier à ce problème. D’après lui, rien que l’an dernier, la pollution des villes a tué à peu près 3 000 personnes. Près de 5 000 personnes ont été hospitalisées pour des problèmes respiratoires et 3 000 autres pour des problèmes cardiaques directement liés à la pollution. 70% à 80% de la pollution atmosphérique sont causés par les automobiles et autres engins motorisés surtout les motocyclettes. La pollution sonore et atmosphérique engendrée par chaque motocyclette est 8 fois supérieure à la pollution causée par un véhicule conforme à la norme Euro 4. Chaque mois, la pollution tue en moyenne 277 personnes dans le pays.
Dans la province du Khuzestân au sud-ouest de l’Iran, la population paie encore la rançon de la guerre Iran-Iraq (1980-1988) et de l’invasion américaine de l’Iraq : l’air qu’elle respire est contaminé par le gaz de sulfure et par des poussières bourrées de substances chimiques dont de l’uranium à faible intensité. Les grands marais du delta du Tigre et de l’Euphrate en Iraq qui s’étendent le long de la frontière iranienne et qui se sont asséchés sous l’effet de la guerre et de la sécheresse naturelle sont eux aussi générateurs de poussières toxiques.
La déforestation endémique
La déforestation est un autre aspect de la négligence endémique du pouvoir politique envers l’environnement. Elle est certes en partie due à la sécheresse naturelle et parfois aux incendies, mais ce qui est révoltant est le déboisement volontaire et continu des forêts par cupidité dont nous avons été témoins ces trois dernières décennies, et qui n’est pas sévèrement puni. Sur ce sujet, il y aurait beaucoup à dire.
En tout état de cause, le défi de l’environnement en Iran est un défi sans précédent. Il met en jeu la survie même de la société. Nous avons commencé cet article par une citation tirée du rapport alarmant du conseiller du président iranien, terminons-le par sa conclusion : « 30 ans se sont écoulés en un clin d’œil depuis la révolution, ce pays peut devenir en un autre clin d’œil inhabitable. Oublions la gauche et la droite ! Le défi que nous devons relever est historique. L’ennemi de l’Iran est interne, non pas externe. »
RFI