C’est sur les terres de Wontofa (appellation en langue locale jalonké du terroir de Faléa), dans le Cercle de Keniéba que la délégation de l’ancien Premier ministre Modibo a voulu lancer sa conquête électorale le 28 avril dans la perspective de l’élection présidentielle de juillet prochain.
Conduite par l’un de ses bras droits et grenadier de service, l’ancien ministre des Finances, Sanoussi Touré, la délégation, à son arrivée dans le village central de la commune rurale de Faléa, a essuyé un cuisant revers qui a pris les allures d’une revanche.
En effet, les populations de cette petite localité ont réservé un service minimum. Ni le maire, Mallé Camara, ni le chef de village M’Bafily Daga Keïta et ses conseillers n’étaient présents. Tous ont préféré vaquer à leurs occupations. Seules quelques notabilités, par devoir de respect dû à la tradition sacrée qui exige que l’on reçoive et que l’on écoute le visiteur, quel qu’il soit, quitte à l’éconduire ensuite, étaient là pour accomplir sans enthousiasme le rituel du protocole d’accueil.
Les raisons de ce désaveu pour l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé sont liées au permis accordé de manière ubuesque par le gouvernement de l’ancien président Amadou Toumani Touré, à la société canadienne Rockgate pour l’exploration en vue d’une future exploitation d’une mine d’uranium sur le territoire communal de Faléa.
Cette concession a provoqué l’indignation des populations du village de Faléa et des 21 villages de la commune éponyme qui, avec l’appui de l’ARACF (Association des ressortissants et amis de la commune de Faléa) et de ses partenaires, se sont mobilisées, pour mettre en échec ce projet qui constitue une grave menace pour leur patrimoine culturel et écologique, mais, avant tout, pour leur santé.
Leur lutte a mis en évidence la collusion entre les tenants du pouvoir et la société canadienne, chose qui a permis à celle-ci de mener sur leurs terres des activités de prospection, de forage et de carottage sans aucun respect des normes et procédures démocratiques en la matière. Elle a provoqué par ailleurs une crise gouvernementale qui a conduit au départ de Modibo Sidibé de la primature et à un remaniement ministériel en mars 2011.
Sur le terrain, cette lutte des populations, grâce àl’accompagnement de l’ARACF et de ses partenaires a eu des échos au-delà des frontières nationales et elle a pris une dimension internationale avec l’implication de plusieurs acteurs de la société civile en Europe et en Afrique
Les opérations de forage et de carottage sont menées par la société à des profondeurs variant de 135 à 418 mètres de profondeur sans avoir eu au préalable aucune idée précise sur le niveau de la nappe phréatique dans les différentes zones. Pire, elles ne respectent ni la les sources traditionnelles d’approvisionnement en eau (marigots, mares, puits, puisards, etc.), ni les terres agricoles ni les plantes, ni le fonctionnement quotidien et le repos des populations, ni les principes de base dans le domaine de l’environnement, du patrimoine culturel (matériel et immatériel) et de la démocratie.
Une situation qui a eu des conséquences immédiates sur les populations à savoir les pollutions (eau, air…), les dégradations et les nuisances, les risques d’infiltration des produits dangereux utilisés dans la nappe phréatique, la perspective immédiate de déguerpissement de l’espace qu’elles occupent mais qui a été attribué par l’Etat, à leur insu, au concessionnaire minier.
Pour avoir été le Premier ministre du gouvernement qui a accordé le permis d’exploration, les habitants de la Commune de Faléa ne sont pas prêts de pardonner au candidat Modibo Sidibé, symbole à leurs yeux de l’incurie du système ATT, qui, à l’instar de ses prédécesseurs Alpha Oumar Konaré et Moussa Traoré, ont royalement ignoré cette petite portion de notre pays, l’une des plus enclavées du territoire.
En effet, cette commune de 21.000 habitants ne dispose ni d’infrastructures socio-sanitaires et éducatives, ni de routes, ni de télécommunications (on y signale l’arrivée récente d’un opérateur privé de téléphonie). Elle est coupée du reste du cercle de Keniéba pendant six mois de l’année, ce qui pose de sérieux problèmes d’évacuation des malades ou des femmes enceintes dont plusieurs ont même perdu la vie faute d’avoir été référées sur Keniéba, le chef- lieu de cercle situé à plus de 85 Km.
Pourtant, Faléa se révèle être la plus riche du Mali en minerais stratégiques.
Une lueur d’espoir était pourtant née : en vue de réaliser le désenclavement de certaines localités et parties de notre pays, le gouvernement de la République du Mali a engagé un programme d’équipement en bacs de franchissement de cours d’eau. C’est ainsi qu’à l’issue de la session ordinaire du conseil des ministres tenue le mercredi 2 mars 2005, il a approuvé la construction de trois (3) bacs automoteurs dont un (1) bac de 40 tonnes pour la ville de Koulikoro et deux (2) bacs de 20 tonnes chacun destinés aux localités de Diafarabé dans le cercle de Teninkou et Faléa dans le cercle de Keniéba. Le marché fut attribué, par entente directe, à la Société INACOM-Mali pour un montant de 1 milliard 63 millions de FCFA environ et un délai d’exécution de dix mois.
Depuis son adjudication en 2005 à la société INACOM-Mali, le délai de livraison du bac automoteur de Faléa n’a jamais été respecté. A ce jour, d’après les informations recueillies par l’ARACF auprès des autorités administratives et politiques ainsi que les services techniques des travaux publics du cercle de Keniéba, le bac de franchissement est immobilisé dans le chef lieu du cercle depuis plus d’une année, après avoir connu des fortunes diverses, notamment des tentatives de détournement de sa destination initiale et sans qu’on ne sache quand exactement il sera mis à l’eau.
On évoque actuellement les difficultés d’acheminement à cause du mauvais état de la route et la multiplicité de nombreux cours d’eau. Or, l’exécution d’un ouvrage de génie dans le cadre d’un marché public doit comporter nécessairement les frais liés à son acheminement. Ce qui ne semble pas être le cas du bac automoteur de Faléa immobilisé dans la cour du service des travaux publics à Keniéba.
Ce constat amer illustre l’absence totale de contrôle de l’Etat sous l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, dans le suivi des entreprises qui ont l’obligation de s’acquitter, sous peine de poursuite, de leurs engagements contractuels vis-à-vis des citoyens et des collectivités au nom desquels des sommes faramineuses sont déboursées pour assurer le développement économique et social et le désenclavement intérieur du pays, le plus souvent dans des conditions qui jurent avec la transparence et la régularité.
Pour faire oublier les populations de Faléa, la délégation de Modibo Sidibé a promis la rénovation et l’extension de la mosquée du village central.
Aucun programme moderne et cohérent de développement pour cette commune dont les priorités sont le désenclavement, la création d’infrastructures sanitaires dignes de ce nom, l’eau potable, l’école ! Il faut noter que la commune de Faléa est également engagée, avec les douze autres communes du cercle dans la préservation du Fleuve Falémé.
Un précieux patrimoine commun au Mali, au Sénégal, à la Mauritanie et la Guinée, mais qui risque de disparaître du fait des activités d’orpaillage qui engendrent une pollution effroyable particulièrement dangereuse pour l’environnement et la santé des populations.
C’est par une ironie corrosive que les populations de Faléa ont répondu à cette étrange sollicitation. La délégation de l’ancien Premier ministre est répartie comme elle est revenue : décidément, on ne chasse pas facilement sur les terres de Wontofa, surtout si on n’est soupçonné d’en être celui par qui sa destruction a été programmée.
Fousseyni SISSOKO
Source: Inter de Bamako