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Biens culturels : La crise sécuritaire favorise le trafic

Le pillage du patrimoine culturel africain prend une nouvelle dimension au moment où les pays européens s’engagent à rendre au continent des objets de haute valeur dérobés généralement pendant la colonisation. Les conflits ne sont pas étrangers à cette situation

 

Les Africains se souviendront longtemps du discours prononcé par le président français dans l’amphithéâtre de l’Université Joseph Ki-Zerbo en novembre 2017. Emmanuel Macron rappelait l’exigence de restituer au continent africain ses biens culturels. «Je veux que d’ici 5 ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique». Ces propos attestaient sa détermination à réparer une forme d’injustice vis-à-vis de notre continent qui a été dépouillé, selon les historiens, de ses biens culturels mais aussi de documents de traditions orales pendant la colonisation. Ces dernières années, les crises récurrentes dans certains pays africains ont été à l’origine d’une accentuation de ce trafic. La protection, la réhabilitation et la sauvegarde des biens culturels demeure une préoccupation essentielle de notre pays qui a ratifié des conventions de l’Unesco, notamment celles de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé et de 1970 sur les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels. Pourtant, le patrimoine culturel malien continue d’être menacé. Certains spécialistes estiment que c’est le moment de revoir en détail la situation.

Nul doute que le phénomène du trafic illicite des biens culturels s’intensifie. Les turbulences enregistrées dans notre pays depuis mars 2012 à la suite d’un putsch justifient amplement cet état de fait. Parce qu’il y a eu l’occupation des deux tiers du territoire national par des groupes armés qui ont procédé à une destruction massive et au pillage des biens culturels. Suite au pillage abusif et trafic illicite des biens culturel vers d’autres horizons, les autorités maliennes, en partenariat avec l’Unesco et d’autres partenaires techniques et financiers, ont multiplié les initiatives et les actions pour barrer la route aux prédateurs de notre identité culturelle. Face à cet engagement commun, les autorités françaises ont également promis de restituer 16 objets. Un lot de six objets sera restitué dans un premier temps. La seconde phase de restitution portera sur les dix autres. Cette décision de restitution intervient après le rapport d’une équipe de chercheurs engagée par le président français Emmanuel Macron, qui s’appuie sur le rapport de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy. Ce document d’inventaire en trois volumes de 863 pages établit que 6.910 objets, en provenance du Mali, ont été inventoriés dans les collections du Musée du Quai Branly.

Dans le souci de bien accueillir ces objets et de les garder dans des conditions optimales, le département de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme a initié plusieurs projets, dont l’organisation d’un atelier de réflexion pour faire l’état des lieux dans les musées et institutions en vue d’assurer une bonne condition de conservation de ces biens restitués. Il s’agissait également de faire des propositions concrètes sur le sort des œuvres à rapatrier. Les autorités en charge de la question entendent exploiter toutes les opportunités pour ramener une bonne partie de nos objets identitaires et mettre en place un mécanisme pour contrarier les trafiquants de biens culturels dans le noir dessein qu’ils nourrissent pour notre patrimoine culturel. C’est dans cette vision globale de protection des biens culturels que le ministère en charge de la Culture a organisé un autre atelier sur la restitution des biens culturels africains sous le thème : “Quels objets et quelles stratégies pour le Mali” du 26 au 28 décembre 2018 à Bamako. La restitution des biens culturels est un long processus qui est en cours depuis des décennies. Cette campagne a été lancée par le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), en décembre 2013.

POSITION FERME- Le rapport de l’atelier de décembre indique que les autorités adoptent une position ferme contre l’attribution des biens culturels d’El hadj Omar Tall et son fils Ahmadou au Sénégal, étant entendu que ces biens sont issus du Mali. Il recommande aux autorités de contester, dans certains cas, le choix des communautés comme interlocutrices en lieu et place des états souverains. D’autre part, le rapport préconise la «remise solennelle aux États africains concernés des inventaires d’œuvres issues de leur territoire (selon les frontières actuelles) et conservées actuellement dans des collections publiques françaises ». Les premières étapes de cette restitution consistent à entrer en possession des biens culturels indispensables à la réécriture de son histoire, à la consolidation de sa cohésion sociale et au raffermissement de son identité, notamment les butins ou trésors de guerre pris sur les personnalités emblématiques dans des lieux emblématiques entre 1940 et 1978; à savoir des biens régaliens de l’état malien. Certains individus profitent de la crise sécuritaire pour sauter les verrous. Ils entretiennent une plus grande complicité avec un réseau d’antiquaires et de collectionneurs de l’art africain. Cette hypothèse est confirmée par les archéologues et historiens maliens rencontrés lors de notre enquête.

Selon Dr Daouda Keïta, directeur général du Musée national, après la crise de 2012, le trafic des biens culturels s’est intensifié avec l’effondrement de l’état dans certaines parties de notre pays. Une bonne partie des sites et biens culturels n’était plus à l’abri des prédateurs. «Lorsque les objets sont volés, détruits ou retirés de leur contexte historique, ils sont souvent perdus à jamais», explique-t-il. Le Musée du Quai Branly dispose de milliers d’objets africains d’une valeur inestimable. En 2014, le site de Goudji Touréla de Ségou a fait l’objet d’une attaque par un réseau de vendeurs de biens culturels africains. Cela a été possible du fait de l’effondrement de l’administration publique en charge de la protection des biens culturels. Pendant cette période, des milliers d’objets ont été emportés soit vendus à des collectionneurs ou amateurs d’art africain. Le patron du Musée national relève que les pilleurs sont bien organisés en réseau. «Il y avait des pilleurs faisant des fouilles et des antiquaires achetant sur le site ci-dessus», a commenté Dr Keita.

Des milliers d’objets africains ont été emportés vers des grands musées. Le conseiller technique au ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme, Dr Mamadou Cissé, en charge du patrimoine culturel, soutient que le phénomène a eu un coup d’accélérateur pendant la crise sécuritaire. Les sites de Djenné-Djeno et du Delta central ont fait l’objet d’un grand pillage. Plusieurs autres sites dans le Septentrion et dans le Sud ont également subi le même sort. «L’année dernière, certains responsables de services techniques ont été menacés par les prédateurs», a annoncé l’archéologue Cissé. Malgré l’accord bilatéral entre notre pays et les états-Unis sur la gestion des biens culturels, le puissant réseau de fournisseurs des grands musées et collectionneurs continue de prospérer. Il s’attaque parfois à visage découvert aux textes et conventions sur le pillage des biens culturels.

Amadou SOW

Source : L’ESSOR

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