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Ballaké Sissoko: Un chantre du métissage musical

Avec lui, la kora a franchi la porte des cercles fermés de la musique. Son jeu s’appuie sur le socle des mélodies mandingues pour mieux en prolonger la portée, les enrichir de nouveaux échos.

Ballaké Sissoko a enregistré en plein air des morceaux de son 8è album « Musique de nuit ». C’était en 2015, sur le toit de son domicile familial à la cité des footballeurs à N’tomikorobougou, avec son ami et compère, le violoncelliste Vincent Segal. L’expérience n’a pas manqué d’étonner les professionnels de la musique.
Si ce grand joueur de kora, reconnu à travers le monde, réside officiellement en Europe, il ne rate pas une occasion, entre deux prestations ou tournées de revenir à Bamako pour une ou deux semaines.
La carrière professionnelle de Ballaké Sissoko en tant que musicien commence très jeune. Il participe à de nombreux concerts, joue avec différents artistes du continent. Après avoir appris à jouer à la kora dès l’âge de six ans avec notamment son frère et voisin Toumani Diabaté, son père Djéli Mady Sissoko l’emmène à l’Ensemble instrumental. Il s’agit de la célèbre voix principale qui a chanté les grandes épopées bambara et manding. Nombre de nos compatriotes se rappellent de ce ténor qui magnifie les hauts faits d’arme des héros des différentes épopées du Mali.
Ballaké intègre l’Ensemble instrumental en 1981. Ce qui lui donne l’occasion, non seulement de parfaire sa formation à la kora, mais aussi d’évoluer sur différentes scènes aussi bien au Mali, en Afrique, en Europe et en Amérique. En 1989, il décide de quitter cette formation pour mener une carrière solo. La même année, il sort son premier album de musique instrumental « Nouvelles cordes anciennes » avec Toumani Diabaté. Cet album permet aux deux joueurs de kora de revisiter 12 titres célèbres du répertoire de la musique mandingue.

TRÈS SOLLICITÉ- Ballaké Sissoko décide ensuite d’aller travailler en Europe. Il commence directement à collaborer avec le producteur « Mad Music ». Celui-là qui s’occupe, entre autre, de Salif Keïta, Ismaël Lô ou encore Rokia Traoré. Quand on lui demande avec quel orchestre ou le groupe il travaille, Ballaké sourit. Car l’instrumentiste n’est pas dans ce genre de schéma. « Je suis dans plusieurs collaborations », lâche-t-il. Ce qui lui permet de jouer avec cinq groupes en France, deux en Italie, un en Grèce et un dernier aux États-Unis. Car dans le milieu professionnel, la kora est un instrument très sollicité. C’est donc une question de programmation.
Son agenda est chargé jusqu’en 2021, avec des concerts, des ateliers, des enregistrements, des festivals, d’autres prestations.
« Ma génération a essayé d’apporter beaucoup de choses – avec beaucoup de respect – à cet instrument. On a eu la chance de connaître d’autres instruments comme la guitare, le violoncelle, le violon, la contrebasse, et d’autres structures musicales. Du coup, on a enrichi la pratique de la kora avec certaines techniques qui ne relevaient pas de la tradition originelle », explique Ballaké qui joue toujours de la kora à 21 cordes.
Depuis 2002, le célèbre musicien grecque Ross Daly organise des séminaires et des « master classes » avec quelques-uns des plus grands professeurs de musique traditionnelle du monde entier dont Ballaké Sissoko.
C’est un lieu de rencontre pour les musiciens et les étudiants et est aujourd’hui considéré comme l’institution leader en Grèce dans le domaine de la formation de la musique modale et traditionnelle.

Balla Sissoko

Une rencontre considérée comme un pèlerinage de la musique instrumentale.

MUSICIEN ÉLÉGANT- L’Opéra de Lyon, en France a décidé de lui donner « Carte blanche » pendant une semaine. C’était en 2015. Il s’agissait sans doute d’une reconnaissance de son niveau de représentativité dans la création musicale sur le plan international. Pour assurer cette lourde tâche, il fait appel à Moriba Koïta, cet autre Malien qui joue du ngoni, bien sûr à Vincent Segal, Piers Faccini et aux frères du « Trio Chimirani » d’Iran. Cet ensemble proposera une série d’instrumentales et récitals inédits qui resteront encore longtemps dans les annales de l’histoire de ce célèbre Opéra. Une première pour un musicien africain.
Ballaké Sissoko devient ainsi l’homme par qui la kora est entrée dans les grandes cours à travers le monde. Son travail continue de faire franchir à l’instrument une étape insoupçonnée dans le classement des plus étudiés dans les conservatoires du monde entier.
L’album « At Peace » de Ballaké Sissoko, a reçu en 2012 le Grand Prix de l’Académie Charles Cros de France dans la catégorie « Musiques du Monde ». Fondée au lendemain de la guerre en 1947, l’Académie Charles Cros défend la diversité musicale, entre autre. C’est un collectif d’une centaine de spécialistes sociétaires (élus) et d’experts associés, français et étrangers, qui apporte bénévolement son concours aux missions que s’est assignée l’Académie Charles Cros. Si l’artiste ne considère pas cette récompense comme un aboutissement de son œuvre musicale, il admet néanmoins qu’elle a permis à sa carrière de franchir un palier supplémentaire.
Pour Vincent Segal, Ballaké est un musicien élégant. En pensant à « la façon dont, avec lui, la musique se pose, comme un papillon, avec souplesse, délicatesse, sans jamais forcer, et en même temps il y a une puissance ».
Sans cesse revitalisée par sa pratique quotidienne et par les rencontres qui jalonnent son parcours, la musique de Ballaké s’exprime par une parole en perpétuel mouvement, s’appuie sur le socle des mélodies mandingues pour mieux en prolonger la portée, les enrichir de nouveaux échos. Il a déjà travaillé entre autre avec Toumani Diabaté, Taj Mahal, Ludovic Einaudi, Stranded Horse… « At Peace » est une étape majeure sur ce chemin qui relie la mémoire et l’invention, la connaissance aigüe de l’histoire et la soif jamais satisfaite de découverte.
S’il repose sur l’entente cordiale qui unit ses participants, « At Peace » n’en est pas moins un disque d’aventure, fourmillant de trouvailles et de figures sans filet. La paix qui est à l’œuvre dans « At Peace » est aussi celle des braves, de musiciens qui n’ont pas peur de se frotter aux beautés de l’imprévu et de l’inouï. « J’avais envie qu’on entende des musiciens en train de se découvrir et d’être parfois eux-mêmes surpris par ce qu’ils jouent », soutient Ballaké Sissoko.
Comme Miles Davis à l’époque de Birth of the Cool, Ballaké Sissoko s’ouvre ici une brèche esthétique en provoquant chez ses partenaires une émulation collective qui passe par une attention toujours plus grande à l’autre, une forme d’empathie gouvernée par l’exigence. Il n’est pas anodin que s’exaltent dans cet album des vertus cardinales comme la générosité, la curiosité, l’absence de calcul, le refus de tout autre pouvoir que celui de créer. à l’heure où le Mali vit une des périodes les plus troublées et déchirées de son histoire, c’est aussi une humble mais magistrale leçon de concorde et de vie en bonne intelligence que délivre « At Peace ».
Youssouf DOUMBIA

Projets : LA FORMATION DES JEUNES À CŒUR

Ballaké Sissoko est très préoccupé par l’évolution de la kora. Il estime que l’instrument qui est de nos jours reconnu comme venant du Mali, doit s’intégrer parfaitement dans le système de la musique mondiale.
La plupart des instruments de musique possèdent des écritures de solfège. Ainsi qu’à partir des première notes ou son d’un joueur de la guitare acoustique, on peut tout de suite reconnaître s’il joue du solfège espagnole, italien, français ou américain. Ce qui permet de rendre universel un instrument de musique.
Ballaké a donc entrepris avec son ami français Vincent Segal d’écrire un solfège pour le jeu de la kora à la malienne.
Ce travail est assez lent, car son ami apprend en même temps les notes des morceaux mandingue et bambara. Il est donc à la recherche d’un musicien malien qui maîtrise le solfège afin d’aller à un rythme plus soutenu pour cette écriture.
En plus de la kora, notre pays possède de nombreux instruments de musique en perdition. En effet, le ngoni, le djembé, la sanza ou filèngolo balani, le socou ou violon traditionnel, kamalen ngoni, le balafon, entre autres ne sont plus très bien maîtrisés par les jeunes. Avec la Fondation Aga Khan, Ballaké travaille sur un projet de création d’un centre de formation.
Le programme de formation comportera, en plus de l’apprentissage du jeu de ces instruments, l’historique, les différentes ères culturelles de provenance, et leur intégration dans un orchestre traditionnel ou moderne.
En effet, Ballaké possède déjà une première expérience avec un groupe de 11 jeunes qu’il forme depuis des années à la kora.
Ce groupe, qui a fait un premier test à l’Institut français du Mali en 2017, s’est également produit dans des festivals au Maroc et en Tunisie. Mais l’artiste pense qu’ils peuvent encore améliorer leurs jeux individuels et l’harmonie du groupe.
Enfin, arrive le projet de saison culturel « Africa 2020 » du président Emmanuel Macron qui vise à faire connaître la richesse et le dynamisme de la scène artistique africaine dans tous les domaines. Il aura lieu en France métropolitaine et dans les départements d’Outre mer du 1er juin au 15 décembre 2020.
Avec des structures françaises, Ballaké Sissoko travaille sur la création d’une symphonie de 50 joueurs de kora. C’est un véritable défi que de trouver autant de jeunes musiciens qui s’intéressent à cet instrument.
Y. D.

 

Albums et Récompenses 

2019 : Prix Aga Khan de Musique avec Oumou Sangaré dans la catégorie « Contributions remarquables et durables en faveur de la musique »
– 2015 : * Musique de nuit avec Vincent Segal
* Musiques Métisses – 40 ans de Festival d’Angoulême
Une compilation pour célébrer le 40è anniversaire de Musiques Métisses, le festival créé par Christian Mousset…
– 2012 : * At Peace, produit par Vincent Segal, dans lequel Ballaké ; Prix de l’Académie Charles Cross
* Musique du long-métrage « Timbuktu » de Abderrhamane Sissako
– 2008 : Chamber music avec Vincent Segal; Prix World music Charter Europe 2008 » ; et « Victoire de la Musique », catégorie jazz en 2009
– 2009 : Thee, avec Stranded horse
– 2006 : Diario Mali, enregistré au cours du troisième Festival du Désert à Essakane, Mali (2003), avec Ludovico Einau…
– 2005 : Tomora
– 2002 : Master Musicians meeting club
– 2001 : Déli
– 1999 : New anciens strings
– 1989 : Nouvelles anciennes cordes du Mali, avec Toumani Diabaté

Source: Journal l’Essor-Mali

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