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Axe Sikasso-Hérémakono-Bobo Dioulasso : Le gouvernement encourage les tracasseries

Les exportateurs de céréales ont déserté l’axe Sikasso-Hérémakono-Bobo Dioulasso à cause des tracasseries routières. Ces pratiques sont alimentées par les instructions verbales des autorités maliennes hostiles à toute sortie de céréales depuis quelques années. 

La route qui part de Sikasso à Bobo Dioulasso au Burkina Faso était jadis empruntée par les commerçants pour exporter les produits agricoles notamment, les céréales (mil, maïs, etc.) vers d’autres pays de la sous-région comme le Niger ou le Ghana.

Depuis cinq ans, les exportateurs de céréales ont courbé l’échine sous le poids de la corruption dont ils sont victimes de la part des forces de l’ordre qui se cachent derrière les instructions verbales des autorités maliennes contre l’exportation des céréales sèches.

El Hadji Kalilou Diallo fait partie des grands commerçants de céréales à Sikasso. Son bureau est situé en plein centre ville, au cœur du marché de céréales. Ce jeudi 28 juin 2018, cinq hommes chargent du maïs dans un camion de dix tonnes sous un ciel clément. Non loin de là, est installé le bureau où ce grand commerçant de céréales reçoit ses visiteurs, les yeux rivés sur la télévision. Sa porte ne désemplit pas et son téléphone portable sonne en permanence.

El Hadji Kalilou Diallo décroche des appels et donne des instructions à deux de ses employés qui remplissent des factures et tiennent un gros registre. Il y a de cela cinq ans, Kalilou Diallo et plusieurs autres commerçants ont abandonné les exportations de céréales sur cet axe à cause des instructions verbales des autorités maliennes  en vertu desquelles, les forces de sécurité empêchent des camions remplis de céréales de franchir les frontières maliennes. « Les textes de l’UMEOA ne l’interdisent pas », souligne-t-il.  Selon lui, les autorités n’ont pas pris de décisions officielles mais se barricadent derrière la protection des populations de la famine. Elles n’ont aucune statistique pour savoir si la production céréalière peut suffire au Mali.

« On est frileux mais il n’y a pas d’interdiction »

A en croire Mamadou Koné, président de la Plateforme  de Sikasso pour la libre circulation des personnes et des biens, cette autorisation n’a aucune existence légale au regard des dispositions communautaires. « On concourt à racketter les commerçants. Il serait mieux que l’Etat applique les dispositions communautaires. Tout le monde y gagnerait », ajoute-t-il.

Le Directeur Régional du commerce, de la concurrence et de la consommation du Mali, relevant du ministère du Commerce et de la Concurrence, Boucadary Doumbia, évite soigneusement de prononcer le mot “interdiction”.

Entouré par quelques uns de ses collaborateurs dans son bureau au 7ème étage de l’immeuble Nimaga à Bamako-Coura, Boucadary Doumbia s’appuie sur l’article 4 du décret 505 du 16 octobre 2000 portant réglementation du commerce pour construire son argumentaire.  Pour des raisons de sécurité alimentaire liées à la protection des consommateurs, souligne-t-il, on peut restreindre le commerce de céréales vers l’étranger. « Il n’y a aucune interdiction à l’exportation des céréales. Chaque fois que nous constatons que les produits ne suffisent pas, en responsables, nous prenons des mesures », avance-t-il en prenant l’exemple sur l’igname de la Côte d’Ivoire. Il reconnaît que son service ne dispose d’aucune statistique en matière de production de céréales. Le seul indicateur, c’est les prix, précise-t-il. Si les prix commencent à augmenter sur les marchés surtout en période de récolte, le ministère du commerce à travers la Direction nationale du commerce, de la concurrence et de la consommation, commence à être regardant. « C’est un gouvernement responsable qui ne peut pas rester insensible à la menace de la famine », lance-t-il en rappelant les efforts fournis par le gouvernement en subventionnant les intrants agricoles. « On est frileux mais il n’y a pas d’interdiction », conclut Boucadary Doumbia.

Si le Directeur en charge du commerce réfute catégoriquement le mot d’interdiction, il est évident que les céréales ne prennent plus la direction de Bobo Dioulasso à partir de Sikasso. Pour faire ce constat, il suffit de se rendre à Hérémakono, ville frontalière avec le Burkina-Faso.

Le vendredi 29 juin 2018, le poste de douanes de Hérémakono était tenu par deux gabelous. Le chef de poste et ses agents sont montés en garde vers 14 heures pour descendre à 22 heures. Sous le couvert de l’anonymat, un des douaniers nous affirme que les camions de céréales ne transitent plus sur cet axe.

A la gendarmerie, à moins de 400 m, le chef de poste reconnaît ne pas enregistrer les céréales à l’exportation. De temps en temps, ajoute le gendarme, des motos-tricycles plus connus sous le nom de « Katakatani » traversent la frontière avec quelques sacs de céréales.

Le gouvernement encourage les tracasseries

Si au départ les commerçants contournaient cette interdiction en chargeant les camions la nuit, ils ont fini par déserter ce corridor, devenu un puits intarissable pour les éléments des forces de l’ordre.

Selon un rapport du Projet Justice Mali intitulé «L’Impact économique de la corruption sur nos routes », le propriétaire d’un camion de 40 tonnes rempli de maïs débourse, rien qu’au Mali, la somme de 526 000 F CFA sur le corridor Sikasso-Hérémakono-Bobo Dioulasso. Sur l’ensemble du corridor, cette somme est estimée à 528 000 FCFA.

De Sikasso à la frontière burkinabé, une distance de moins de 50 km, les commerçants déboursaient entre 300 000 et 400 000 FCFA par camion. Avec l’autorisation, cette somme est descendue à 60 000 FCFA.

Aujourd’hui, la police et la gendarmerie ont trouvé une autre source de revenue.  Un jour, se souvient Kalilou Diallo, nous avons eu des problèmes avec un douanier sur un véhicule ghanéen. « Nous avons payé 5 millions de FCFA », affirme-t-il. Selon lui, les tracasseries ont fait que les gens ne viennent plus ici. «Ils ne peuvent pas payer 2 millions ou 3 millions pour un seul véhicule », martèle-t-il. Plus de 200 camions quittaient Sikasso chaque année pour diverses destinations dans la sous-région.

A en croire Sidiki Traoré, coordinateur de la plateforme de Sikasso pour la libre circulation des personnes et des biens, ce sont des millions qui partent dans la corruption. « On a l’impression que c’est le gouvernement qui encourage les tracasseries. On est fatigué. On a trop de problèmes. On a honte de dire certaines choses », lance Kalilou Diallo avec des gestes de main. Les tracasseries, a fait savoir Sékouba Coulibaly, vice-président de l’association des chauffeurs routiers volontaires de Sikasso, sont à tous les niveaux. « Même si on dispose de tous ses papiers, les agents nous fatiguent et nous obligent à payer. Est-ce qu’on forme les agents pour racketter ? », s’interroge-t-il.

« Nous avons pris des mesures draconiennes »

Ces pratiques observées au niveau des corridors routiers, nous a confié Moussa Ag Infahi, Directeur général de la police nationale du Mali, ne sont pas la volonté de la hiérarchie. « Nous avons pris des mesures draconiennes. Chaque fois que l’on nous rapporte des faits, nous prenons des sanctions. Au moment où je vous parle (ndlr l’entretien a eu lieu le 31 juillet 2018) un policier de Kayes purge 40 jours de détention à l’école nationale de police pour des faits liés aux tracasseries routières», détaille l’inspecteur général de police qui renchérit « nous avons fait venir  toute une équipe de Zégoua à Bamako pour être entendue dans un cas similaire ».

En 2017, a précisé Moussa Ag Infahi, 400 policiers ont fait l’objet de sanctions pour divers motifs, y compris les tracasseries routières. « Nous ne tolérerons pas les comportements de nos agents véreux », lance le patron de la police nationale avant de se lever pour prendre sur son bureau un manuel élaboré sur les procédures de recrutement afin de moraliser la police. « Nous essayons de faire de notre mieux pour que la police soit un modèle. On ne peut pas dire que tout va bien », explique Moussa Ag Infahi qui pense que les policiers doivent faire l’effort de vivre avec leur salaire. L’Etat a fait des efforts, a-t-il souligné.

« Quand la demande est forte, nos affaires fleurissent. Cela va de soi. L’arrêt de l’exportation pèse énormément sur nos affaires », a précisé Kalilou Diallo. Selon lui, la question de savoir si les tracasseries ont un impact sur les prix ne se pose même pas. « C’est un facteur qui empêche nos partenaires de venir acheter sur le marché malien », renchérit ce grand commerçant de céréales. Sidiki Traoré est convaincu que « les tracasseries empêchent notre compétitivité à l’internationale ».

De l’avis de Mamadou Koné, les victimes des tracasseries ont peur de venir voir la Plateforme qu’il préside. « Les gens ont peur de venir nous voir. Si vous refusez de mettre la main à la poche, les menaces sont là. On bloque vos camions », souligne-t-il. Le coordinateur de la plateforme  de Sikasso pour la libre circulation des personnes et des biens pointe du doigt une méconnaissance des textes exigés pour le commerce et le transport dans l’espace communautaire au niveau des commerçants et des agents.

Sékouba Coulibaly ne jette pas seulement la pierre dans le jardin des forces de sécurité. Il explique que « de nombreux transporteurs ont établi des conventions avec les forces de sécurité ». Aucun véhicule n’est en règle à l’exception des camions externes. « Il faut se mettre en règle au niveau des transporteurs », lance-t-il.

Le Directeur général de la police nationale du Mali souligne aussi ce manque de sérieux de certains transporteurs qui n’hésitent pas à soutirer de l’argent à leur patron pour corrompre les forces de sécurité. « Il faut que les transporteurs et les chauffeurs se mettent en règle pour que l’agent ne trouve rien à dire », martèle l’inspecteur général de police. S’il se défend de protéger les commerçants et les transporteurs dans l’illégalité, Sidiki Traoré évoque en des termes à peine voilés le peu d’attention des forces de sécurité. Et de citer une anecdote qui illustre le malaise… Selon lui, la plaque de sensibilisation de la plateforme sur les tracasseries a été arrachée dans des conditions mystérieuses sous le regard impuissant de la police de Hérémakono.

Chiaka Doumbia

 

La traversée du pont du jugement dernier

Entre Sikasso à Hérémakono, on dénombrait deux postes. Sous la pression des syndicats des transporteurs, le poste de Bougoula à la sortie de Sikasso a été supprimé par le gouvernement du Mali. Aujourd’hui, il reste celui de Hérémakono, dernier village malien avant de fouler le sol burkinabé. Le poste de Bougoula supprimé était redouté à tel point que les usagers le comparaient à la traversée du pont du jugement dernier.

De Koloko à Bobo, sur une distance de 125 km, il y a six postes de contrôle ou de sécurité. A l’entrée et à la sortie de chaque ville, il y a trois ou quatre agents de la police ou de la gendarmerie pour contrôler les passagers qui se mettent en rang avec leurs pièces d’identité en main. Au moment où on contrôle les pièces, un autre agent fouille le véhicule. Le temps pour passer à un autre poste varie entre 6 et 15 minutes.

La multiplication de ces contrôles, selon Mme Minata Coulibaly, chargée de communication à la Direction générale de la Police du Burkina Faso, est liée à la situation sécuritaire dans le Sahel. Depuis 2015, souligne-t-elle, il y a eu des mesures tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme. Ces éléments ont pour mission de faire des contrôles documentaires et des fouilles.

Que de tracasseries !

En effectuant le trajet Sikasso-Bobo à bord d’un car de transport en commun, on constate à loisir que les forces de sécurité obligent les usagers à mettre la main à la poche.

A Hérémakono, la police malienne s’occupe des passagers et récupère les pièces d’identité les unes après les autres à la descente du car. Déjà, dans le car, le convoyeur demande à ceux qui ne sont pas en règle et surtout les étrangers de lui remettre la somme de 2000 FCFA pour négocier avec la police.

Une fois la frontière franchie, c’est une autre réalité. Au premier poste de police sur le territoire burkinabé à Koloko, les policiers récupèrent les pièces d’identité des passagers et les invitent à prendre place sous un hangar.

A l’annonce de son nom, le passager se rend dans une salle où un ou deux agents tiennent les documents. « C’est 1000 FCFA », lance un agent. Si à Hérémakono, la police malienne soutire 2000 FCFA aux étrangers, celle du Faso prend 1000 FCFA avec les ressortissants d’autres pays et 500 FCFA à leurs propres ressortissants.

Les commerçantes de Sikasso qui se rendent au Faso pour prendre des marchandises paient en moyenne 4000 F CFA par personne aux forces de sécurité du pays des hommes intègres. « Ces pratiques ne font pas partie de notre code de déontologie et d’éthique. Je vous invite à m’appeler chaque fois que vous êtes en face des cas de ce genre », nous confie Mme Minata Coulibaly, chargée de communication de la Direction générale de la Police du Burkina Faso. Selon elle, la coordination nationale des forces de police et le service de contrôle de la Direction générale de la police effectuent des missions sur le terrain pour traquer les agents aux comportements déviants.

« Nous avons payé 2000 FCFA », confient deux jeunes de nationalité burkinabé qui se rendaient au Mali. Est-ce que la police vous a remis un reçu ? Non, répondent sèchement les deux jeunes hommes en secouant leurs têtes. « Ça n’a pas été facile aujourd’hui. J’ai payé 2000 FCFA. Si tu ne paies pas, tu ne bouges pas », nous confie une femme burkinabé résidant au Mali. « Je réside au Mali mais on nous fatigue à cause des papiers. Je ne supporte pas cela », ajoute celle qui fut retenue au poste de Hérémakono le 30 juin sous une pluie battante à cause de son refus de mettre la main à la poche. Comme quoi, la libre-circulation des personnes et des biens est loin d’être une réalité.

CD

Note de la rédaction : cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mali Justice Project.

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