Mali Tribune : Comment se porte le marché boursier de l’Uémoa ?
Awa Bagayoko : En ce mois d’août 2024, la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) a franchi le cap des 9000 milliards de F CFA, soit environ 15 milliards de dollars US, sur le marché des actions. Ce qui constitue une belle avancée par rapport à la même période en 2023, où la capitalisation était à 8000 milliards.
Ces évolutions témoignent du dynamisme et de la confiance croissante des investisseurs dans le marché financier régional de l’Uémoa. Mais pas seulement. En effet, nos économies de l’Union ont connu également une croissance soutenue et une forte résilience aux chocs endogènes et exogènes, au cours des dix dernières années. A cela s’ajoute, la bonne santé financière des sociétés cotées à la BRVM, notamment dans les secteurs bancaires et des télécommunications, ont aussi joué un rôle crucial dans l’atteinte de ces performances. De sorte, qu’aujourd’hui, la BRVM se situe à la 5e place des bourses africaines en termes de capitalisation boursière derrière Johannesburg, Casablanca, Le Caire et Lagos.
Bien entendu, il faut ajouter à cela nos efforts en matière de réformes réglementaires pour renforcer la confiance des investisseurs mais également l’évolution de l’organisation du marché comme la revue des compartiments, l’introduction de nouveaux critères de cotation, le fractionnement, le flottant et les volumes minimums pour la facilitation de l’accès aux actions pour les petits investisseurs ainsi que les mesures prises pour faire respecter ces exigences.
Les actions de promotion du marché avec l’organisation de Roadshows, les Awards et autres initiatives pour attirer les investisseurs régionaux et internationaux ont également contribué à améliorer l’attractivité du marché au cours des dix dernières années.
Mali Tribune : Combien de sociétés sont cotées à ce jour ? Qui sont les grands investisseurs ?
A B. : 46 sociétés sont cotées à ce jour à la BRVM. D’ici à fin 2025, nous espérons susciter l’intérêt d’une dizaine d’entreprises pour faire le choix de l’introduction en bourse.
Les grands investisseurs sont les institutions type compagnies d’assurances, fonds de retraite, les banques, en raison de leur capital financier important.
Mali Tribune : Quelle est la situation au Mali ?
A B. : Il y a plusieurs contraintes à relever au Mali : la méconnaissance de la BRVM encore à l’échelle de notre pays, les entreprises et les potentiels épargnants connaissent peu la bourse.
De manière générale, au Mali, les entreprises sont de petites tailles (entreprises individuelles), par ailleurs, même celles qui réalisent de gros chiffres d’affaires (plus de 100 milliards) peuvent encore avoir un statut de société à responsabilité limitée (SARL) et souvent ne sont pas très transparentes en matière de déclaration financière. Il manque clairement une vision, une ambition de grandir et dépasser nos frontières. Or, pour aller à la Bourse, il faut déjà avoir cette vision là et être constitué en société anonyme (SA).
On ne peut pas aller en bourse avec une SARL pour des questions de structure de la gouvernance et des considérations de conformité aux réglementations. Donc, il y a ces problèmes-là : la petitesse des entreprises, le manque de transparence et de projection.
D’autre part, beaucoup de nos entreprises au Mali sont familiales. Elles pensent qu’ouvrir leur capital sur un marché financier, c’est perdre leur entreprise à jamais. Alors qu’il faut avoir une autre lecture : ouvrir son capital sur le marché financier permet à ces entreprises d’avoir une meilleure gouvernance et de se pérenniser en assurant la postérité. Souvent, on rencontre des entreprises lorsque le patriarche à la tête de l’entreprise décède, l’entreprise s’éteint avec lui.
La Bourse permet justement d’offrir une continuité à une entreprise qui est dans cette situation.
Mali Tribune : Que faites-vous pour changer cette donne ?
A B. : Nous faisons beaucoup de sensibilisation, de formation auprès de ces différentes catégories pour développer la culture boursière. Ce n’est pas tout. Nous poursuivons la sensibilisation depuis les universités. Parce que, c’est eux les chefs d’entreprise et les investisseurs de demain. C’est pour changer leur mentalité déjà face à la finance et au marché financier.
Il y a aussi une grande responsabilité de l’Etat, en termes de développement de ce marché financier. Parce que l’Etat peut poser des actions déterminantes. Par exemple, en privatisant certaines entreprises dans lesquelles il a des participations. Vous savez, on ne demande pas à l’Etat de donner toutes ses parts à la population malienne, mais de permettre aux Maliens de se sentir davantage concernés dans le développement de notre économie et de partager la richesse dans notre pays
Et il est important que les Maliens puissent avoir des participations dans les sociétés au Mali et notamment les sociétés où l’Etat a quelques parts : l’actionnariat populaire. Ou encore les émissions d’obligations à destination de la diaspora, pour leur permettre à eux aussi de participer au financement du développement de leur pays et à la préparation de leurs vieux jours dans leur pays d’origine pour certains.
Mali Tribune : Comment aller en Bourse ?
A B. : Pour une entreprise, aller en Bourse c’est une série d’actions à suivre : formaliser le projet avec le conseil d’administration, les parties prenantes de l’entreprise ; prendre contact avec une Société de gestion et d’intermédiation (SGI) et/ou un listing sponsor pour accompagner l’entreprise ; gérer les aspects juridiques et de conformité, etc. Il faut aussi monter le projet avec l’aide de la SGI et ou du listing sponsor, puis communiquer et rechercher les investisseurs. Une fois la levée de fonds réalisée, demander l’admission des titres à la cote de la BRVM.
Les critères pour une introduction sur le marché des actions sont les suivants :
Mali Tribune : Quels sont les avantages et les inconvénients d’une cotation en Bourse ?
A B. : Il y a plusieurs avantages qui peuvent être cités :
– Renforcer les fonds propres
Pour conduire une croissance externe et diversifier ses sources de financement, moins contraignant que l’emprunt bancaire et la dette privée du point de vue de l’accès, des conditions d’allocation des fonds et avec une forte intermédiation financière et surtout des garanties.
Par ailleurs, les fonds levés sur le marché financier permettent d’améliorer la solvabilité des entreprises et ainsi optimiser l’équilibre financier ainsi que la capacité d’emprunt a postériori.
– Mieux gérer les entrées et sorties du capital de l’entreprise
Pour les cas de départ ou de décès d’un actionnaire important, la sortie d’un investisseur en capital-risque, le cas de désengagement de l’Etat dans certaines entreprises, etc.
– Avoir de la visibilité
La visibilité et la notoriété. Plus une entreprise est connue, plus elle attire d’investisseurs et plus elle devient et ne pense plus qu’à être performante. De même, plus cette même entreprise est performante, plus elle est susceptible d’être connue et attire des investisseurs. Du côté de ses partenaires (fournisseurs, clients, banques, etc.), c’est plus de crédibilité pour elle également.
– Améliorer sa valorisation financière
L’avantage dans la valorisation des actifs se situe dans la capacité à rendre le patrimoine de l’entreprise plus liquide et le capital plus mobile.
– Améliorer sa gouvernance
Le marché financier pousse à se conformer aux règles de bonne gestion, sous peine de sanction. Les entreprises améliorent leur gestion financière et le communiquent au grand public.
Plutôt que d’utiliser la notion d’inconvénient, je parlerais plutôt d’exigences de la bourse, et il y en a quelques-unes : le respect des conditions d’accès tout d’abord, le respect des conditions de maintien à la cote et la diffusion d’informations financières de manière régulière.
C’est vrai que cette obligation de transparence vis-à-vis du marché a un coût et effraie certaines entreprises en termes de stratégie, car ce sont des informations auxquelles les concurrents auront également accès. Mais c’est le jeu, il y a aussi la sécurité des épargnants à garantir.
Mali Tribune : La BRVM reste convaincue que la bourse est un placement performant à long terme, mais au Mali beaucoup de sociétés sont toujours réticentes à y investir. Des perspectives ?
A B. : En réalité, il faut plus d’entreprises à la cote BRVM. Nous travaillons à favoriser l’accès des Petites et Moyennes entreprises (PME) au marché financier. En 2017, on a déjà créé un 3e compartiment uniquement pour les PME, pour mieux s’adapter à leur réalité.
D’ici à 2025, nous développerons également un marché obligataire pour les PME ou elles vont pouvoir avoir accès à des instruments comme les paniers obligataires (ce sont des paniers de petits emprunts obligataires) et des mini obligations (des petits montants d’emprunts obligataires) qu’elles pourront émettre pour se financer.
Nous travaillons également pour que les sorties des fonds d’investissement, du capital des entreprises dans lesquelles ils ont investi, se fassent par la bourse. Le développement également de la demande de titre, faire en sorte qu’il y ait plus d’investisseurs sur le marché.
En termes de développement également de la demande de titre, c’est aussi susciter la réforme des retraites qui va permettre aux fonds de pension d’acheter plus massivement des valeurs mobilières qu’elles ne le font aujourd’hui notamment les actions des sociétés.
En termes d’autres perspectives, c’est de favoriser la création de nouveaux marchés parce qu’aujourd’hui notre marché se concentre sur les marchés des obligations et actions.
Nous aimerions développer d’autres marchés comme le marché des produits dérivés, des matières premières agricoles. Développer davantage la finance durable, c’est important. Nous sommes dans une époque où la protection de l’environnement, la durabilité sont des questions importantes que la finance intègre aussi.
La BRVM Académie est aussi un autre projet. Son objectif c’est de renforcer l’éducation financière et boursière des populations à travers une BRVM Académie qui va pouvoir donner les formations standardisées au grand public. Il y a plusieurs projets comme ça, nous ne nous arrêtons jamais.
Propos recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia
Source :Mali Tribune