TV5MONDE : Quel intérêt cette nouvelle cryptomonnaie peut-elle représenter pour le continent africain ?
Loïc Sauce : Il est déjà remarquable de voir que dès la première page du document de présentation de Libra, il est écrit qu’il y a dans le monde environ deux milliards de personnes exclues du système bancaire, des “laissés-pour-compte” selon les propres termes utilisés par Facebook. Il est vrai que Libra, comme l’ensemble des cryptomonnaies, a cette ambition d’offrir des services financiers à tout le monde. Cela consiste à dire “pas besoin d’un système bancaire compliqué, lourd, administratif pour gérer son patrimoine”. Que ce soit Libra ou d’autres, nous avons cette même philosophie : avoir des systèmes bancaires sans banque. Les populations dites “sous-banquées”, qui n’ont donc pas accès à un système traditionnel peuvent très bien bénéficier de ce genre d’innovations.
La cryptomonnaie, c’est donc une monnaie pour les petits échanges du quotidien ?
En effet, il ne s’agit pas de faire de la spéculation. C’est de la monnaie pour les échanges, notamment de petite taille. On sait que les transferts de fonds ou les micro-paiements peuvent donner lieu à des frais très élevés, ce qui constitue une érosion de pouvoir d’achat et de patrimoine. Les cryptomonnaies permettent de faire ces micro-paiements sans frais.
► (Re)voir : en juillet 2018, dans le Journal Afrique de TV5MONDE, gros plan sur l’Afrique et les cryptomonnaies.
Mais Facebook n’est pas une organisation caritative. Comment l’entreprise s’enrichit-elle dans cette affaire ?
L’idée, selon moi, est de permettre à Facebook de se rendre encore plus attractif, faire venir encore plus d’utilisateurs et donc de générer des recettes publicitaires supplémentaires. Ce n’est pas dit explicitement, bien-sûr !
► (Re)lire : Le Bitcoin, qu’est-ce que c’est ?
Comment les banques centrales voient-elles l’arrivée de ces cryptomonnaies ?
En général, et ce n’est pas le propre des banques centrales africaines, la première question qu’elles se posent est de savoir si c’est légal ou non ! Et les réponses varient. En Europe, par exemple, un pays comme l’Estonie a estimé qu’il s’agissait de la technologie de demain et qu’il lui fallait avoir une stratégie destinée à en devenir le premier acteur. Mais globalement, peu de pays ont une conception très claire sur le sujet.
Peut-on imaginer que les monnaies nationales s’éteignent au profit des cryptomonnaies ?
Ce qui est certain, déjà, c’est que Libra et les autres ont pour objectif d’élargir le choix pour les utilisateurs, de lui permettre de choisir la monnaie qui lui semble la plus fiable, la plus solide. Moi, en tant qu’économiste, je ne sais pas si cela remet en cause le Franc CFA par exemple, mais cela offre une alternative. Mais il est difficile de faire de la prospective à long-terme car cette technologie est encore immature tant d’un point de vue technique que pour ce qui est de sa place dans la société. Mais, si je dois me risquer, je peux imaginer qu’à long-terme on reste sur une co-existence entre les monnaies-fiat c’est à dire émises par les Etats, et les cryptomonnaies, qu’elles soient décentralisées comme le Bitcoin ou un peu plus centralisées comme Libra. Une disparition pure et simple des monnaies nationales me semble peu probable tant elles ont une dimension symbolique, stratégique et de souveraineté. Ou alors, les cryptomonnaies disparaissent ! Après la bulle de fin 2017, certains estimaient que c’était terminé. Mais le scénario le plus raisonnable reste une co-existence plus ou moins pacifique.
► Pour aller plus loin : en Afrique de l’ouest, le débat se porte aussi aujourd’hui sur la mise en place d’une monnaie unique.