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Avant-projet de la constitution de la 4eme république: Alea jecta est !

Sans entrer dans une dissection scientifique, nullement la prétention, laissons ici s’exprimer le ressenti après un premier survol : Le texte tente d’apporter des innovations, mais il semble être le résultat de nombreux compromis, et s’être enrichi de sources diverses mais pas nécessairement mis en cohérence.

 

Survolons simplement

Le Préambule, à le lire va au-delà du simple rappel de certains principes fondateurs et se dilue un peu trop. Les martyrs de mars 1991disparaissent au profit d’une forme de la généralité, ou le terme martyr est mis en facteur de différentes luttes commençant par la lutte anti-coloniale. La rédaction de la constitution actuelle paraît plus heureuse et pourrait être simplement enrichie au besoin, avec le strict nécessaire. Attention pour autant à ne pas ramener la question de la charte de Kuru kan fuga qui serait plus polémique que rassembleur.

Après, dans la définition des droits et devoirs on est surpris de découvrir un article consacré à la famille et au mariage, avec la précision que « le mariage  est l’union d’un homme et d’une femme », très certainement pour clore définitivement toute tentative de débat sur l’homosexualité. Tout le reste du titre I est une copie presque littérale de la constitution de 1992, sans changement majeure, sauf à noter le glissement entre le « tout citoyen « doit » » et « tout citoyen est « Tenu » de remplir ses devoirs » qui a pour conséquence de renforcer et rendre obligatoire l’exercice des devoirs civiques y compris le vote.

Cette analyse n’étant pas exhaustive, elle ne s’appesantira pas sur les définitions et développements qui peuvent être considérés comme étant de trop dans une constitution, et que l’on retrouve çà et là, à l’exception de l’article 31 qui suscite grand débat.

Pour autant cet article semble réussir une savante alchimie consistant à surligner l’importance des langues nationales, sans pour autant céder à l’appel de la rue qui voudrait les voir ériger en langues officielles. Dans une telle hypothèse, lesquelles retenir au détriment de quelles autres ? Ensuite pour quelle utilisation, par quelle administration et dans quel périmètre, étant rappelé que ces langues ne sont pas suffisamment transcriptibles, l’administration publique pas préparée, le public alphabétisé dans ces langues étant assez limités et le pouvoir économique du pays pour les imposer à l’international appelant à la prudente approche qui est celle des rédacteurs de l’avant-projet.

Par contre la dernière phrase dudit article 31, ne manque pas de laisser circonspect : « L’État peut adopter, par la loi, toute autre langue étrangère comme langue d’expression officielle » ! Étant une ex-colonie française, serait-ce la porte ouverte pour emboîter le pas au Rwanda qui a basculé du français vers l’anglais, ou le Gabon pour aller vers le Commonwealth ? Ou pourquoi pas le russe, ou l’arabe ? A ce niveau, il a besoin de précision ou de recadrage.

Amputé et assujetti

S’agissant du régime politique, l’agencement des pouvoirs, selon Montesquieu « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Or en profane l’impression qui se dégage à la première lecture du texte, est qu’on ne retrouve pas de fil conducteur. Les pouvoirs sont répartis dans une logique qui échappe à toute logique classique, qui voudrait qu’il y ait une interaction entre les trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

L’exécutif est réaménagé, avec un Président un tantinet renforcé, il nomme et révoque le Premier ministre, nomme les membres du gouvernement, définit la politique de la nation. Le gouvernement conduit ladite politique et est responsable devant le Président, plus devant le parlement.

Par la suite il est amputé et assujetti. Il ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale, cependant le Parlement, bicaméral, peut le destituer. La formule du serment qu’il prête a été réaménagée en conséquence « En cas de violation de ce serment, que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur de la loi ». Cette rigueur de la loi peut-être une source d’instabilité pour lui car selon les fluctuations au niveau du parlement, il pourrait se voir tancer, parfois comme un simple citoyen malgré ses prérogatives exorbitantes du droit commun.

Autre nouveauté à ce niveau, les conditions d’éligibilité du Président de la République. Désormais il faut avoir la nationalité malienne d’origine, et renoncer à toute autre ! Si le texte était adopté avec une telle disposition, cela constituerait un recul par rapport à l’esprit de la Conférence Nationale Souveraine de 1991, qui avait admis le principe de la double nationalité, traduit en texte en 1995. Cela résultait d’une forte demande de la diaspora malienne, qui représente au moins un tiers, voire plus, de la population malienne, qui contribue considérablement à l’essor économique du pays. Revendication somme toute légitime, et qui serait ainsi remisée au détour de l’adoption d’une nouvelle constitution. Pour rappel, toutes les réformes constitutionnelles, exceptée celle initiée par le Président Alpha Oumar Konaré, abondaient dans le sens d’introduire une telle disposition. Est-il utile de rappeler que dans un pays voisin, le remplacement de la conjonction « ou » par « et » (« né de père et (ou) de mère ») a suffi à plonger ledit pays dans dix années de guerre civile. Cette disposition qui n’apporte pas grand-chose, mériterait que l’on y réfléchisse par deux fois avant de l’adopter. Pourquoi ne pas à la limite poser la condition au Président une fois élu, qui avant d’entrer en fonction serait obligé de renoncer à sa seconde nationalité, s’il en avait ? L’appartenance à une nation ne s’apprécie pas uniquement sur papier, c’est dans le cœur.

Toujours au niveau de l’élection du Président, désormais il faudrait avoir 35 ans minimum et 75 ans au plus pour être candidat. A méditer !

Le texte a réaménagé le temps entre le constat de la vacance et l’organisation du scrutin en amenant le délai maximum de 40 à 90 jour, ce qui est fort utile,  et le temps entre deux tours lors des présidentielles, en fixant la date du second tour au troisième dimanche suivant la proclamation des résultats du premier tour par la Cour constitutionnelle. Dans la formule actuelle le second tout est organisé  deux semaines après le premier tour, et il arrive que la proclamation intervienne moins de trois jours avant le second tour privant les deux candidats admis à poursuivre, de possibilité de campagne. C’est un aménagement positif, dans le nouvel aménagement, le Premier ministre apparaît comme un simple commis du Président à qui, il rend compte et à personne d’autre. Ses fonctions classiques sont rappelées, mais ses pouvoirs réduits.

Le prix à payer ?

Le pouvoir législatif est désormais incarné en un Parlement bicaméral, composé de l’Assemblée nationale et le Haut conseil de la Nation équivalent du sénat classique en droit constitutionnel français ou américain. Il y a sur cette dernière appellation une volonté de singularisation qui aurait été achevée avec l’adoption d’une terminologie nationale s’inspirant des cultures et pratiques maliennes, Bulon ou Toguna ou autre appellation comme on retrouve la Duma ailleurs. Le texte transcende le débat de la pertinence ou non de l’institution d’une seconde chambre, qui va très certainement complexifier le travail législatif déjà mal compris par la majeure partie des acteurs, qui y participent de façon passive comme en témoigne le nombre très limité jusque-là de propositions de lois. A ce propos une incongruité fait dire au projet que le parlement et le Président de la République ont l’initiative des lois, ce qui vide davantage et le Premier ministre et le gouvernement de leur substance.

Une question doit tout de même venir à l’esprit, à savoir si l’institution de cette seconde chambre est le prix à payer en valorisant les légitimités traditionnelles pour asseoir les bases de construction, de consolidation d’une paix et la cohésion sociale durables, pourquoi ne pas l’envisager ? Dans ce cas, il faudrait réfléchir à professionnaliser alors l’Assemblée en exigeant au nombre des critères d’éligibilité un niveau d’éducation minimum, à savoir le bac, critère qui ne serait pas applicable au niveau du sénat ou Haut Conseil de la Nation.

Avec la nouvelle constitution les députés sont élus au suffrage universel, soit au scrutin majoritaire, soit à la proportionnelle, soit à la suite d’un scrutin mixte. Les constituants ont entendu contourner le verrou de la Cour constitutionnelle qui estimait dans un arrêt que le mixte par endroit induisait une inégalité entre citoyens. Mais à y regarder de près cette nouvelle rédaction n’est pas heureuse et rend perplexe.

Un des rédacteurs, affirme urbi orbi, que la nouvelle constitution crée un régime présidentiel, sans pour autant réellement convaincre. Il n’y a pas de mode de scrutin précis au parlement, donc rien qui permet d’anticiper sur une configuration et un régime politique précis. Si prééminence il y a, ce serait plutôt du côté du parlement lequel a le pouvoir de destituer le Président, pas l’inverse, mieux le Président est tenu de présenter devant lui annuellement un discours sur l’état de la nation. Le Parlement n’a-t-il pas le dessus ?

Cet aménagement devrait être amélioré et mieux mis en cohérence pour avoir une architecture qui réponde à un schéma déjà éprouvé. Autrement nous allons dans une innovation qui serait malienne certes, mais porteuses de périls pour notre jeune démocratie déjà fortement secouée.

On note au passage la disparition du Haut conseil des Collectivités, le rajout du mot environnement au Conseil Économique, Social et Culturel. Dans les notes d’analyses, la disparition de ce dernier organe a souvent été suggérée, car son apport peu perceptible. Les rapports produits ne sont pas contraignants pour les pouvoirs publics qui ne les utilisent pas, sinon que très peu. Soit on renforce l’institution donnant une destination précise à ses rapports, soit on statue effectivement sur la pertinence de son maintien.

S’agissant de la Cour Constitutionnelle, elle conserve pratiquement toutes ses prérogatives actuelles. Or de nombreuses réformes sont attendues à ce niveau. Les seuls changements notables interviennent au niveau de la désignation, qui est faite à la fois par le Président de la République, celui de l’Assemblée nationale, du Haut Conseil de la Nation, par le Conseil Supérieur de la magistrature, le Collège des recteurs et par l’Ordre des Avocats.

Ces deux derniers interrogent. Comment la constitution peut octroyer à un groupe d’universitaire et à un ordre professionnel cette prérogative, tous les autres organes de désignation étant des institutions. La logique serait que les institutions désignent, mais parmi un public cible déterminé, tel que le dernier alinéa de l’article 148 le précise « Les conseillers sont choisis à titre principal parmi les professeurs de droit public, les avocats et les magistrats ayant au moins vingt ans d’expérience, ainsi que les personnalités qualifiées qui ont honoré́ le service de la Nation ».

Enrichir l’existant ?

Il pourrait être rappelé dans la loi organique que la désignation par le Président ou les autres institutions se fasse au sein de certains corps dont les magistrats, avocats, notaires, huissiers etc. et universitaires. Mais qu’adviendrait-il, par exemple, si l’Ordre des avocats décidait de changer d’appellation et devenir le Barreau du Mali ? Le changement ne serait pas possible car l’appellation serait consacrée par la constitution celui qui lui conférerait de facto un caractère immuable. Il ne faut pas qu’il y ait une confusion entre les Autorités de désignation et les cibles de désignation qui ne sont pas Autorité.

Avancées des plus notables introduites projet, à l’article 139, l’exception d’inconstitutionnalité. Elle permet à un justiciable de contester devant la juridiction ordinaire qu’une disposition législative, qu’il estime porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, soit appliquée à son cas. La Cour constitutionnelle peut être alors saisie de cette question sur renvoi de la Cour suprême.

La nouvelle constitution crée la Cour des comptes, une exigence communautaire pour laquelle le Mali est en retard. Cette introduction est donc salutaire.

Le Conseil supérieur de la magistrature également opère sa mue. Désormais il peut-être saisit par tout justiciable. Sa composition est paritaire, moitié magistrat, moitié par des personnalités choisies pour ce faire.

Pour les questions touchant la carrière des magistrats celles concernant l’indépendance de la magistrature, il pourrait se concevoir que d’autres personnes que des magistrats siègent. En revanche pour les questions disciplinaires, s’agissant d’une juridiction de pairs, il est assez peu usuel d’avoir l’intervention de tiers. Difficile d’imaginer le conseil de discipline de l’Ordre des médecins où siégeraient des avocats ou vice-versa. Il ne faut pas oublier qu’au-delà de l’aspect disciplinaire, les membres de toutes ces professions sont passibles de poursuites judiciaires. Ne vaudrait-il pas mieux renforcer l’inspection des services judiciaires, quitte à lui donner un statut d’autorité administrative indépendante, avec des apports autres que magistrats, pour veiller au quotidien à corriger les comportements déviant le cas échéant ?

Difficile de faire un survol complet, au détour d’un article de presse, mais il reste évident que si le projet ose certaines avancées, il n’en demeure pas moins vrai qu’il pose des problèmes qui méritent qu’on les adressent avant adoption, sinon la porte est grande ouverte pour l’aventure.

A ce propos on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre la Constitution  de 1992 encore en vigueur que l’on a suffisamment éprouvé et cet avant-projet, et de conclure que l’actuelle semble mieux structurée. Pourquoi ne pas procéder à un enrichissement de l’existant, en gardant l’ossature et en introduisant çà et là les réformes qui nous paraissent indispensables eu égards aux conditions de l’heure. A l’arrivée, si cela peut contenter, la IVe République sera actée, ce n’est pas ce qui dérangerait le plus.

En tout état de cause, il est important que dans la dynamique de réformes en cours, l’avant-projet soit considéré comme un premier jet, d’un vaste chantier qui doit mobiliser au-delà de ceux qui ont eu la chance d’être écoutés, l’ensemble des composantes de cette nation, l’exercice ne devant pas se résumer à un « oui » ou « non » lors d’un référendum. Les critiques ne doivent pas être perçues comme contre-productives, ou antipatriotiques d’où qu’elles viennent, au contraire comme des enrichissements pour notre jeune démocratie et des marques d’intérêt de la part de ceux qui contribuent. C’est à ce prix que nous réussirons à remettre notre pays, qui vacille sur les rails, en route pour un avenir radieux. Bravo aux rédacteurs et vivement les fora sur leur avant-projet.

Mamadou G. Diarra

Avocat

Président de Mali Prospective 2050

Cercle de réflexion et d’action

NB : Les intertitres sont de la rédaction

SourceMali Tribune

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