La théorie économique de référence en soutien à la création d’une zone monétaire optimale est celle développée en 1961 par l’économiste canadien Robert Mundell. Selon ce dernier, une zone monétaire est optimale si elle apporte aux pays participants plus de gains que de pertes.
Ces gains qui sont d’ordre microéconomique (la suppression des coûts de transaction induits par le change de monnaie pour les activités sur les biens et services et sur les capitaux) et d’ordre macroéconomique (la mise en place entre pays d’une politique monétaire commune).
Pendant que les pertes sont consécutives à l’existence du trilemme de Mundell stipulant qu’une fois que la zone monétaire est actée, il est quasiment impossible de réconcilier de manière simultanée stabilité du taux de change, libre circulation des capitaux et autonomie de la politique monétaire. Les régimes de politiques monétaires sont passés de 1950 à nos jours (mars 2024) par quatre principales évolutions. Du régime discrétionnaire keynésien (1950-1975) au régime de la confiance des nouveaux keynésiens à partir des années 1990 en passant successivement par le régime de la règle des monétaristes (1975-1982) et le régime de la crédibilité des nouveaux classiques (1982-1990).
Dans le domaine des politiques de change, les faits permettent de dégager trois (3) principales politiques de changes. Les politiques d’ancrage ferme du taux de change sur une devise. Les régimes d’ancrage souple. Ces types de régimes permettent de faire flotter le taux change de la monnaie nationale en fonction de certaines limites. Et ces limites qu’une banque centrale peut choisir, peuvent être une cible fixe, une cible qui évolue, une bande de fluctuation (avec valeurs plafond et plancher). Enfin, le flottement du taux de change clos la liste des régimes de change. Avec un tel régime de change, la banque centrale est censée ne jamais intervenir sur le marché de change pour stabiliser le taux de change.
L’ultime question de la liste des vraies questions est relative aux déterminants du taux de change. La théorie économique soutient (même si le consensus n’est pas absolu) que le taux de change pour un pays donné dépend de l’offre et de la demande des biens et services (à long terme), de l’offre et de la demande des capitaux (donc du taux d’intérêt) à court terme et des anticipations des agents économiques (leur degré de confiance) relativement à l’évolution de l’économie (à très court terme). Car les anticipations peuvent être orientées vers les rendements futurs des actions et des obligations.
AES et sa nouvelle monnaie
Les pays membres de l’AES pour créer leur monnaie commune vont quitter une zone monétaire (la Zone franc) pour en créer une nouvelle. Sur ce plan, il est logique de penser que si ce n’est que le nombre de pays qui diminue, rien ne change. Cette nouvelle démarche des pays de l’AES doit être vue à l’aune de la théorie de la zone monétaire optimale de R. Mundell.
En créant une zone monétaire plus restreinte qu’avant leur départ, il est clair que les pays de l’AES n’amélioreront pas les avantages microéconomiques (suppression des coûts de transaction) vis-à-vis des autres pays de l’Uémoa. Bien au contraire, ils détérioreront ce volet les liant aux cinq (5) autres pays de l’Uémoa.
En 2022, les pays de l’AES ont présenté une balance commerciale déficitaire de plus de 650 milliards de F CFA vis-à-vis de la zone Uémoa. Pendant que le commerce de biens et services inter pays de l’AES n’atteignaient pas les 12 % du montant total à la même date.
La lueur d’espoir que pourrait induire la nouvelle zone monétaire de l’AES (si elle devrait exister) peut venir sûrement des avantages macroéconomiques à travers la mise en place d’une politique monétaire commune. Dans la mesure où les trois pays sont sensiblement équivalents sur le plan des structures de production économiques, la mise en œuvre d’une politique monétaire peut être salutaire sur le plan macroéconomique.
Une dernière question demeure. Est-ce que les avantages macroéconomiques pourront gommer les pertes microéconomiques présentées ? La réponse à cette question dépasse largement le cadre du présent article de presse.
En optant pour une nouvelle monnaie, les pays membres de l’AES doivent aussi résoudre l’épineuse question du régime de politique monétaire. La banque centrale de la zone Uémoa (la Bcéao) applique le régime de la confiance des nouveaux keynésiens (à travers une politique de ciblage d’inflation évoluant entre 1 et 3 % à court terme).Tout en sachant que ce type de régime de politique monétaire repose sur une indépendance totale de la banque centrale vis-à-vis des décideurs politiques ; les pays de l’AES vont-ils opter pour un tel régime ? Dans l’éventualité de l’affirmative, quelle cible d’inflation doivent-ils choisir ? Ou, vont-ils choisir une formule hybride d’organisation de la banque centrale ? Je pense que fixer des objectifs de plein emploi et de lutte contre l’inflation avec une cible fixée à 10 % semblent opportuns dans le cas des pays de l’AES.
Sur le plan du taux de change, les pays de l’AES en quittant l’Uémoa abandonnent une zone monétaire qui pratique une politique d’ancrage ferme du taux de change sur une devise (l’euro). Tout en étant en phase avec le régime de politique monétaire que j’ai déjà présentée et en gardant en tête les bases du trilemme de Mundell, les pays de l’AES doivent opter au moins pour une bande de fluctuation (avec des taux plafond et plancher) de leur taux de change. Les pays membres de l’AES réalisent actuellement (en considérant les données de 2022) les déficits commerciaux les plus importants avec l’Asie (avec plus de 2300 milliards de F CFA) pendant qu’ils réalisaient avec l’Europe à la même date un excédent commercial estimé à un peu plus de 500 milliards de F CFA.
En prenant en compte ces données, et en admettant que le taux de change dépend principalement à long terme (comme la théorie économique le prévoit) des exportations et des importations, il serait possible de soutenir que les pays de l’AES en adoptant une bande de fluctuation comme régime de change, la valeur plancher de cette bande (au certain) devrait être fixée à 0,12 (une unité monétaire de la zone AES serait cédée contre 0,12 unité de Renminbi – la Chine étant le premier partenaire économique de l’AES parmi les pays asiatiques -. Le taux de change plafond (au certain) serait de 1,3 (une unité monétaire de la zone AES serait cédée contre 1,3 euro).
Je note qu’un éventuel retrait des pays de l’AES de l’Uémoa engendre des pertes au niveau microéconomique – instauration des coûts de transaction entre les pays de l’AES et les cinq (5) pays restants de l’Uémoa – au plan macroéconomique ce retrait pourrait leur être salutaire. Le qualificatif de zone monétaire optimale ne sera décerné à la nouvelle zone monétaire de l’AES que quand celle-ci parviendrait à générer plus de gains que de pertes pour les citoyens de ce nouvel ensemble.
L’obtention d’un tel résultat dépendra forcément de l’alchimie que ces pays membres réussiront à mettre en place en calibrant correctement les instruments suivants : régimes de politique monétaire, politiques de change ; le niveau de taux de change et le degré d’indépendance de la nouvelle banque centrale. Tout en lui assignant des objectifs clairs orientés davantage vers l’atteinte du plein emploi.
Madou Cissé (Fseg)