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«Aujourd’hui, le Tibet ressemble à une zone de guerre»

Une marche européenne pour le Tibet est organisée ce samedi 14 mars à Paris. Les supporters de la cause tibétaine se sont donné rendez-vous à 10h30 sur le parvis du Trocadéro près de la Tour Eiffel pour « défendre les libertés au Tibet ». Entretien avec le Premier ministre tibétain en exil, Lobsang Sangay, qui participe à la marche.

Lobsang Sangay ancien ministre gouvernement tibétain

RFI : Vous participez à la marche européenne pour le Tibet ce samedi. Quel message êtes-vous venu porter en France ?

Lobsang Sangay : Je suis venu ici pour participer à cette manifestation européenne pour le Tibet et pour défendre la liberté du peuple tibétain. C’est à Paris que le mot liberté a pris tout son sens avec la Révolution française. Il y aura d’ailleurs une déclaration de Paris suite à la marche. On rappelle à cette occasion que le Tibet est occupé depuis 56 ans. On célèbre les 80 ans de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Enfin, nous sommes à Paris pour appeler les Français et les peuples de l’Union européenne à se lever pour les droits de l’homme, la démocratie et la liberté.

Cette manifestation doit rassembler toutes les personnes « sensibles » à la question tibétaine, dit le communiqué de presse. Vous semblez pourtant très seuls. Etes-vous soutenus par les dirigeants européens et notamment français ?

J’ai rencontré des parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale. J’ai aussi des rendez-vous avec des maires et des groupes de soutiens, ici, à Paris. Nos amis en France sont aussi connus pour porter les couleurs du Tibet dans des centaines de villes en France. Ce sont des soutiens très actifs. C’était la même chose d’ailleurs quand je me suis rendu à Bruxelles. J’ai rencontré des parlementaires y compris au sein de la commission européenne, simplement certains tenaient à être discrets, donc je ne peux pas mentionner leurs noms. Je dirais de manière générale que beaucoup de dirigeants européens se sentent concernés par la cause tibétaine, mais peu osent l’affirmer en public.

Voilà une réponse politiquement très correcte, mais en réalité à chaque fois que le Dalaï Lama se déplace en Europe, il est accueilli avec beaucoup de frilosité.

C’est vrai, mais il faut dire aussi que nous n’approchons pas directement les leaders compte tenu du caractère sensible de notre cause et de la pression des autorités chinoises sur ces mêmes leaders. Le pouvoir et l’influence chinoise demeurent très forts. C’est pour cela que parfois la terre des libertés n’est pas forcément synonyme d’un engagement pour les libertés.

C’est l’anniversaire du Dalaï Lama, 80 ans cette année. Comment va-t-il ?

Je le vois régulièrement effectivement. J’étais encore avec lui il y a trois jours. Il est en très bonne santé, c’est un homme robuste. C’est aussi un Prix Nobel de la paix, un messager de la paix. Quelqu’un qui privilégie l’harmonie entre les religions. Il a une vision rassembleuse, très tolérante du bouddhisme. Nous avons de la chance d’avoir un leader aussi populaire en raison de ses idées.

Le Dalaï Lama est en pleine forme. Se pose néanmoins la question de sa succession. Vous êtes arrivé dans les studios de RFI non pas en lévitant, mais en ascenseur comme tout le monde, et vous vous définissez vous-même comme un acteur politique. Quel rôle entendez-vous jouer dans cette succession ?

C’est le Dalaï Lama qui lui-même a voulu séparer ce qui appartient au domaine spirituel de ce qui appartient au domaine de l’Etat. Donc il est notre leader spirituel et moi je suis son successeur politique. Mais nous aurons de toute façon un successeur spirituel au Dalaï Lama.

Le Dalaï Lama a pourtant affirmé qu’il ne souhaitait pas forcement avoir de successeur. Pékin via l’éditorial du quotidien Global Times parle d’une « double trahison » à la fois sur le plan religieux et politique. Que répondez-vous à ces accusations ?

D’abord qu’elles ne sont pas nouvelles. Régulièrement le Parti communiste chinois (PCC) accuse le Dalaï Lama de trahir sa religion, ce qui est cocasse de la part d’un parti qui considère que la religion est un poison. Ce que dit Sa Sainteté n’est pas nouveau non plus. Comme le Dalaï Lama l’a répété au cours de plusieurs interviews, il se peut qu’il soit le dernier Dalaï Lama. C’est un message qu’il répète depuis les années 60. C’est d’abord un moine, et un moine fait le vœu de renoncer à ce monde, donc il ne souhaite pas s’y réincarner.

Cela dit, il ajoute toujours une phrase. Il explique que c’est au peuple tibétain de décider. Et on constate qu’à chaque fois qu’un Dalaï Lama disparaît, le peuple souhaite qu’il revienne. Je peux donc aujourd’hui affirmer de façon catégorique, au nom de peuple tibétain, qu’un 15e Dalaï Lama reviendra. C’est une certitude, mais sa réincarnation se fera de la manière suivante. La réincarnation doit permettre de poursuivre la mission du Dalaï Lama précédent. Autrement dit, si le Dalaï Lama meurt en exil, le suivant sera réincarné en exil pour prolonger l’action du prédécesseur.

Le gouvernement chinois dit avoir l’autorité pour sélectionner le prochain Dalaï Lama, mais ce n’est pas lui qui peut décider. C’est d’abord une question spirituelle. Le parti communiste qualifie le Dalaï Lama de diable, alors pourquoi vouloir la réincarnation d’un diable ? Ça n’a pas de sens. Le peuple tibétain aura donc un nouveau Dalaï Lama qui naitra là où son prédécesseur a quitté ce monde.

Pour bien comprendre, le prochain Dalaï Lama devra naître à Dharamsala, en Inde, et non en territoire chinois ?

Si nous trouvons une solution à la question tibétaine, si le Dalaï Lama peut rentrer au Tibet, alors son successeur naitra sur les plateaux tibétains. Si en revanche l’actuel Dalaï Lama devait mourir à Dharamsala en exil, alors son successeur reviendrait en exil. Sa Sainteté le Dalaï Lama a toujours voulu visiter notamment le mont Wutai, une montagne sacrée pour les bouddhistes située dans la province du Shanxi. Donc, quand il a pu visiter la Chine en 1954, il a souhaité se rendre sur le mont Wutai. Cela lui a été refusé. Pour l’instant, il n’y a aucune espèce d’invitation formelle ou informelle qui serait envoyée par la Chine. Le Dalaï Lama souhaite se rendre au Tibet, mais il ne peut pas.

Vous avez récemment comparé, dans une interview à l’Agence France-Presse (AFP), la Chine à la Corée du Nord. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Au Tibet aujourd’hui, toute la population reçoit une carte d’identité avec une puce de dernière génération avec toutes les données biométriques imaginables. Où que vous alliez, vous devez présenter vos papiers, donc tout le monde est suivit. A cela s’ajoutent les caméras de surveillance qui sont partout, elles aussi. Ce maillage très serré rappelle celui de la Corée du Nord, de l’Allemagne de l’Est, des pays où vous êtes constamment observés électroniquement et physiquement. Les Tibétains eux-mêmes le disent, il y a une chanson au Tibet qui dit : ‘Nos cartes d’identité c’est comme notre ombre, on ne peut pas bouger sans elle’. Même les touristes chinois l’affirment : aujourd’hui le Tibet ressemble à une zone de guerre. Quand vous voyez des snipers sur les toits, des baraques de l’armée près des principaux monastères et des temples et des policiers en civils qui vous suivent partout… la peur est ressentie par les touristes chinois, vous pouvez donc imaginer ce que ressent la population tibétaine.

Quelle est votre vision de l’avenir pour le Tibet, sachant les pressions exercées par Pékin et le peu de soutien que vous recevez à l’étranger ?

Ce qui frappe dans un premier temps, c’est la répression accrue, les souffrances. L’exploitation des ressources, qui font penser à la situation traversée par de nombreux pays en Afrique. Quand la Chine a envahi le Tibet, elle nous a promis de l’argent, elle nous a promis le développement. Les Chinois ont construit des routes, mais plus tard nous avons vu que ces routes étaient empruntées par des tanks de l’armée pour exploiter nos ressources naturelles au profit de la Chine. Nous ne sommes pas les premiers bénéficiaires de cette situation, la Chine est la première bénéficiaire et cela au nom du développement comme il a été dit autrefois aux pays d’Afrique. J’ai pas mal d’amis africains, et à chaque fois ils me demandent : qu’est-ce que tu penses de la Chine ? Et que penses-tu des investissements chinois en Afrique ? Moi je leur dis toujours de rester prudents. Donc à court terme, on voit bien que la répression se poursuit, mais à long terme, je suis sûr à 100 % que la justice triomphera, que la liberté triomphera au Tibet.

Arrêtons-nous un instant sur la résistance tibétaine. Etes-vous soutenu par l’Inde ?

C’est ce que répètent les autorités chinoises qui veulent ranimer un esprit de guerre froide. Ce qui est vrai, c’est qu’une majorité des Tibétains vivent en Inde, l’administration tibétaine en exil est basée en Inde, donc dans ce sens New Delhi et le peuple indien ont beaucoup soutenu les Tibétains. Il est vrai aussi que dans les années 50, certains Tibétains ont pu être entraînés et parachutés par la CIA. C’est une époque qui coïncide avec la guerre de Corée et cette coopération s’est terminée au début des années 70. Aujourd’hui la résistance tibétaine intérieure comme à l’extérieure est supportée par les Tibétains eux-mêmes.

Vous venez vous-même d’une famille de résistants qui ont participé à ces actions armées.

Mon père était l’un des leaders de la guérilla dans les années 50 et les années 60. Et mon oncle a aussi été entraîné puis parachuté sur le Tibet par la CIA et il n’est jamais revenu. Donc c’était l’esprit de la résistance de l’époque, ils voulaient se battre contre l’envahisseur chinois. Mon père était en charge du ravitaillement en nourriture et en munition, il a été blessé puis évacué en Inde où il est resté jusqu’à sa mort en 2004.

Vous évoquez ces actes de résistance, et aujourd’hui vous prônez une action uniquement politique.

Au moment de l’invasion du Tibet, c’était extrêmement brutal et les gens devaient se défendre. Ils ont fait du mieux qu’ils ont pu, même s’ils étaient largement surpassés en nombre par l’Armée populaire de libération (APL). Il s’en est suivi la défaite et l’occupation. Et objectivement aujourd’hui, compte tenu de la réalité du monde géopolitique et de la population tibétaine qui avoisine les 6 millions de personnes, nous avons choisi l’option de la non-violence et tentons de trouver une solution gagnant-gagnant avec le gouvernement chinois.

Vous venez du mouvement de la jeunesse tibétaine. Que disent les jeunes Tibétains justement ? Certains rejettent le discours de non-violence du Dalaï Lama.

La jeune génération est parfois frustrée par la «  voie du milieu » suggérée par le Dalaï Lama qui est de parvenir à une authentique autonomie régionale au sein de la Chine pour les Tibétains. En même temps, une grande majorité des Tibétains aspirent à la non-violence. Il y a toujours des jeunes qui auront un autre discours sur les réseaux sociaux, mais encore une fois la majorité des Tibétains, y compris les organisations de la jeunesse tibétaine, défendent cette approche.

Nous aimerions d’ailleurs pouvoir servir de modèle à de nombreux groupes marginalisés dans le monde. Dans cette ère marquée par le retour des extrémismes, je pense notamment à « Je suis Charlie » à Paris, la violence domine les actualités. Et je pense que c’est un mauvais message qu’on envoie aux populations marginalisées, si nous parlions d’avantage du mouvement tibétain, la non-violence pourrait devenir un modèle à suivre.

Vous n’avez jamais mis les pieds au Tibet, le Dalaï Lama est lui-même persona non grata au Tibet depuis 60 ans, et pourtant quiconque se rend dans ces régions tibétaines  peut constater que la ferveur pour le leader spirituel en exil n’a pas disparu. Comment l’expliquer ?

Je n’ai jamais été au Tibet, parce que les autorités chinoises me l’interdisent. C’est la même chose pour Sa Sainteté le Dalaï Lama, ce qui crée de la frustration d’ailleurs. Tous les Tibétains veulent le voir, même pour une ou deux secondes. Le rencontrer est la chose la plus importante pour des millions de Tibétains. Le gouvernement chinois continue de s’y opposer, ce qui explique la fidélité de la population. La foi est une question d’art et d’esprit. Le pouvoir chinois peut employer la force ou l’argent qu’il veut, cela ne changera rien. Il peut diffuser la propagande qu’il veut, le Dalaï Lama restera la figure vénérée du peuple tibétain. La foi est beaucoup plus forte que la politique.

Vous avez un physique d’acteur, vous avez mené vos études à l’université de Harvard, et au final vous avez épousé une cause perdue ou en tout cas une cause très difficile. Pourquoi ce choix ?

Actuellement, personne encore ne m’a proposé de jouer dans un film (rire). Je suis effectivement diplômé du titre de docteur de la faculté de droit de Harvard, mais je suis avant tout un Tibétain. Vous pouvez avoir un nom, des diplômes, vous pouvez être célèbre, avoir de l’argent, tout cela ne donne pas un sens à votre vie. On a l’habitude de dire que même les chiens, les chats vivent leur vie. Vous naissez et vous mourez, c’est-ce qu’on dit quand on est bouddhiste. Donc ce qui compte, c’est ce que vous faites entre ces deux états. Je pourrais donc effectivement avoir une meilleure carrière peut-être, mais rien ne vaut un engagement volontaire pour une cause juste, et la défense des droits humains de 6 millions de Tibétains. Le peu de contribution que je peux offrir à la lutte de mon peuple me permettra de quitter ce monde de manière la plus sereine possible.

source : rfi

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