Dans quelle mesure les fonds illicites sapent-ils la gouvernance démocratique, l’état de droit et la sécurité dans les pays africains ? Quelles sont les sources de fonds illicites et quels sont les mécanismes par lesquels ils sont utilisés pour influencer la gouvernance démocratique et l’état de droit dans les pays africains ? Quels sont les moyens efficaces pour freiner l’influence de fonds illicites sur la gouvernance démocratique et l’état de droit dans les pays africains ? voici quelques questions auxquelles la Conférence internationale de dialogue politique «Argent, sécurité et gouvernance démocratique en Afrique», ouverte, jeudi, au Radisson Blue, essaie de répondre et de proposer des pistes de solution durable.
L’ouverture de ces assises de deux jours, qui ont pris fin vendredi, était présidée par le Haut représentant de l’Union africaine au Mali et dans le Sahel, Pierre Buyoya. C’était en présence de l’ancien Premier ministre, Moussa Mara.
Cette conférence s’inscrit dans le cadre du projet : argent, sécurité et gouvernance démocratique en Afrique, lancé par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) et le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS). Ce projet entend générer des connaissances pouvant contribuer à la formulation et la mise en œuvre de politique sur les interactions entre argent, sécurité et gouvernance démocratique en Afrique. Il ambitionne aussi de renforcer les liens entre chercheurs et praticiens et façonner la politique publique.
Car, selon les organisateurs, le lien entre argent, sécurité et gouvernance est indéniable. Pour la simple raison que les problèmes de gouvernance alimentent, selon eux, l’insécurité qui compromet les efforts de promotion de la bonne gouvernance dans de nombreux pays. Pour eux, les flux financiers illicites subvertissent la bonne gouvernance.
Ainsi, durant deux jours, chercheurs, décideurs politiques, acteurs de la société civile africaine, produiront, à la lumière des communications, trois documents de politiques qui seront publiés par le CODESRIA et l’UNOWAS. Il sera également produit un numéro spécial de la revue du CODESRIA, «Afrique et développement» que pourront exploiter les décideurs, qui, généralement, n’ont pas accès aux résultats des travaux des chercheurs.
Intervenant à l’ouverture des débats, Pierre Buyoya, connu pour son franc parler, n’est pas allé par quatre chemins pour établir le lien entre argent, sécurité et gouvernance. Selon lui, la question de l’argent, qui est à la base de la déstabilisation de la plupart de nos Etats, est souvent considérée comme un tabou.
Il a cité, à titre d’exemple, les négociations d’Alger au cours desquelles les aspects en lien avec les trafics illicites, qui sont au cœur des problèmes dans le Nord du Mali, ont été écartés. Or, les seigneurs de guerre, les administratifs ferment, selon le diplomate, les yeux sur ces sources de financement illicite, en laissant passer les convois contre intéressements, a-t-il dit, révélant que les armées irrégulières sont financées par des barons des trafics illicites et des multinationales.
La mauvaise gouvernance, qui est une autre source de financement et d’enrichissement illicite, est aussi à l’origine des maux de l’Afrique. «Nous vendons nos pétroles, minerais et autres richesses à vil prix», a-t-il pesté. Et, au même moment, le continent, à cause de ces pratiques de mauvaise gestion et de détournement de fonds publics, recourt aux moyens d’autres puissances pour assurer sa sécurité, a relevé M. Buyoya.
La directrice exécutive de Sunu capital humain, Woré Ndiaye, abondera dans le même sens. Selon cette représentante de la société civile sénégalaise, la volonté politique existe, mais elle ne suffit pas. «Elle a besoin d’être renforcée avec les contributions de chercheurs, d’acteurs politiques et de la société civile», a-t-elle souligné. Car, cet argent illicite dont on parle est, selon elle, sujet de beaucoup de transaction à travers la drogue, la cigarette, le trafic humain, le blanchiment d’argent. «Ces flux de capitaux nourrissent des conflits à travers l’Afrique, amènent l’insécurité, si bien que la gouvernance devient difficile en Afrique», a confirmé Woré Ndiaye.
A titre d’exemple, l’argent illicite est utilisé, de l’avis des chercheurs, pour financer les campagnes électorales, acheter les votes, financer des groupes d’autodéfense (armés). Il sert aussi, selon des experts présents, à influencer les votes dans les parlements et les décisions de justice. Toute chose qui, selon eux, créent des frustrations qui sont aussi à l’origine de plusieurs conflits et autres révoltes sociales.
C’est pourquoi, il est nécessaire d’intégrer la société civile et établir un lien entre les forces de sécurité, selon la directrice exécutive de Sunu capital humain. Pour Woré Ndiaye, il urge pour nos Etats de voir la hausse les budgets alloués à la défense et la sécurité. «La majeure partie de nos pays africains investit moins de 2 % de leur PIB dans la sécurité», a-t-elle déploré.
Auparavant, le recteur de l’Université des lettres et des sciences humaines, Macki Samaké, avait souhaité la bienvenue aux participants. Il a ensuite invité les uns et les autres à un retour à nos valeurs culturelles cardinales qui sont, selon lui, fondées sur la loyauté, la droiture, le respect de la chose publique.
Cheick M. TRAORé
Source: Essor