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Après le coup d’Etat au Mali : Traiter les 5 péchés capitaux

Refonder la démocratie malienne, repenser la gouvernance militaire, définir une réelle politique économique, l’emploi des jeunes comme source de préoccupation majeure et reconstituer une diplomatie crédible et une administration pertinente. Ce sont là les 5 grands chantiers que propose Boubacar Salif Traoré, Directeur du cabinet Afriglob Conseil et spécialiste du développement et de la sécurité dans le Sahel, pour remettre le Mali sur la rampe de développement à la faveur du coup de force ayant poussé Ibrahim Boubacar Keita à la démission. Lisez l’intégralité de son texte !

 

J’introduirai ma réflexion par ces propos du Général De Gaulle, prononcés le 04 septembre 1958, « La nation (française) refleurira ou périra suivant que l’État aura ou n’aura pas assez de force, de constance et de prestige pour la conduire là où elle doit aller ».

En 1991, le coup d’État du Lt-Colonel Amadou Toumani Touré, contre le Général Moussa Traoré, avait ouvert la voie à la démocratisation du Mali. Cela a permis au pays de rayonner sur la scène internationale pendant dix ans, avec le Président Alpha Oumar Konaré, qui fut démocratiquement élu à la suite d’une transition réussie.

Puis en 2002, ce fut l’alternance, avec le retour au pouvoir d’Amadou Toumani Touré (ATT), devenu Général et qui s’est mis à la retraite afin d’être candidat. L’alternance propulsa le Mali au rang des pays exemplaires en Afrique en termes de processus démocratique. La générosité internationale a été sans limite. Mais pendant ce temps, le pays s’enfonçait peu à peu dans la grande corruption et dans une gestion financière de la crise dans le nord du pays, au lieu de la régler de manière pragmatique à travers des réformes politiques et le renforcement des capacités militaires.

Ainsi, entre 2007 et 2010, ce sont près de 100 généraux qui furent nommés en ne tenant compte d’aucune logique. Ce fut également la période au cours de laquelle les groupes terroristes ont commencé à étendre leurs réseaux dans le nord du Mali. Les ingrédients d’une décomposition certaine se sont peu à peu mis en place. L’effondrement du régime libyen en 2011 et l’accès aux millions d’armes abandonnés par les autorités libyennes ont permis aux différents groupes armés de se renforcer et de s’attaquer au Mali, qui depuis 2010 est considéré par ses voisins comme étant le « maillon faible » de la zone sahélienne.

C’est dans ces conditions que le Mali a connu son troisième coup d’État, après celui du Lieutenant Moussa Traoré contre le Président Modibo Keïta et après celui d’ATT contre Moussa Traoré. Ce fut un coup d’État chaotique, mené par des sous-officiers en majorité, la junte fut dirigée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo. La gestion de la transition fut assurée par le Pr Dioncounda Traoré, après moult tractations entre la CEDEAO et la Junte de l’époque. Il était le président de l’Assemblée nationale au moment du putsch. La transition fut tumultueuse, les trois régions du pays (Gao, Tombouctou et Kidal) soit 75% du territoire étaient occupés par les groupes terroristes. Face à l’avancée des terroristes vers la capitale Bamako, le Président Dioncounda Traoré, sollicita une intervention militaire auprès de la France, qui l’accepta immédiatement. L’opération Serval fut mise sur pied et elle fut suivie par l’opération Barkhane. En parallèle, plusieurs dispositifs furent montés, notamment la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali) et l’EUTM (Européan Union Training Mission). La transition a officiellement pris fin le 04 septembre 2013, avec l’investiture du Président élu Ibrahim Boubacar Keïta.

La mobilisation internationale s’amplifia avec la volonté ferme de permettre au Mali de relancer sa démocratie. Le lancement du G5 Sahel en 2014, avait pour objectif de consolider la stratégie de lutte contre les groupes armée. Ce sont désormais plus de 20000 alliés étrangers qui sont engagés dans le processus de stabilisation au Mali. Des montants colossaux furent annoncés par les autorités locales dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation militaire. Environ 2 milliards d’euros pour celle-ci et près de 800 millions d’euros pour la loi d’orientation et de programmation sécuritaire. Malgré tous ces dispositifs, l’insécurité n’a pas cessé de progresser, l’enlèvement du chef de l’opposition M. Soumaïla Cissé, lors de la campagne pour les législatives de juillet-août dernier a démontré l’incapacité de l’État à assurer le minimum sécuritaire. L’insécurité combinée au manque de résultats sur le plan social et aux scandales de corruption à répétition à conduit à des contestations populaires récurrentes qui se sont amplifiées depuis le 05 juin. Le quatrième coup d’État du pays est alors intervenu dans ces conditions, avec la démission du Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Le Colonel Assimi Goïta est le nouveau chef du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP).

Ainsi en 60 ans, le Mali aura connu 4 sortes de coup d’État, selon l’expression du Pr. Dominique Bangoura, le premier fut un coup d’État « conservateur », Moussa Traoré s’est maintenu au pouvoir pendant 23 ans, le second fut « salvateur », Amadou Toumani Touré a offert au pays la démocratie. Le troisième, je le qualifie de « chaotique », le Président démocratiquement élu fut renversé à 2 mois de la fin de son second mandat. Le quatrième devra porter selon moi le nom de « temporaire », la situation du pays exige de voir s’il sera conservateur, salvateur ou chaotique.

Tant que le Mali ne fera  pas face à ses véritables problèmes, l’instabilité y sera chronique. Le pays doit travailler sur ses 5 péchés capitaux afin d’assoir une stabilité démocratique durable.

 

Refonder la démocratie malienne

Le Mali compte actuellement plus de 200 partis politiques officiels. Selon une étude publiée en 2008 par le réseau Aga Khan, il y aurait 40 000 organisations locales formelles et informelles et 2150 organisations non gouvernementales officiellement enregistrées. L’absence de transparence dans le financement de ces organisations a transformé la plupart d’entre elles en réseaux clientélistes au service d’hommes politiques puissants. Au Mali il est difficile de parler de partis politiques, en général ils sont suspendus à un seul homme qui assure le financement, en l’occurrence, le Président-fondateur. D’ailleurs le terme de « transhumance » est souvent employé pour qualifier le comportement des membres élus d’un parti qui changent de bord au gré des évènements. L’électorat est qualifié de « bétail électoral ». Toutes ces opérations se déroulent moyennant de grosses sommes d’argent. Les projets ne sont jamais mis en avant, il faut acheter le vote ! Les politiques n’inspirent plus confiance, ils sont vus comme des voleurs et des menteurs. Les sujets de fond ne sont jamais traités, l’argent public est détourné pour financer et entretenir la clientèle. Le Mali perd chaque année près 15% à 20% de son budget selon les différents rapports des structures locales de contrôle. Aucun projet structurant créant des emplois directs n’a été porté ces 5 dernières années. L’Assemblée nationale n’est qu’une chambre d’enregistrement, aucun contrôle n’est effectué et lorsque la majorité se trouve en difficulté, la séance est purement et simplement suspendue. Les évènements de 2012 qui ont montré les limites de la démocratie consensuelle, auraient dû servir de leçon pour refonder en profondeur le processus démocratique malien afin d’y apporter de la stabilité, de la cohérence et de la crédibilité. En lieu et place, pendant sept ans, de 2013 à 2020, les tares démocratiques se sont amplifiées, au point de donner l’impression d’assister à une véritable comédie. Finalement, la contestation née des élections législatives de juillet-août 2020 a été le détonateur d’une crise, qui a finalement emporté le régime du Président Ibrahim Boubacar Keïta. L’incapacité à reformer la gouvernance et à doter le pays de capacités nouvelles en tenant compte des erreurs du passé reste la principale cause de l’instabilité institutionnelle dans le pays.

 

Repenser la gouvernance militaire

Malgré les nombreux atouts militaires du pays comme ses prestigieuses écoles de formation (l’École de Maintien de la Paix, l’École d’État-Major, l’Ecole Militaire Inter-Arme, l’École d’Administration Militaire, l’Ecole des Sous-officiers, le  Prytanée Militaire…), le Mali peine à construire une armée de qualité. Pourtant, l’armée malienne se caractérise par une grande diversité ethnique et intellectuelle du fait des nombreuses bourses d’études obtenues. C’est un formidable réservoir d’expériences et de connaissances. L’armée nationale est malheureusement restée bloquée sur une approche purement classique malgré l’évolution des menaces. Les Présidents qui se sont succédés à la tête du pays depuis 1991, n’ont mené aucune réforme structurelle crédible. Bien au contraire, l’armée fut systématiquement affaiblie, sans doute par pure volonté d’échapper à un coup d’Etat, peine perdue ! L’affaiblissement de l’armée produit des coups d’Etat ! Dans son intervention de démission, le Président Ibrahim Boubacar Keïta a surtout évoqué les efforts qu’il a déployés en faveur de l’armée, citant la loi d’orientation et de programmation militaire. C’est justement cette loi qui créa de nombreuses frustrations, du fait de sa mauvaise gestion. Par manque de leadership avéré, l’armée malienne est profondément divisée de l’intérieur, les rivalités entre les différents corps est réelle. Sous le Président IBK, un seul corps était représenté dans les hautes sphères à savoir l’armée de terre : Le ministre de la défense, le secrétaire général du ministère, le chef d’état-major général des armées et son adjoint, le chef d’état-major particulier, l’inspecteur général des armées sont tous issus de l’armée de terre. Comment murir des réflexions pertinentes dans ces conditions et en l’absence d’experts civils reconnus ? Il faut une armée beaucoup mieux organisée et structurée et ayant une approche prospective. Avec les menaces actuelles portées par un acteur hydrique avec une grande capacité d’adaptation, l’enjeu pour l’armée nationale malienne consiste à favoriser la réunion des compétences et des connaissances. La relation entre la nation et son armée doit être redéfinie, afin de renforcer la confiance mutuelle, qui est indispensable dans un processus contre insurrectionnel.

 

Définir une réelle politique économique

Le Mali n’a pas présenté un plan quinquennal de développement depuis de nombreuses années. Aucun programme économique n’a été mené à terme avec des résultats palpables. En 2015, le gouvernement a mis sur pied un programme de lutte contre la pauvreté dénommé, CREDD (Cadre stratégique pour la Relance Économique et le Développement Durable). Ce programme est arrivé à terme en 2018, sans présenter aucun résultat probant il fut prolongé jusqu’en 2021. Les Premiers ministres qui se sont succédés à la tête du gouvernement malien entre 2013 et 2020 n’ont pas pu mettre en place une trajectoire cohérence, quatre d’entre eux ont présenté une déclaration de politique générale, deux ne l’ont pas fait. Les politiques présentées n’ont aucune cohérence entre elles et n’ont pas affirmé la continuité de l’État. Le déficit budgétaire et l’endettement du pays ont atteint des sommets, sans pour autant renforcer l’investissement dans des infrastructures de production. Le secteur économique souffre d’une absence de stratégie clairement définie. Le secteur agricole reste concentré sur la production du coton, malgré une conjoncture internationale défavorable (gros producteurs étrangers avec les USA, la Chine, et l’Inde), le secteur de l’or souffre de graves magouilles, les mines se multiplient, mais officiellement, la production est restée bloqué à 50 tonnes par ans depuis plus de 10 ans et l’augmentation de son prix n’a jamais servi à financer des programmes ambitieux, ni en faveur de l’école et encore moins en faveur de l’hôpital. L’économie malienne reste caractérisée par de grands réseaux de corruption, mais pas seulement, elle se caractérise également par une grande exclusion, du fait de la mise à l’écart d’entreprises valables de tout processus d’appels d’offres publics. Les fonds de soutien mis à la disposition des entreprises locales par les partenaires étrangers via le gouvernement, n’arrivent jamais aux destinataires.

 

L’emploi des jeunes comme source de préoccupation majeure

Lors de la récente contestation au Mali, la présence en nombre important de jeunes a frappé les esprits. La jeunesse était la frange la plus déterminée. Son engagement expose un problème reçurent, à savoir, sa disponibilité rendue possible à cause d’un chômage exponentiel. Les jeunes africains rappellent souvent aux dirigeants que s’ils ne s’occupent pas des jeunes ceux-ci s’occuperont d’eux. La jeunesse malienne souffre particulièrement, l’histoire de ce jeune malien retrouvé mort dans la Méditerranée, avec son bulletin de note en poche, démontrant un étudiant exemplaire, avait ému. Le pays n’offre aucune perspective et lorsqu’il le fait, c’est un engagement dans l’armée pour parfois être déployé dans des conditions déplorables. Une note du ministre de la défense exigeait d’envoyer au plus vite des recrues sur le front, sans même attendre l’achèvement de la formation ! La contestation a permis à la jeunesse malienne de s’affranchir du clientélisme  pour mener son propre combat. Elle doit être entendue et faire de l’emploi la priorité absolue. Les jeunes maliens ont promis de ne plus rester en marge du processus, ils s’affirmeront pour accéder à de meilleures conditions. Cela donne de l’espoir, car un tel engagement provoquera une vigilance accrue en faveur de la bonne gouvernance. Il faut aussi rappeler que le Mali ne se limite pas uniquement à Bamako, d’où la nécessité de penser à un spectre plus large dans le but d’offrir des perspectives à l’ensemble des jeunes maliens. Les premières contestations avaient commencé à Kayes et Sikasso avant d’atteindre Bamako. Le combat de la jeunesse malienne s’inscrit également dans le cadre du renouvellement de l’actuelle classe politique, qu’elle trouve incompétente et corrompue.

 

Reconstituer une diplomatie crédible et une administration pertinente

Depuis sept ans le Mali vit avec un important soutien international. Près de 40% du budget est financé par les partenaires techniques et financiers. La situation financière du pays est au bord de la rupture. Il n’y a aucune garantie sur le payement des prochains salaires. Le Mali doit rapidement consolider ses rapports avec les partenaires étrangers. L’idée d’embargo prônée par les pays voisins de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), risque de fragiliser d’avantage le pays et la sous-région. Le Mali est un vaste État de 1.241 000 km² qui assure le rôle de domino stabilisateur de la région. L’aggravation de la crise au Mali peut se transformer en un véritable boomerang pour ses voisins, qui sont également dans une situation de grande fragilité. Les nouvelles autorités doivent trouver les moyens de rassurer les partenaires africains et mondiaux, qui ont une raison légitime d’avoir peur des conséquences d’une instabilité chronique. Contrairement à la CEDEAO, l’Union Africaine a adopté une position plus souple, le commissaire en charge de la paix et de la sécurité de l’institution s’est dit ouvert au dialogue avec les membres de la junte. C’est une bonne approche, car au-delà des principes, il y a une réalité bien claire, le Mali est un pays en guerre. Il semblerait que la France aussi ait compris cela, le Président Macron a annoncé la poursuite de l’opération Barkhane, ce qui signifie coopérer avec les nouvelles autorités. Au Mali ces différentes positions doivent être analysées et traitées avec le plus grand sérieux. Il est important d’aller vite et surtout de se montrer à la hauteur des enjeux. Une coordination des actions militaires et diplomatiques pour rassurer rapidement les partenaires est un enjeu capital. La nouvelle diplomatie malienne doit prendre ses marques dès à présent.

L’autre sujet important est celui de la mise en marche rapide de l’administration malienne. En recevant les secrétaires généraux, les nouvelles autorités semblent avoir pris en considération cet aspect de la situation. D’ailleurs, les maliens ont également exemplaires, en reprenant rapidement les activités au lendemain du coup d’État. Face à cette capacité de résilience de la population, il est important de mettre en œuvre une administration stable et orientée vers l’accomplissement des missions de service public. Le corps des administrateurs civils déployé dans les différentes régions du pays a un rôle vital pour garantir un fragile équilibre en attendant le retour progressif à une situation normale. Dans les prochaines années le Mali devra penser à s’appuyer sur une administration de grande qualité, pour avancer vers des objectifs plus ambitieux.

Comme annoncé en introduction, tous les projets annoncés et qui seront annoncés ne pourront prendre corps que si l’État possède la force et le prestige nécessaire à leur accomplissement.

Boubacar Salif Traoré

(Directeur du cabinet Afriglob Conseil

Spécialiste du développement et de la sécurité dans le Sahel)

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