En Angola, la famille dos Santos est aux abois. José Eduardo, l’ancien président, séjourne en Espagne depuis six mois. Isabel, la fille, a perdu le contrôle de la société pétrolière Sonangol… José Filomeno, le fils, vient de passer six mois en prison et attend son procès pour corruption. Jusqu’où ira la descente aux enfers ? Estelle Maussion a été la correspondante de RFI et de l’AFP à Luanda. Aujourd’hui, elle publie aux éditions Karthala La dos Santos company – Mainmise sur l’Angola. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : José Eduardo, Isabel, Filomeno, ce qui frappe dans votre livre « La dos Santos Company », c’est la boulimie du clan dos Santos. À leur apogée, ils ont déjà le pétrole, les télécoms… Et ils veulent toujours plus. Pourquoi ?
Estelle Maussion : Je ne sais pas si l’on peut parler de boulimie, mais en tout cas il y a eu un sentiment assez fort en Angola en fin de règne, une sorte de perte de contrôle. C’est comme si on voulait toujours plus. C’était assez frappant dans les deux dernières années du temps de José Eduardo dos Santos comme président. Il y a eu des anecdotes. On a vu un des fils, un des jeunes fils – Danilo – acheter dans une vente aux enchères caritative, à Cannes, une montre à 500 000 euros. Cela a beaucoup frappé en Angola. On en a beaucoup parlé dans les médias. Ce que j’ai voulu montrer dans ce livre, c’est ce système de pouvoir économique, social, politique, assez incroyable, qui a été mis en place pendant tout le temps où José Eduardo dos Santos a été au pouvoir en Angola – trente-huit ans -, de 1979 à 2017. Ce système s’est mis en place dans un contexte particulier de guerre civile et ensuite il s’est développé et amplifié à partir du retour de la paix dans le pays en 2002. Cette amplification est allée jusqu’à un point, assez important en fin de règne.
José Eduardo dos Santos, quand il est au pouvoir, est un homme discret. Il ne donne jamais d’interview, il est presque introverti. En revanche, ses enfants s’affichent. Isabel c’est la « jetsetteuse ». Elle s’affiche notamment avec Maria Carey, avec Kim Kardashian. Pourquoi cette contradiction entre le père et les enfants ?
Ce qui est frappant dans cette famille, c’est qu’il y a des personnages hauts en couleur. Le père, c’est le patriarche. C’est vrai qu’il est assez discret, il a un caractère introverti. Les enfants et les autres membres du clan, c’est un peu différent. Ils ont chacun leur personnalité. Isabel, je la qualifie d’étoile de la famille, notamment pour sa projection internationale. On peut avoir l’apparence d’une contradiction entre tous ces personnages, mais ce que je montre, c’est comment ils font tous partie de ce même système et comment chacun a pris sa place dans ce système. Pour revenir sur Isabel dos Santos, c’est vrai qu’elle a donné sa plus grande projection internationale à ce système et à cette époque dos Santos.
Face à ce clan dos Santos, il y a quand même des jeunes gens courageux qui résistent. Et le premier d’entre eux, bien sûr, c’est le rappeur Luaty Beirão. Et vous racontez son coup d’éclat. C’est un concert en 2011 à Luanda…
Oui, en mars 2011… Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. À l’époque, monter sur scène lors d’un concert, à Luanda, et dire « Y’en a marre, il faut que le président parte », c’est subversif. Les gens ont pu avoir peur pour Luaty Beirão. Donc il faut comprendre à quel point ce concert est le début de la mobilisation de jeunes à Luanda, dans un contexte, après, de Printemps arabe, ailleurs sur le continent.
Et cinq ans plus tard, en 2016, José Eduardo dos Santos décide d’abdiquer l’année suivante. C’est un acte rare en Afrique. Pourquoi cette décision ?
Il y a plusieurs raisons pour expliquer cette décision que j’interprète comme un choix stratégique. D’abord, la situation économique du pays est très difficile. Depuis 2014, les cours du pétrole ont chuté. Ensuite, il y a une contestation sociale croissante chez les jeunes et même plus largement. Il y a une grogne sociale. Même au sein du MPLA, à l’époque, dans les dernières années 2016-2017, ça commence à grogner contre la gouvernance qui n’est pas à la hauteur, même contre l’omniprésence du clan. Et puis il y a un facteur qu’il ne faut pas oublier, même si cela reste un sujet tabou par excellence, c’est l’état de santé de José Eduardo. Je pense qu’il était assez affaibli à cette époque-là et je pense qu’il a calculé. Il s’est dit : il vaut mieux passer la main et essayer de contrôler la suite, plutôt que de pousser plus loin.
Vous racontez la chute brutale, puisque João Lourenço, le successeur, fait arrêter le fils dos Santos – Filomeno -, qui dirigeait le Fonds souverain. Et aujourd’hui, on peut dire qu’Isabel, la sœur aînée, ne met plus les pieds en Angola de peur d’être arrêtée, j’imagine…
Difficile de répondre à cette question. Ce que l’on constate, c’est que depuis avril José Eduardo dos Santos a quitté le pays. Il est, apparemment, en Espagne. Et plusieurs de ses filles, dont Isabel, sont plutôt en Europe. Sur le cas de José Filomeno, l’ancien patron du Fonds souverain, il était impossible il y a deux-trois ans de penser qu’un dos Santos serait traduit devant la justice. C’était impensable ! Quand il a été inculpé pour fraude, cela a été un choc en Angola. Ensuite, il a passé presque six mois en détention provisoire. C’était aussi impensable. Maintenant, la justice doit faire son travail. On n’a pas encore le fin mot de l’histoire. Cela aussi incarne cette rupture, qui s’est passée dans ce pays et qui se passe encore aujourd’hui en Angola.
La chute est d’autant plus brutale que madame dos Santos – Ana Paula – est partie. Elle a quitté son mari. Est-ce qu’aujourd’hui le nouveau patron de l’Angola João Lourenço a redonné une certaine popularité au parti au pouvoir MPLA sur le dos du clan dos Santos ?
Ce qui est sûr, c’est que João Lourenço, dès sa campagne pour les élections générales, et après, à son arrivée au pouvoir, a vraiment voulu incarner une rupture. Il a limogé énormément de gens. Dans son premier discours devant le MPLA, comme président du MPLA, il a dit : « Les ennemis numéro 1 qu’il faut combattre, c’est notamment la corruption et le népotisme ». Maintenant, tout l’enjeu pour lui, c’est de réussir à changer un système dont il fait partie, dont il est l’héritier, qui a constitué le pays ces quarante dernières années. Donc, en gros, comment faire table rase de quelque chose qui dure depuis quarante ans ? Il va falloir faire des réformes, il faut avancer, mais quelque part il y a des mentalités qui doivent changer de haut en bas de la société. Et c’est cela qui risque de provoquer des résistances.
Christophe Boisbouvier
RFI