INTRODUCTION.
L’Association « Alliance pour la Démocratie au Mali » connue sous le nom de A.DE.MA-ASSOCIATION, soucieuse de préserver les acquis démocratiques et de défendre les valeurs républicaines a entamé courant deuxième semestre 2017 une réflexion sur la problématique de l’organisation des élections générales de 2018, en particulier l’élection du président de la République. A la suite de débats à l’interne, le Comité Directeur a estimé nécessaire d’élargir la réflexion à d’autres acteurs de la vie publique : institutions de la république, acteurs politiques, société civile (y compris les syndicats), organes en charge de l’organisation et supervision des élections, et certains partenaires du Mali.
Les Institutions et organisations civiles et politiques rencontrées sont :
– Le Président de la République ;
– Le Représentant Spécial du Président de la Commission de la CEDEAO ;
– Le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies, Chef de la MINUSMA ;
– Le Conseil National de la Jeunesse du Mali (CNJ-Mali) ;
– La Délégation Générale aux Elections (DGE) ;
– La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) ;
– Le Collectif des partis politiques de l’opposition autour du Chef de File de l’Opposition ;
– Le Mouvement Patriotique pour le Renouveau (MPR) ;
– Le Rassemblement pour le Développement et la Solidarité (RDS) ;
– Le Congrès National d’Initiative Démocratique /Faso Yiriwa Ton (CNID/FYT) ;
– Yèlèma le Changement ;
– L’Union Malienne du Rassemblement Démocratique Africain (UM-RDA Faso Jigi) ;
– Alliance pour la Solidarité au Mali/Convergence des Forces Patriotiques (ASMA/CFP) ;
– La Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali (CSTM) ;
– L’Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM) ;
– Le National Democratic Institute (NDI).
Notre démarche consistait à nous informer à la source des stratégies politiques et mesures envisagées pour faire face à la dégradation de la situation sécuritaire en cette période cruciale de préparation d’élections générales devant renouveler les institutions de la république, dans ce contexte d’absence de contrôle de l’Etat d’une bonne partie du territoire.
C’est l’occasion de renouveler ici, nos chaleureux remerciements et notre profonde gratitude à tous ceux qui ont accepté de partager avec nous leurs analyses et informations enrichissantes. Nous saluons la franchise et l’ouverture d’esprit qui ont caractérisé nos échanges. C’est pour donner suite à ces rencontres que notre Comité Directeur a décidé d’organiser cette Table ronde. L’objectif principal est de partager avec tous, les conclusions tirées de nos échanges et envisager ensemble d’éventuelles actions et mesures qui pourraient contribuer à préserver ce qui est essentiel et constitue notre patrimoine commun : le Mali
Construire l’unité d’actions des forces vives de la Nation pour décider du présent et de l’avenir politique de notre pays par nous-mêmes, sans une imposition de solutions venues de l’extérieur
Contexte
L’année 2018 est considérée à raison comme une période cruciale pour la stabilité institutionnelle de notre pays et la cohésion nationale en raison des échéances électorales auxquelles il doit faire face.
Notre pays, malgré les annonces répétées de mesures fortes pour endiguer le phénomène, reste confronté à la persistance et la généralisation de l’insécurité sur plus des 2/3 de son territoire : attaques de groupes terroristes dits djihadistes, de bandits armés sur les axes routiers et dans les villes et villages, conflits entre groupes armés dit ex rebelles, conflits inter ethniques entretenus par toutes sortes d’amalgames, avec le cycle infernal d’agressions et représailles meurtrières, exactions contre des populations civiles imputables à des éléments de nos FAMAs etc…
Les groupes armés circulent partout au Mali alors que les maliens ne peuvent pas le faire dans l’Adrar. Les maliens ont le sentiment que leur pays est sous tutelle et la récupération de l’intégralité du territoire national demeure une forte aspiration pour eux.
En réalité la situation de notre pays s’apparente à une situation de guerre.
A cela s’ajoute une ébullition du front social (UNTM, éducation, transport, commerce, mines, administration, etc).
La sphère politique elle aussi se fait remarquer par une crispation entre acteurs susceptible de « polluer » la campagne électorale.
Face à cette réalité, il est évident que les enjeux et défis sont importants et cruciaux.
I.Les enjeux :
Le principal enjeu pour le Mali est la tenue dans les délais constitutionnels d’élections libres transparentes et crédibles sur toute l’étendue du territoire national. Le gouvernement qui est en charge de cette mission a déclaré : « il n’y a pas d’autre alternative à la tenue des élections ».
Sur cette question, il y a une quasi-unanimité des acteurs rencontrés qui estiment que pour le confort de la démocratie et pour éviter un vide institutionnel, tous les démocrates doivent conjuguer leurs efforts pour des élections libres, transparentes acceptées de tous pour mettre le pays à l’abri d’une crise post-électorale.
S’agissant des forces politiques en compétition, du côté de l’opposition, l’alternance est une exigence impérative pour sauver le Mali de la gouvernance actuelle qu’elle juge catastrophique.
Naturellement du côté de la majorité, il s’agit de renouveler sans équivoque la confiance des maliens grâce au « bilan largement positif » du 1er mandat du Président Ibrahim Boubacar KEITA.
Cependant la plupart des acteurs admettent que face à ces enjeux majeurs de nombreux défis se dressent
- Les Défis :
Le premier est incontestablement le défi sécuritaire : Le contexte sécuritaire sera déterminant pour la réussite des élections dont le caractère inclusif, c’est-à-dire sur l’ensemble du territoire est un baromètre important.
Or la situation sécuritaire reste très préoccupante dans la plupart des localités occupées par les groupes armés rebelles et terroristes dit djihadistes. Explosion de mines, enlèvement de militaires et de civils, attaques et incendies de poste de police, de camps militaires. S’y ajoute l’escalade des affrontements entre communautés entretenue par les amalgames « peuls et djihadiste » « dogons et donzo » qui constitue une grave menace pour la cohésion nationale et comporte des risques de radicalisation et de récupération par les djihadistes.
Si les récentes visites du Premier Ministre dans certaines localités des régions dites du Nord et du Centre, et la récente mission du MOC (dont les FAMAs font partie) à Kidal ont rassuré certains de nos compatriotes, beaucoup d’autres attendent de voir sur le terrain les effets directs des mesures fortes annoncées lors de ces visites symboliques, entre autres le désarmement des milices armées, et le retour effectif des services de l’Etat dans les localités dont les populations se sentent abandonnées par leur Etat et livrées à la merci de bandits armés, et de terroristes. Les derniers évènements tragiques dans la zone de Ménaka ne sont pas de nature à rassurer les populations
A titre d’illustration, les dernières attaques perpétrées contre des populations civiles à Aklaz, à Wakassa et à Tidinbawen vers le Niger les 26 et 27 et 28 Avril 2018 54 morts en 3 jours. A Dioura (cercle de Tenenkou) 14 morts en début avril.
La création du G5 Sahel pour accompagner la montée en puissance des Forces Armées Maliennes a rencontré dès le début des difficultés notamment, la réticence des Etats Unis d’Amérique, la non implication de la CEDEAO, les réserves de l’Algérie et de l’Union Africaine qui se posent des questions. Malgré les annonces de contribution, cette organisation peine à mobiliser les financements nécessaires à ses missions.
Or selon nos interlocuteurs, il est impératif de faire appel à toutes les forces en présence : Barkhane, la MINUSMA, le G5 Sahel, pour une sécurité intégrée qui mobilise toutes ces forces militaires à côté de nos forces armées et de sécurité.
Le défi organisationnel : des inquiétudes portent sur les facteurs déterminants pour relever le défi de transparence et de crédibilité des opérations électorales : les conditions sécuritaires mais aussi matérielles, logistiques (documents électoraux listes et cartes d’électeurs) les mesures administratives pour une bonne supervision, et les mesures de confiance à instaurer entre les acteurs :
Le constat général de l’affaiblissement de l’Etat du fait de l’absence de ses représentants dans de nombreuses localités. La question de la disponibilité de ressources humaines capables de gérer tout le processus électoral, logistique, matériel et documents électoraux. La suspicion que suscite le vaste mouvement au sein de toute la chaine de l’administration et gestion des élections par les récentes nominations des dizaines de préfets et de sous-préfets à seulement quatre (4) mois des élections.
Les nouveaux administrateurs seront-ils tous à leur poste à temps pour gérer les opérations électorales. Les documents électoraux seront-ils disponibles dans les circonscriptions et pour les électeurs ?
Le défi politique : L’organisation d’élections est avant tout un projet politique dont le portage incombe à l’autorité qui détient la souveraineté populaire. Il revient donc au Président de la République et à son gouvernement de définir des stratégies de mobilisation des ressources humaines, matérielles et financières au niveau national et international. Mais aussi et surtout de créer un environnement favorable à la mise en œuvre du Projet en s’assurant de l’adhésion de tous les protagonistes.
Au regard de la complexité de la situation sécuritaire et des positions incertaines et mouvantes de certains groupes armés qui de fait exercent le pouvoir de l’administration en l’absence des représentants de l’Etat l’implication forte de la Communauté internationale à travers notamment la MINUSMA, la France et l’Algérie est incontournable .A l’instar de l’Accord de Ouaga qui a rendu possible l’élection présidentielle en 2013 cette implication permettra d’obtenir l’adhésion ferme et définitive à l’ensemble du processus électoral des groupes signataires de l’Accord pour la Paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger. Il s’agira par exemple d’éviter la réédition des incidents graves survenus lors des élections locales en novembre 2016 qui ont privé des citoyens de certaines communes de leur droit de vote.
Dans le cadre de sa nouvelle mission de bons offices, la MINUSMA semble être la cheville ouvrière, au four et au moulin : soutien au processus électoral : appui logistique, de transport du matériel électoral, de coordination de la sécurité, d’appui technique, de sensibilisation. Appui également à la CENI, la DGE, la Cour Constitutionnelle pour le renforcement des capacités des 125 000 agents électoraux opérants dans les 25 000 bureaux de votes.
En face, aucune initiative gouvernementale de véritable dialogue politique et social
En face, aucune initiative gouvernementale de véritable dialogue politique et social
Le défi de la communication : la gestion de la communication au niveau des médias publics : très déséquilibrée, inéquitable qui risque de mettre à mal la confiance des acteurs en la transparence du processus électoral. Il est indispensable de veiller au traitement équitable dans la couverture des activités de tous les acteurs, en particulier au niveau des médias dit d’Etat qui dans un système démocratique devraient être appelés « médias publics ». Cette question constitue un des facteurs déterminants de la mise en confiance des protagonistes du jeu électoral. Sans cette confiance, les constatations pourraient se radicaliser et compliquer davantage le contentieux inhérent à toute élection.
III. Que faire pour « sauver le Mali ».
En le préservant d’une crise post-électorale : En réponse aux inquiétudes exprimées sur la probable exclusion des élections générales des 2/3 des localités sous occupation, certains proposent que les acteurs définissent ensemble les conditions minimales sécuritaires acceptables : Les plus optimistes pensent qu’avec un bon plan de sécurisation élaboré par le gouvernement, il sera possible de voter dans tous les cercles du Mali.
Les autres pensent qu’il est plus raisonnable de se dire « ça n’arrive pas qu’aux autres » et que dans le contexte actuel de notre pays, un dérapage peut survenir à tout moment dans la mise en œuvre du chronogramme : faut-il alors attendre de constater un retard fatal à la poursuite du processus pour réfléchir aux réactions appropriées ?
Le cas échéant faire face ensemble aux conséquences de la crise :
Ne faut-il pas anticiper la réflexion sur une alternative à la tenue de l’élection présidentielle ? Un plan B ? Une Transition ? Pilotée par qui ? Quel serait le sort des institutions ou quel pourrait être leur rôle ? Faut-il exclure toute possibilité d’un plan B qui selon de nombreux acteurs politiques entrainerait le pays dans une aventure dangereuse. Ils considèrent que le schéma d’une transition serait en fait soit un coup d’état militaire soit un coup d’état civil.
1) Ne faut-il pas intégrer dans l’analyse le risque non négligeable de prise de pouvoir par des militaires ?
2) Ne faut-il pas aller vers un véritable dialogue politique et réfléchir à tous les scénarios ?
3) Envisager avec nos partenaires un Ouaga II ?
4) La nécessité de concertations nationales : « dialogue national refondateur ».
Conclusion
Les personnes rencontrées ont dans leur grande majorité affirmé l’impérieuse nécessité de tenir des élections transparentes et crédibles dans les délais constitutionnels malgré la situation sécuritaire difficile. Elles ont conscience de la possibilité que les élections ne puissent pas se tenir, mais ne veulent pas ou n’osent pas réfléchir à un plan B.
La plupart redoutent un vide constitutionnel mais reconnaissent que si les élections ne sont pas inclusives, le problème de légitimité de celui qui sera élu va se poser et du coup consacrerait la partition de fait du pays
Nous savons que cette question est très sensible et soulève souvent des réactions très vives mais la sentinelle de la démocratie que nous voulons être, ne peut pas fermer les yeux sur les risques graves de la tenue d’élections contestables qui déboucheraient sur une crise plus grave que celle que nous vivons aujourd’hui. Nous estimons que la part de responsabilité de la société civile sera grande en cas de dérapage du processus pour n’avoir pas alerté sur les risques, face à la dégradation de la situation.
Notre lecture de la situation est que le Mali est en danger et il faut le sauver. Certains sont déjà en campagne électorale quotidienne pour rester au pouvoir et d’autres pour y arriver. Sur quelle portion du pays ils règneront s’ils gagnaient les élections à venir ?
Le souci de la préservation de l’intégrité territoriale doit nous guider dans la détermination des conditions à réunir pour éviter une crise post-électorale qui risquerait de consacrer une partition de fait du pays par l’exclusion d’une partie de sa population du jeu électoral.
Notre Association continuera à s’investir aux cotés de toutes celles et tous ceux qui ont le souci de sauver la Mali et réaffirme sa disponibilité à soutenir toute initiative allant dans ce sens.
Elle espère que cette Table ronde contribuera à construire l’unité d’actions des forces vives de la Nation pour décider du présent et de l’avenir politique de notre pays par nous-mêmes, sans une imposition de solutions venues de l’extérieur. Pour y parvenir, la mobilisation de toutes énergies positives de notre pays est impérative !
Merci pour votre écoute !
La Présidente.
Mme SY Kadiatou SOW.
Officier de L’Ordre National.
Source: Koulouba.com