l’allaitement a choqué les internautes au début de la Semaine Mondiale de l’Allaitement Maternel (SMAM). « Leçon de morale à l’ancienne », « injonction supplémentaire », « hypocrisie sociétale », le message en 140 signes a réveillé la colère des féministes. Elles dénoncent l’information pas toujours loyale sur le sujet, et revendiquent le fait d’être libre de choisir, quand le choix est possible.
En plein milieu de la semaine mondiale de l’allaitement, qui a commencé le 1er août, il règne sur Twitter et sous le hashtag #allaitement, un petit goût de liberté qui voudrait reprendre ses droits. Tout est parti du tweet de l’Unicef : « L’allaitement stimule la santé d’un enfant, son QI, ses performances scolaires et son revenu à l’âge adulte ».
Les féministes en France s’enflamment depuis trois jours et fustigent à coup de tweets le Fonds des Nations unies pour l’enfance. Prise pour une leçon de morale d’une époque révolue, la campagne est mise à mal, car la liberté des femmes à choisir si elles allaitent (ou pas) reste à conquérir. Pourtant, l’Unicef dénonce aussi les obstacles auxquels les femmes sont confrontées, lorsqu’elles décident d’allaiter. Le droit à un congé maternité par exemple.
Une pression sociale
La campagne de l’Unicef sur les bienfaits de l’allaitement a relancé un débat chargé. Est-elle le reflet de la société (française, par exemple) ? Vécus comme une pression sociale qui ne cesse pas, ces messages pro-allaitement qui alimentent le feu qui brûle au coeur des combats féministes ont le mérite de rappeler une antinomie importante : le Code du travail impose que les entreprises aient des locaux dédiés à l’allaitement, sauf que 90 % d’entre elles n’en ont pas. Il faudrait donc allaiter, mais se débrouiller puisque les dispositions ne sont quasiment pas appliquées.
Tantôt taxée d’égoïste, tantôt d’irresponsable
Dans l’imaginaire collectif, l’idée que le lait maternel est la meilleure nourriture pour le bébé est tellement ancrée qu’une mère qui n’allaite pas est tantôt taxée d’égoïste, tantôt d’irresponsable.
L’irresponsabilité ne réside-t-elle pas là où l’on œuvre à investir le cerveau d’une mère ? Certaines disent être sous pression d’une tentative de persuasion pour réaliser « le projet d’allaitement maternel ». En sachant toutes ces recommandations, si une femme n’allaite pas, serait-elle indigne d’être mère? La culpabilisation ambiante est vivement dénoncée par les internautes.
Haut les coeurs !
Des femmes dénoncent alors le manque d’information qui fabrique des préjugés et alimente la pression. Et font valoir une réalité trop souvent oubliée : mettre son bébé au sein n’est ni naturel, ni inné.
Qui, alors, pour informer loyalement les mères sur l’allaitement ? Réponse à l’unisson des mères que nous avons interrogées : ceux qui ont des préjugés doivent stopper l’hémorragie des mots rageurs envers les mères, et laisser l’information circuler. Car comme le dit Margot, trentenaire et maman depuis huit mois, « la réalité de la maternité, c’est autre chose que tout ce que les gens imaginent. Et puis c’est hyper intime ». L’allaitement est une négociation entre la mère et son enfant. C’est une histoire d’odeur et de ressenti. La question se pose : un choix personnel devrait-il être soumis à l’avis des autres ? Grâce au progrès, dans les sociétés industrialisées, il est possible de nourrir son bébé au biberon pour qu’il se porte bien.
Face à cette campagne de l’Unicef qui fait remonter un vif débat sur les réseaux sociaux, les internautes, féministes ou pas, ne nient pas les recommandations de l’Organisme mondiale de la Santé (OMS). Le lait maternel est l’aliment idéal pour un bébé. Évidemment que la situation n’est pas la même dans des pays où il n’y a pas l’eau courante, ou pas d’accès à des soins médicaux. Ces « indigné(e)s » réclament, de pouvoir avoir la liberté de choisir, lorsque le choix est possible. Et si possible de pouvoir choisir sans être jugée.
« La société s’accapare les mères comme des biens publics que l’on accable, constate Nadia Daam, co-auteure de la tribune « Allaitement : cessons de culpabiliser les femmes », parue dans Libération au début de l’année. Quels que soient ses choix, une femme est toujours la mauvaise mère pour quelqu’un. »
Cette pression sociétale, Lisa l’a vécue. A la maternité on l’a poussée à allaiter : « Parce que c’est le rôle des femmes qui veulent être mères. On te renvoie à ça, tu es une femme, alors tu allaites et si tu refuses, tu renies une partie de ce pourquoi tu es faite. Moi j’ai tenu bon, j’avais fait le choix de ne pas allaiter et je n’ai pas allaiter, ce qui ne m’empêche pas de super bien m’entendre avec mon fils. »
Ne pas avoir envie d’allaiter n’est ni bien ni mal
Caroline Viry est sage-femme acupuncteur dans les Yvelines (région parisienne), elle témoigne de la difficulté d’être mère sans être jugée dans ses choix. Alors que « si la libération de la femme passe par le fait de disposer de son corps ou de ses seins, en excluant la pratique de l’allaitement, ce n’est ni bien ni mal, c’est un choix intime et en aucun cas déterminant de l’amour qu’on donne à son enfant, point ! ».
Dans un contexte d’égalité toujours imparfaite entre les hommes et les femmes, Emmanuelle ne voulait pas risquer de mettre en péril son travail. « Le lait en poudre, le déclenchement, j’ai tout fait comme il ne fallait pas, parce que c’était facile, c’était comme ça, je me fichais de ceux qui me jugeaient », raconte cette mère de deux ados. Le sein était sa limite, et son mari n’était pas pour l’allaitement : « Ça ne donne pas une jolie image de ma femme », lui avait-il dit. Emmanuelle, journaliste, est heureuse d’avoir pu continuer à travailler, de ne pas avoir transformé son corps et d’être une maman épanouie. « Ça ne m’a pas empêchée d’amener mes enfants à l’école tous les matins, de préparer leurs petits vêtements, ni d’être très maternante », peut-elle dire aujourd’hui, avec les années.
Il serait donc possible de refuser l’injonction d’être la mère parfaite, boulot-crèche-sexe-comme-dans-les-films-purée-bio-allaitement-seins-parfaits, mais de vouloir quand même être mère. Aujourd’hui sur le compte twitter de l’Unicef, les tweets polémiques n’apparaissent plus, et ont laissé place à cela.
Rfi